Allié de la France en Libye, l’émirat semble avoir misé un peu hâtivement sur les islamistes du Mali.
Après la pique du cheikh, la charge de l’imam. Emboîtant le pas au premier ministre qatari qui déclarait le 15 janvier que le recours à la force ne réglerait aucun problème au Mali, le prédicateur vedette Youssouf al-Qaradaoui est monté au front la semaine dernière pour fustiger « l’intervention française illégitime ». « Paris attise les flammes de la guerre avant d’avoir épuisé les moyens nécessaires à une solution pacifique », a tonné cette figure de l’islam sunnite, et traditionnel relais de Doha, dans un communiqué de son Union internationale des oulémas musulmans puis dans l’émission qu’il anime sur Al-Jazeera. « La France rajoute du malheur au malheur dans un conflit qui ne peut être résolu que par des musulmans. »
Certes moins vindicatifs, les gouvernements égyptien – sous perfusion financière qatarie – et tunisien se sont alignés sur la position de l’émirat, lequel a espéré jusqu’au bout résoudre la crise par « le dialogue » et garder la main dans une région selon lui en pleine islamisation et au sous-sol riche de promesses. Convoquant même, fin octobre, le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, pour lui offrir ses services. Peine perdue, et si l’émirat se démarque d’une façon inédite de son allié français, il y risque aussi sa réputation.
Car Doha a tenté de marquer sa présence sur le terrain, quitte à alimenter les accusations de double jeu, voire de soutien aux jihadistes. En juin, déjà, le Canard enchaîné, se fondant sur une source des renseignements français, rapportait que les mouvements armés « avaient reçu une aide en dollars du Qatar » – sans apporter de preuve. Et les récentes critiques du Qatar ont relancé les accusations, émanant cette fois de politiques, comme la sénatrice communiste Michelle Demessine lors du débat organisé au lendemain du lancement de l’intervention française : « Qui finance certains groupes au Mali, si ce n’est le Qatar ? »
Bienveillance
Objet de tous les soupçons : les ONG qataries présentes dans le Nord-Mali, seules à y avoir été autorisées par les islamistes et qui, à l’image d’Eid Charity, mélangent allègrement les genres en ouvrant des dispensaires ou en enseignant le Coran – sous sa forme littéraliste, il va sans dire. Trouvant ainsi un terrain pour s’implanter dans une zone où la culture religieuse, d’essence soufie, ne leur était a priori pas favorable. Déjà très actives dans la corne somalienne et, depuis les révolutions arabes, en Libye et en Tunisie, ces fondations donnent une occasion à l’émirat d’élargir sa zone d’influence au Sahel et à l’Afrique de l’Ouest. Quitte à être bienveillant à l’égard des franges extrêmes de l’islamisme.
Marque de fabrique de Doha, cette ambiguïté s’est révélée à travers les méthodes peu orthodoxes du Croissant-Rouge qatari à Gao, et ses accointances supposées avec le Mujao. Le MNLA, chassé de la région, fut le premier à décocher une flèche. Interrogé par l’AFP fin juin, l’un de ses responsables a accusé l’ONG de distribuer des denrées sous la protection d’islamistes en armes, « un moyen pour le Mujao de se rapprocher de la population ». En novembre, un élu de Ménaka (région de Gao), cité par RFI, ira plus loin : « Quand j’ai demandé au Croissant-Rouge d’intervenir chez nous, on m’a répondu que ce n’était pas possible car le Mujao n’y était pas présent. » Le tout sur fond de rumeurs de transferts de fonds et de mouvements aériens suspects. « Nous sommes venus à Gao pour aider les populations », rétorque l’ONG qui, loin de faire profil bas, se félicitait jeudi de sa montée en puissance dans le Nord-Mali pour faire face « à la souffrance persistante des civils ».
Menace
Ces humanitaires n’avaient au départ pas jugé utile de prévenir la Croix-Rouge – tel que le veut l’usage – pas plus que Bamako, de leur arrivée dans la région. Comme si les donneurs d’ordres de Doha considéraient le Mali jihadiste comme une entité politique de fait et pariaient à l’époque sur sa pérennité.
Misant sur un interventionnisme débridé qui, jusqu’ici, lui avait permis d’engranger les succès diplomatiques, le Qatar a peut-être poussé ses pions un peu trop vite sur un terrain où les islamistes représentent une menace pour Paris. Le Nord-Mali n’est pas la Libye, et encore moins la Syrie, où les deux pays restent en bonne intelligence dans leur quête commune d’une chute de Bachar al-Assad. Cela explique sans doute la discrétion française sur les pérégrinations maliennes du Qatar. Hier soir, le Premier ministre qatari, Hamad ben Jassem al-Thani, a démenti toute forme d’aide de son pays « à l’une des deux parties en conflit ».
Source : Libération