Même si la guerre en Syrie est loin d’être terminée et que l’appui régional et international aux groupes d’opposition n’a pas vraiment faibli, il est clair que le régime a marqué des points et qu’il a désormais le vent en poupe, en dépit du refus officiel international et arabe de reconnaître l’élection présidentielle et sa légitimité.
Les événements semblent soudain s’accélérer dans la région, comme si toutes les parties concernées commencent à pressentir l’approche du moment décisif où les cartes seront enfin posées sur la table.
Selon un diplomate arabe en poste au Liban, lorsqu’on regarde le tableau général dans son ensemble, on comprend rapidement que l’élection présidentielle libanaise est un détail qui ne suscite pas un très grand intérêt de la part des joueurs régionaux et internationaux. Si à un moment donné, l’Arabie saoudite a cru pouvoir l’utiliser pour amener l’Iran à la négociation, il lui est rapidement apparu qu’il y a des cartes plus importantes à jouer avant d’en arriver à la présidentielle libanaise. C’est dans ce contexte que le diplomate précité place les derniers développements en Irak et la prise par le groupe affilié à el-Qaëda de la région importante de Mossoul, non seulement riche en pétrole, mais regroupant aussi des Kurdes, ce qui est de nature à entraîner ces derniers dans la bataille, alors que jusqu’à présent, ils se cantonnaient dans leur province quasi indépendante. Le diplomate arabe en poste au Liban précise que ce spectaculaire développement en Irak intervient au moment où les négociations entre l’Iran et les pays occidentaux n’ont jamais été si près d’aboutir à un accord et alors que l’Arabie saoudite est en train de perdre son pari en Syrie. Le royaume wahhabite s’est en effet largement investi dans la lutte pour faire chuter le régime de Bachar el-Assad, en utilisant tous les moyens disponibles, politiques et militaires. Depuis trois ans que les combats font rage en Syrie, le diplomate affirme que des rapports secrets précisent que près de 45 000 combattants étrangers ont été envoyés sur le territoire syrien pour combattre aux côtés de l’opposition. C’est pourquoi dire que le régime a créé Daech et al-Nosra est un faux argument. D’abord Daech a été créé en Irak et de plus, même si le régime avait libéré tous ses prisonniers, il n’aurait pas pu atteindre un tel chiffre. Selon les rapports mentionnés par le diplomate précité, c’est plutôt le royaume wahhabite qui aurait contribué à grossir les effectifs de ces groupes affiliés à el-Qaëda, en offrant à certains prisonniers déjà condamnés à mort la possibilité de se racheter en allant faire le jihad en Syrie, avec la promesse de prendre en charge leurs familles au cas où ils se feraient tuer. D’ailleurs, les rapports précisent que s’il y a beaucoup d’Européens parmi les combattants étrangers en Syrie, la proportion de Saoudiens reste la plus élevée. De plus, le royaume n’a pas seulement ouvert ses dépôts d’armes à l’opposition, il aurait même acheté des usines d’armement en Ukraine dont la production était directement envoyée à l’opposition syrienne via la Jordanie. Quant aux combattants, ils étaient acheminés en Syrie soit via la Jordanie, soit via la Turquie, qui leur a imposé un circuit totalement isolé qui consiste en un aéroport spécial, à proximité d’une gare qui les emmène directement vers la frontière syrienne pour qu’ils ne puissent pas causer des problèmes à l’intérieur de la Turquie. En dépit de cet impressionnant dispositif, le régime syrien a tenu bon et il a réussi, à la troisième année du déclenchement de la guerre, à renverser le rapport des forces sur le terrain. Un rapide rappel permet de confirmer la tendance. Tout d’abord, les pronostics annonçaient la chute du régime syrien en trois ou quatre mois. Ensuite, ils se sont mis à annoncer le départ de Bachar el-Assad, mais le maintien du régime. À la troisième étape, ils ont commencé à faire état de pressions occidentales pour empêcher la tenue de l’élection présidentielle, à défaut d’empêcher Bachar el-Assad de présenter sa candidature pour un troisième mandat. Finalement, l’élection a bel et bien eu lieu, avec un taux de participation important, même si les chiffres officiels peuvent être contestés. Non seulement le taux de participation est important, mais il couvre toutes les communautés syriennes puisque les régions dans lesquelles s’est déroulé le scrutin abritent des Syriens de toutes les confessions. Le pari sur l’isolement du régime sur le plan populaire et la réduction de l’appui dont il pourrait bénéficier aux seules minorités religieuses a ainsi échoué. Même si la guerre en Syrie est loin d’être terminée et que l’appui régional et international aux groupes d’opposition n’a pas vraiment faibli, il est clair que le régime a marqué des points et qu’il a désormais le vent en poupe, en dépit du refus officiel international et arabe de reconnaître l’élection présidentielle et sa légitimité. Les faits n’en restent donc pas moins concluants. C’est pourquoi, toujours selon le diplomate arabe en poste au Liban, la riposte est arrivée en Irak avec le coup de force de Daech qui devrait mettre en difficulté le Premier ministre Nouri al-Maliki et le pousser en principe à renoncer à former un nouveau gouvernement. En tout cas, cette redistribution des cartes devrait probablement aboutir à un retour en force de l’Arabie saoudite dans les négociations en Irak. Or, avant que ce tableau ne se précise, il serait difficile que les différents protagonistes songent à aborder le dossier libanais, d’autant que la situation sécuritaire y est acceptable et qu’au final rien ne presse… Sauf si les Libanais décident de jouer avec le feu et remettent en cause la stabilité interne pour attirer l’attention des grands acteurs régionaux et internationaux. Les parties politiques locales affirment qu’il n’en est pas question et mettent en avant la rapidité avec laquelle les plans de sécurité ont été appliqués dans diverses régions du pays, alors que suite aux deux visites du ministre de l’Intérieur au commandant en chef de l’armée, la coordination est totale entre les différents services de sécurité. Mais au Liban rien n’est jamais acquis…
Source : L’Orient-Le Jour