Une analyse publiée par le site de l’institut d’études et d’analyses américain Stratfor-Global Intelligence.
Le 25 janvier marquait le premier anniversaire du premier jour du soulèvement populaire en Égypte qui a conduit, dix-huit jours plus tard, à la chute de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak. Peu avant le renversement de Moubarak, l’autocrate tunisien Zine el Abidine Ben Ali, après avoir perdu le soutien des militaires, fuyait son pays dans le sillage des manifestations massives. Les troubles apparus en Afrique du Nord se sont rapidement étendus vers le Levant et la Péninsule arabique : ce qu’on a appelé le « Printemps arabe » s’est manifesté différemment dans des contextes nationaux différents.
Stratfor a considéré, depuis le début, que les événements qui ont balayé le Moyen-Orient ne constituent pas une chaîne de révolutions. Plus encore, les renversements de Ben Ali et de Moubarak ne correspondent pas, dans les deux cas, à un changement de régime – et les changements apparus n’ont pas conduit à la démocratie, et ne le feront pas pendant encore quelques temps. Un an après l’éclatement des troubles, il est important de revenir en arrière et de faire le point sur ce qui s’est passé – et ce qui ne s’est pas passé.
La contestation a commencé en Tunisie. Un gouvernement intérimaire a remplacé Ben Ali et les élections ont eu lieu en octobre dernier. Le mouvement islamiste Ennahdha les a emportées, avec 90 des 217 sièges, et a mis en place un gouvernement de coalition avec les partis religieux qui ont obtenu le second et troisième plus grand nombre de sièges au Parlement. Celui-ci a une année pour élaborer une nouvelle constitution pour le pays.
En Égypte, Moubarak a transféré le pouvoir à une junte militaire. Ce qui signifie que les forces armées du pays devaient passer des coulisses du pouvoir à une gouvernance directe (même si cela devait se faire à travers un gouvernement civil intérimaire). Une année après le début des troubles, les manifestations se poursuivent. L’événement récent le plus important, pourtant, est la conquête de trois quarts des sièges parlementaires aux élections par les partis islamistes. L’étape cruciale suivante est la formation d’un gouvernement conduit par les Islamistes et l’ébauche d’une nouvelle constitution. Nous regarderons également dans quelles limites les dirigeants militaires rendront le pouvoir à un gouvernement civil.
Le libyen Mouammar Kadhafi a été le troisième dirigeant arabe à tomber. Il a perdu la vie dans la foulée. Peu après la chute de Moubarak, des troubles ont éclaté en Libye. La situation a rapidement tourné à la guerre civile qui a opposé le régime aux rebelles armés. En août, le régime Kadhafi tombait après que les forces rebelles – aidée par la force aérienne de l’Otan, les services de renseignement et les forces spéciales – eurent pris Tripoli, la capitale. Deux mois plus tard, les forces rebelles capturaient Kadhafi et le tuaient. Depuis, les mêmes forces qui s’étaient unies pour défaire l’ancien régime ont commencé à se battre entre elles pour le gouvernement intérimaire.
Les événements en Libye ont été spectaculaires, mais ceux qui se sont déroulés dans le royaume insulaire du Golfe persique, le Bahreïn, sont bien plus significatifs géopolitiquement. Dans ce cas c’est une monarchie sunnite qui est confrontée au soulèvement populaire mené par la majorité chiite du pays – dont les dirigeants politiques sont des mouvements islamistes que l’Iran peut exploiter. Ce qui rend l’issue des troubles au Bahreïn extrêmement critique internationalement. Cela explique, également, pourquoi l’Arabie saoudite a déployé ses forces (avec celles des pays membres du Conseil de Coopération du Golfe) à Bahreïn en mars 2011, moins d’un mois après le début des manifestations, et ont, finalement, maîtrisé le soulèvement. Cependant, les manifestations chiites ont repris dans ces dernières semaines, ainsi que dans la région voisine de Qatif en Arabie saoudite (où se trouve la plus grande concentration de population chiite – Ndt).
Le Bahreïn n’est pas le seul endroit où les Saoudiens ont été confrontés à des protestations. Au Yémen, les manifestations ont explosé contre le président Ali Abdullah Saleh. Peu après, des divisions clé au sein des forces armées yéménites ont pris les armes contre le régime Saleh. Le président a survécu à une tentative d’assassinat au cours duquel il a été gravement blessé, mais il a, également, été capable de bloquer les tentatives de renversement du régime par les opposants politiques et militaires. Il devrait quitter le pouvoir dans le cadre de l’accord avec l’Arabie saoudite, mais seulement après s’être assuré que son régime resterait intact et que sa faction maintiendrait sa présence à la tête de l’État yéménite.
C’est un scénario tout à fait original qui se joue en Syrie, où le régime du président Bachar al Assad – soutenu par l’Iran et qui répond par une répression massive dont on présume qu’elle a fait quelque 5000 victimes chez les manifestants – a résisté au soulèvement, depuis dix mois. Cela dit, le régime n’a pas été capable d’étouffer la contestation et se trouve, depuis peu, confronté à une résistance armée qui se développe progressivement.
Cependant, à cause de la faiblesse de l’opposition et de la mauvaise volonté des puissances extérieures à intervenir (malgré leur désir d’affaiblir l’Iran), le régime syrien ne semble pas être sur le point de tomber.
Ce que nous avons vu, ce sont des mouvements limités à un nombre de pays à l’intérieur du monde arabe – et la nature de ces mouvements est différente pour chaque régime. En fait, les monarchies de la région (à part Bahreïn) n’ont pas connu le même genre de soulèvement que les républiques autoritaires. Même dans le cas de ces derniers, seule la Tunisie et l’Égypte ont vu l’expulsion rapide des dirigeants en exercice, mais pas des changements de régime. La Libye a connu une véritable guerre suivi de l’effondrement du régime, tandis qu’au Yémen, son dirigeant quitte le pouvoir dans le cadre de négociations. En Syrie, le régime a survécu malgré pratiquement une année de contestation.
En clair, dans aucun de ces cas, l’espoir d’un changement démocratique n’a été exhaussé. Là où il y a eu des élections, les Islamistes politiques ont émergé comme vainqueurs, mais ils ont encore un long chemin à parcourir pour accéder à un semblant de pouvoir. L’agitation arabe a, en effet, commencé à déliter les anciens ordres politiques dans le monde arabe, mais il ne semble pas que de nouveaux pouvoirs émergent rapidement, d’autant qu’une autre dynamique clé – la montée de l’Iran et le géosectarisme – complique la contestation arabe arabe.
(source www.stratfor.com)
Traduction française Afrique-Asie