La stratégie algérienne pour le règlement de la crise malienne se concrétise.
Les hostilités ont éclaté dans le nord du Mali dans la journée de vendredi 16 novembre . Pas d’offensive-surprise de la coalition ouest- africaine, pas d’attaque aérienne des avions de chasse français ou américains.
C’est le MNLA, le Mouvement national de libération de l’Azawad, opposé à une guerre totale contre la rébellion du nord du Mali parce qu’il en fait partie, qui a anticipé. Il s’en est pris aux gens armés du MUJAO qu’il accuse d’avoir récupéré la prise du Septentrion pour des desseins narco terroristes contraires à l’idéal républicain laïc du mouvement azawadien. Les Touaregs fédérés autour du commandant Nadjim, ce Malo-Libyen qui aurait ramené le gros de l’armement perdu de Kadhafi un 23 juillet 2011, ont donné une forme concrète à leur offre de service publiquement assumé auprès du Parlement européen, auprès de Paris notamment : Il ne saurait y avoir de libération du nord du Mali de la pègre islamo-terroriste versée dans le trafic de drogue et des armes sans la participation des autochtones, sans l’implication du MNLA. Qu’importe le bilan des premières heures de combats, que le MUJAO ait bien amorti l’effet surprise des assauts des Touaregs, un message fort a été lancé à la communauté internationale.
La carte ethnique
Un message qui explicite nombre d’allusions des différentes parties qui ont exprimé leur crainte de voir la confrontation militaire dans cette partie du Sahel se développer selon des paramètres sociologiques qui échappent aux visions carrées des technocrates qui n’analysent la situation sécuritaire qu’en fonction des structurations apparentes. Pour preuve, cet aveu d’Ansar Eddine qui dit se tenir à l’écart de l’affrontement entre le MUJAO et le MNLA tout en reconnaissant que des frères touaregs, parmi les troupes d’Yiad Ag Ghaly, commençaient à rejoindre spontanément le théâtre des combats pour prêter main forte à leurs cousins ou parents du MNLA… Pulsion communautariste évidente, solidarité inévitable au sein de ce vieux peuple qui a traversé des siècles de colonisation et d’invasions diverses sans jamais accepter de se soumettre au diktat des nouveaux venus. «On ne cassera pas du Targui impunément», pour reprendre l’expression du porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères qui n’a pas voulu en dire plus sur les questions ethniques sous-jacentes à cette crise du nord du Mali. D’aucuns à Bamako l’auront compris, de Dioncounda Traoré, l’actuel président par intérim, ex-ministre de la Défense qui a eu à gérer par le passé ce dossier de la rébellion targuie récurrente et l’armement de milice d’auto-défense, à François Hollande qui l’appelait à tout faire pour dialoguer avec les Touaregs qui se démarquent du terrorisme islamiste… Un appel étonnant en provenance de la capitale française qu’on croyait obstinément portée sur l’intervention militaire. Un conseil du président français curieusement synchronisé avec l’attaque du MNLA contre le MUJAO composé de mercenaires étrangers à la région. Les hommes bleus qui ont déclenché les événements tragiques de cet hiver 2012 par l’attaque de Ménaka le 17 janvier, pour se voir écarter militairement sous la suprématie d’Ansar Eddine et des autres groupes armés islamistes, veulent reprendre la main en imposant une autre voie de règlement du conflit que celle envisagée par la CEDEAO et ses sponsors va-t-en guerre.
Tactique risquée pour le MNLA
Pourquoi le MNLA, qu’on pensait s’être retranché dans la zone est, vers le Niger, s’aventure-t-il à tenter une reconquête du cercle de Gao quand les armées régulières de la région adhérant à l’idée d’une intervention belliqueuse hésitent à engager toutes opérations sans un vaste plan de guerre coalisée, probablement en cours d’élaboration au niveau des états-majors de superpuissances telles que la France ou les Etats-Unis ? Soit le MNLA prend le risque de mener sa guerre seul et en éclaireur, en comptant sur des promesses de soutien à partir de Niamey et des nombreux experts militaires qui y séjournent, soit les indépendantistes de l’Azawad tablent sur le sursaut ethnique, dont nous parlions plus haut, pour provoquer un nouveau clivage des forces en présence afin de pousser à une décantation préalable qui entraverait l’action des interventionnistes. Dans le premiers cas de figure, cela signifierait que le MNLA prendrait en charge une mission qu’on attribue, officiellement et pour la galerie, aux 3 300 hommes promis par la CEDEAO. Des hommes qui serviront peut-être à se positionner, auprès de ceux qui restent combattifs dans l’armée malienne, sur la ligne de démarcation entre la partie occupée et le Mali libre au sud de Mopti.
Dans le cas d’une volonté de transformer le conflit «entre des Nord-Maliens et la force internationale d’oppression», le MNLA s’exposerait à la riposte d’Yiad Ag Ghaly qui ne se laissera pas faucher l’herbe sous les pieds en creusant pour sa part davantage le concept à l’intérieur de la société targuie, entre les diverses castes, lui le fils des Intala qui pourrait exacerber les rivalités anciennes qui ont toujours déchiré l’Adrar des Ifoughas. Complexe tactique communautaire qui ignore la présence d’autres communautés d’arabes, de noirs et moults autochtones de ce vaste territoire qui a toujours su héberger ses habitants dans leur diversité, malgré la rudesse du climat et la dureté de la vie au quotidien. Des peuplades qui peuvent subir les affres de la violence et finir par prendre les armes comme les milices noires de Sonrhais et Bellahs de Ganda Koy ou Ganda Izo lors des précédentes rébellions. Un éclatement en factions militarisées de la population septentrionale soumise aux occupants qui prouverait ce que le MNLA nie : qu’il n’y a pas de réelle unité de l’Azawad et que l’Etat jacobin malien n’en est pas forcément responsable.
Pour un nouveau mali
A moins que le MNLA ne souhaite plus aller jusqu’au bout de sa logique irrédentiste et qu’il veuille, sans l’avouer, d’abord débarrasser le territoire qu’il revendique de tous les intrus qui ont gâché son soulèvement sécessionniste. Quitte à servir un moment le pouvoir central de Bamako. Sagesse soufflée par ses alliés discrets ? Ou realpolitik avec l’espoir que le degré de la crise 2012 impose l’idée d’un Mali rénové au niveau de la communauté internationale ? Un Mali qui accorderait irrémédiablement un statut de plus grande autonomie à sa partie nord pour éviter de la perdre un jour. Pour cela, il faudra qu’il couple sa stratégie guerrière à des pourparlers avec les autorités civiles et militaires de Koulouba (présidence malienne) et de Kati (ville garnison où a été fomenté le coup d’Etat militaire du 22 mars dernier). Surtout que le dernier communiqué du MNLA signé par l’un de ses porte-parole, l’écrivain Moussa Ag Assarid, insiste sur le fait que les combats visent les narcotrafiquants et qu’«il ne s’agit pas d’une guerre entre Touaregs et Arabes, contrairement à ce que certains médias diffusent insidieusement dans l’opinion publique». Un discours assez ouvert comme appui à l’action armée imprévisible chez des rebelles qu’on avait probablement sous-estimés dans leurs capacités à revenir sur la scène du conflit à la hauteur des revendications politiques qu’ils posent légitimement. Saisira-t-on, à Bamako, cette occasion de tendre la main à des compatriotes capables de contribuer à la solution d’une crise malienne ? Une crise où se sont infiltrés des mercenaires étrangers qui ont occupé le territoire et où veulent se parachuter d’autres mercenaires prétextant vouloir les déloger selon un agenda truffé d’arrière-pensées n’allant pas que dans le sens des intérêts et de la souveraineté du Mali et des pays de la sous-région…
Par Nordine Mzalla (Le Jeune Indépendant)
17 Novembre 2012