Belkezize Tachfine fait partie du mouvement républicain marocain qui milite, à partir de l’étranger et à l’intérieur du Maroc, pour l’instauration d’une république démocratique dans ce pays spolié par une famille régnante prédatrice. «Le peuple marocain finira par se soulever», insiste-t-il, dans cette interview qu’il a accordée au site Algérie patriotique. A une réponse sur la collusion entre l’Elysée et le Makhzen, Belkezize Tachfine affirme que Paris «est déjà en train de préparer une monarchie parlementaire au Maroc».
Algeriepatriotique : Vous avez fondé le Mouvement des Républicains marocains. Sentez-vous une volonté chez nos frères marocains de se débarrasser de la monarchie moyenâgeuse qui le maintient dans un Etat de soumission permanente à la famille régnante ?
Belkezize Tachfine : Je suis un des membres fondateurs du Mouvement des Républicains marocains. Il est vrai que nos frères au Maroc veulent se débarrasser de ce régime monarchique corrompu, mais la peur les en empêche. Les Marocains ont connu pendant plusieurs décennies la torture [à la prison] de Tazmamart, les prisons secrètes, les viols, etc. Il est donc difficile de combattre tout cela en une année ou deux. Mais on doit dire que depuis 2011 à ce jour, les Marocains ont fait reculer un tant soit peu l’obstacle de la peur. Certains slogans dans les rues marocaines en 2011, à l’exemple de «hiya kalma wahda, al-malakia fasda» (nous le disons en un mot : la monarchie est corrompue), n’auraient jamais pu être scandés avant 2011. Tout ceci est le fruit de la prise de conscience.
Il faut savoir que 56% des Marocains sont analphabètes. Et l’ignorance est plus importante que l’illettrisme. Ce sont tous ces facteurs qui ont fait que les choses ont pris tout ce temps pour se mettre en place. Mais il est sûr qu’il y a une colère populaire aussi bien au Nord que dans le Sud et dans d’autres régions du pays également. Les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont contribué grandement à cette prise de conscience. Je reçois des dizaines, voire des centaines de contacts via Facebook de Marocains qui m’encouragent dans ma démarche, à chaque fois que le régime marocain commet une forfaiture, à chaque fois qu’un scandale éclate, tels que ceux de Swissleaks, Panama Papers, Danielgate, l’argent donné par le roi Mohammed VI au profit d’Hilary Clinton pour l’aider dans sa campagne électorale, etc. Tout cela contribue à une prise de conscience.
De nombreuses tentatives de changement au Maroc ont échoué depuis les années 1960. Qu’est-ce qui retarde l’avènement d’une république démocratique au Maroc ?
Les tentatives de changement n’ont pas commencé en 1960 mais bien avant 1908, dans ce qui est appelé les terres de Siba (les limites du pays soumis et des terres dissidentes, ndlr) et la rébellion des tribus amazighes contre le régime alaouite. Depuis, les tentatives de changement n’ont pas arrêté et c’est ce qui a poussé le régime alaouite à se tourner vers la France pour solliciter son protectorat en 1908, suivi en 1912 par la proclamation de la colonisation française pour protéger les intérêts de la famille alaouite. C’est ce qui a permis au régime marocain de survivre jusqu’à présent, car nos aïeux amazighs étaient sur le point d’en finir avec cette famille alaouite déjà en 1908 et donc bien avant 1960.
Par la suite, il y a eu d’autres épisodes tels que les tentatives de coup d’Etat dans les années 70, en 1981 et en 1984. Mais, à chaque fois, les politiques de répression, d’appauvrissement, l’ignorance, la peur de la guerre civile ont empêché les Marocains de comprendre ce qu’il se passe. Le pouvoir a joué sur cette peur à travers ses médias et les mosquées en citant l’exemple syrien pour éloigner tous les vents du changement. Malgré tout cela, le peuple commence à comprendre qu’il ne vit pas en démocratie. La question qui se pose ici est : quel est le prix de cette liberté et est-ce que les Marocains sont prêts à se sacrifier pour cette liberté ? Pour le moment, ils essayent de le faire. Des Marocains à l’intérieur et à l’extérieur du pays se battent pour cela. Mais notre mouvement a besoin de s’élargir, de se renforcer, d’avoir plus de popularité. Le peuple marocain finira par se soulever, car il ne peut pas continuer avec ce système. Vous avez vu les rapports qui sont publiés à son sujet : le Maroc est mal classé en termes d’éducation, de santé, de développement humain. Les Marocains ont honte de cet état de fait et comprennent aujourd’hui que la faille est dans le système et non pas dans le peuple qui n’est que le reflet de ce système qu’il subit à travers l’école, la santé, le développement humain, etc. Les Alaouites utilisent le proverbe qui dit : «Affame ton chien et il te suivra !» En affamant le peuple, on le domine et on l’empêche de penser à autre chose qu’assouvir sa faim.
Plusieurs livres ont été écrits qui dénoncent la mainmise totale du roi et sa famille sur les richesses du Maroc. Pourquoi le peuple marocain accepte-t-il une telle spoliation de ce qui lui revient de droit, selon vous ?
Comme je l’ai dit auparavant, au Maroc, 56% de la population est analphabète. De plus, l’ignorance fait des ravages au sein de la société marocaine et les livres que vous citez sont interdits dans le royaume. Le Marocain ne peut pas les lire et savoir tout ce que les Alaouites font. Internet n’est pas à la portée de tout le monde au Maroc. Il n’y a pas plus de 5 à 6 millions sur 40 millions de Marocains qui y ont accès et très peu parmi ceux qui sont connectés cherchent réellement à s’informer ou à lire des livres tels Le roi prédateur, etc. Ce genre de livres est interdit au Maroc et toute personne qui s’en procurerait est passible de prison. C’est pour cela que très peu de Marocains lisent ces livres. Je suis souvent contraint de réaliser des vidéos pour informer les Marocains sur ces choses. Des concitoyens gravent ces vidéos sur des supports numériques et les vendent à ceux qui n’ont pas accès à Internet.
C’est comme cela que nous contribuons à faire prendre conscience au peuple marocain, notamment à la classe laborieuse qui n’a pas un pouvoir d’achat fort. Les Marocains ne connaissent rien sur leur pays. Quand vous dites à un Marocain que cela fait des décennies que des richesses sont extraites du sous-sol marocain, il reste bouche bée. Il ne croit pas et demande à savoir d’où vous détenez ces informations. Je montre dans mes vidéos les produits de l’extraction minière et les tonnes d’or, de cuivre, de zinc et de cobalt qui sont extraites du sous-sol au moment où le simple Marocain continue à penser que son pays est pauvre comme le lui fait croire la propagande du régime marocain.
Le Makhzen s’appuie sur la France qui l’entretient et lui assure sa prospérité et la pérennité de la famille alaouite à la tête du trône. Comment expliquez-vous cette collusion entre l’Elysée et le Palais ?
Depuis les accords de 1908, puis 1912, jusqu’à 1956, la France a toujours protégé et parrainé le régime alaouite en contrepartie de la pérennité de ses intérêts au Maroc. Mohammed VI «arrose» la classe politique française de droite comme de gauche et les médias en France. La France dispose de tous les minerais, phosphates et autres, c’est ça l’accord que les premiers Alaouites ont passé avec la France pour préserver leur trône. Mais je demeure convaincu que le jour où le peuple marocain sortira dans la rue pour mettre fin à ce régime alaouite, la France sera le premier rempart auquel le peuple fera face parce que la France ne se laissera pas faire non pas par amour pour la monarchie, mais parce qu’elle n’acceptera pas de céder ses avantages au Maroc.
Le scénario syrien n’aura jamais lieu au Maroc. L’emplacement stratégique important du pays en Afrique du Nord, le fait que le Maroc soit une porte vers l’Europe, les relations privilégiées avec un certain nombre de pays tels que la France, l’Espagne et avec l’Algérie à travers le pipeline qui va jusqu’en Europe, tout cela fait qu’il n’est pas dans l’intérêt de la France de voir la guerre civile éclater au Maroc, étant donné que l’impact de cette guerre arrivera jusqu’en France et même en Europe. Donc, la France n’a pas intérêt à ce qu’une catastrophe arrive à ses portes et elle est déjà en train de préparer le plan «B», à savoir une monarchie parlementaire au Maroc. Mais nous ne voulons plus de monarchie ; nous voulons une république démocratique, laïque, avec la séparation des pouvoirs.
Les citoyens d’Al-Hoceima ne décolèrent pas. Les manifestations y sont quotidiennes. D’autres régions du Maroc sont-elles aussi en ébullition ou ce soulèvement ne concerne-t-il que le Rif ?
Au Maroc, la colère populaire couve dans plusieurs régions. Au Sud, dans le Sahara, à Al-Hoceima et dans le Sahara oriental. Toutes ces régions connaissent une effervescence populaire, mais il faut leur ajouter aussi des villes telles que la capitale Rabat. Et, avec l’arrivée cet été des émigrés, il y aura plusieurs marches qui vont faire pression sur le régime. Le peuple a des revendications légitimes. Dans le Rif, les manifestants demandent une université, un hôpital, une enquête sur l’assassinat de Mohcine Fikri, la promotion de tamazight. Je ne comprends pas pourquoi le Makhzen est aussi stupide pour refuser de satisfaire des revendications aussi légitimes. Et que dire des revendications politiques telles que le jugement du roi, etc. ?
Je pense que la monarchie est arrivée à sa fin et ce n’est qu’une question de temps. Le régime s’est étêté tout seul parce qu’il a refusé de répondre aux doléances les plus élémentaires. Au lieu d’investir dans son pays, le roi passe son temps à voyager et à dilapider les richesses du peuple en investissant dans les pays d’Afrique. Il camoufle tout ceci en se prenant en photos le montrant comme le roi des pauvres, alors que tout cela est construit sur du faux. Les Marocains ne sont pas dupes et savent que nous n’avons pas un Etat construit sur des institutions et que les institutions qu’il a fondées travaillent à asseoir une dictature. Ceci entre dans ce qu’on appelle l’Etat mafieux avec comme parrain Mohammed VI.
Pourquoi le Rif spécialement ? Qu’est-ce qui fait s’insurger les habitants de cette région plus que d’autres ?
N’oublions pas que la région du Rif a un passé historique : la république du Rif et Abdelkrim Al-Khettabi. Ce sont des gens qui n’ont jamais accepté le colonialisme espagnol puis français. Le Nord du Maroc a été le dernier bastion qui est tombé entre les mains des colonisateurs après de longues années de guérilla menée par Abdelkrim Al-Khettabi. La colonisation a provoqué un génocide au Rif en usant de gaz toxiques. Depuis l’indépendance formelle de 1956, le régime n’a rien fait pour cette région. De ce fait, ses habitants se sentent marginalisés et sanctionnés parce qu’ils se sont révoltés contre les Espagnols et les Français. Le roi Hassan II les appelait «les Apaches».
Tous ces éléments historiques font qu’il y a une haine entre le régime et le Nord du Maroc. Le Rif et le Sahara ont été laissés tels quels après l’indépendance du pays et n’ont pas bénéficié des programmes de développement. C’est de cette façon que les Alaouites se vengent de ces régions.
Une réunion de la diaspora du Rif en Europe a eu lieu à Madrid pour la déclaration de la création de la République du Rif et la mise en place d’un gouvernement provisoire. Existe-t-il un risque de partition du Maroc, selon vous ?
Vous parlez du Mouvement du 13 septembre qui est un mouvement séparatiste qui demande la séparation du Rif. Mais ce mouvement n’a pas beaucoup de partisans. La majorité ne veut pas la séparation. Cette tendance séparatiste exploite ce mouvement de protestation pour gagner la sympathie des gens. Mais l’adhésion à ce mouvement au Rif reste faible, car l’ensemble refuse cette idée de partition du Maroc. D’ailleurs, les revendications du mouvement de protestation du Rif sont d’ordre social et sont liées au pouvoir d’achat. Elles ne sont pas politiques.
Cependant, ces manifestations du pain qui ne sont pas satisfaites, peuvent amener d’autres revendications politiques, notamment avec la militarisation du Rif et la concentration de toutes les forces de répression dans la région en prévision de la grande confrontation après plusieurs échauffourées.
Sentez-vous une adhésion de vos concitoyens à votre projet d’instauration d’une république ou sont-ils réellement attachés à leur roi comme le pérore la propagande du Makhzen ?
Il est faux de croire que les Marocains restent attachés au Makhzen. Bien au contraire. Des dizaines, voire des centaines de Marocaines prennent attache avec nous au quotidien pour demander à nous rejoindre. Les services de renseignements du Makhzen multiplient la propagande selon laquelle le roi serait le père des pauvres, qu’il serait populaire. Ils multiplient les séances photographiques du roi avec les citoyens. Mais cela reste de la propagande. Les Marocains ont un seul problème : le franchissement de l’obstacle de la peur. Mais quand ils sauront que les républicains au Maroc sont de plus en plus nombreux, cela leur donnera plus d’assurance. Selon un sondage réalisé par un site internet, 47% des Marocains veulent une république, contre 17% favorables à la succession, 8% pour la monarchie et 28% pour une monarchie parlementaire.
De 2011 à ce jour, nous ne cessons d’œuvrer à ancrer l’idée de la république dans l’esprit des Marocains. Nous avons, dans les villes marocaines, des personnes qui propagent cette idée sur le terrain à travers des rencontres directes avec la population, au sein de mouvements tels que celui du 20-Février, à travers les enseignants, etc. Ces militants ne disent pas qu’ils sont républicains pour ne pas être arrêtés par le régime – nous avons des militants en prison –, mais ils ne manquent aucune sortie pour dire que la solution réside dans l’instauration la république et qu’il est temps de se débarrasser du régime monarchique.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et Ramdane Yacine
Source : Algérie patriotique
https://www.algeriepatriotique.com/article/interview-–-le-militant-républicain-belkezize-tachfine-«les-marocains-ont-honte-»
Belkezize Tachfine. D. R.