Un point de vue de Juif américain qui tient à ne pas confondre « lobby israélien » et « Juifs américains », ces derniers étant majoritairement beaucoup plus progressistes que les organisations qui parlent en leur nom.
L’administration Obama est proche d’un accord avec le gouvernement iranien sur un objectif fixé il y a dix ans. L’Iran abandonnerait tous ses programmes de développement d’armes nucléaires (vérifié par les inspections internationales) en échange de la levée de certaines sanctions internationales, qui ont des conséquences négatives significatives sur l’économie iranienne.
Cette évolution – la possibilité de mettre fin à une menace nucléaire iranienne potentielle et d’arriver à normaliser les relations avec l’Iran après des décennies de gel – a été rendue possible par un événement que peu de gens ont anticipé. C’est l’élection d’un président modéré, Hassan Rouhani, qui a été autorisé par le chef suprême, Ali Khamenei, à vérifier si les Etats-Unis (et les Européens) sont sérieux quant à la paix en échange d’une promesse de renoncement aux armes. Par chance, dans l’administration Obama, les Iraniens ont un partenaire de négociation sérieux pour faire progresser les relations Iran-États- Unis si l’Iran abandonne l’option nucléaire.
Les négociations ont commencé et ont avancé beaucoup plus rapidement qu’on aurait pu s’y attendre. Il y a une semaine, le secrétaire d’État John Kerry était sur le point d’annoncer le premier pas vers une percée lorsque, apparemment le gouvernement français a fait des objections, provoquant la suspension du processus et donnant au lobby israélien l’occasion qu’il attendait pour tuer les négociations. Bien sûr, en tant que telle, la position française compte très peu à Washington. Deux exemples : la France était opposée à la guerre en Irak et ils ont soutenu le bombardement en Syrie. On les a simplement ignorés. Non, la France ne compte pas beaucoup à Washington. Mais le lobby, c’est une autre histoire.
Néanmoins, les Français ont donné au lobby le délai dont il avait besoin. Et ça a marché. Voici la ligue anti-diffamation (Anti-Defamation League) d’Abraham Foman qui déclare que l’ouverture de Kerry à la Syrie est le « chutzpah », l’insolence, dont il espère qu’elle « unira les juifs américains » dans l’opposition. Il y a aussi Alan Dershowitz, l’avocat et porte-paroles pro-israélien, qui compare Kerry à Neville Chamberlain et, comme Foxman, déclare que « l’ensemble de la communauté pro-Israël doit s’unir » contre l’accord avec l’Iran.
Plus significatif encore, le memo du lobby officiel AIPAC (American Israël Public Affairs Committee) envoyé au Congrès qui dit : « Pour éviter toute méprise avec l’Iran, l’Amérique doit clairement faire savoir qu’elle n’envisagera aucun allègement des sanctions tant que l’Iran n’aura pas suspendu son programme nucléaire de manière vérifiée. Si les activités nucléaires de l’Iran se poursuivent, les Etats-Unis et la communauté internationale devront renforcer les sanctions et réitérer le message du président Obama selon lequel une option militaire crédible est sur la table pour empêcher l’Iran de développer ses armes nucléaires. »
La position de l’AIPAC est, sans surprise, identique à celle du Premier ministre Netanyahu, et à l’opposé de l’approche de Kerry. Comme cela se passe normalement dans toute négociation réussie, Kerry utilise une approche par étapes : offrant quelques suspensions de sanctions en échange de quelques preuves vérifiables que l’Iran se dirige vers l’élimination de son potentiel d’armes nucléaires. L’AIPAC (et Netanyahu) exigent que l’Iran suspende d’abord la totalité de son programme nucléaire (ils ne font aucune distinction entre le civil et le militaire) et, ensuite, les Etats-Unis considéreront « l’allègement des sanctions ». Chutzpah ?
Cette position conduisant elle-même rapidement à une menace militaire (« l’option militaire crédible ») il est évident que Netanyahu et le lobby comprennent qu’aucun pays n’acceptera une négociation dans laquelle il abandonne tout en échange de quelque chose peut-être plus tard. Non, l’objectif de la position du lobby c’est « l’option militaire ». Et c’est ce qui est si étonnant de la part de la position du lobby.
C’est une chose pour le lobby de contrecarrer constamment les efforts américains pour aboutir à un accord israélo-palestinien. Bien que de courte vue et contraire aux intérêts des Etats-Unis et d’Israël, la position du lobby ne menace pas directement les intérêts américain sécuritaires. Oui, on peut répondre que la poursuite du conflit israélo-palestinien finira par menacer les vies américaines et les intérêts régionaux en général, mais c’est une supposition, on ne peut le prouver.
Le cas de l’Iran et différent car l’administration Obama cherche à éviter une guerre qui mettrait en péril des vies américaines. Une fois les bombes larguées, les Etats-Unis se retrouveraient engagés dans une autre guerre meurtrière au Moyen Orient, ce qui est la dernière chose qu’ils souhaitent. Comme l’a démontré le débat syrien, le peuple américain s’oppose quasiment à une autre guerre.
Mais le lobby apparemment ne voit pas les choses de la même manière. Bien que, comme Netanyahu, il prétende que son but est d’empêcher une bombe iranienne, il rejette les efforts de l’administration étonnamment fructueux pour poser des conditions dont il sait qu’elles ne peuvent être remplies. Il veut l’ « option militaire » parce que son objectif n’est pas d’éliminer une quelconque menace nucléaire iranienne, mais la République islamique en tant que puissant régionale.
En théorie, ni le lobby, ni Netanyahu ne devraient pouvoir s’en sortir impunément. Après tout, l’administration agit dans l’intérêt des États-Unis quand ils agissent dans celui de Netanyahu.
Mais ils pourraient s’en tirer sans problème. Parce que le Congrès peut le leur permettre. Les Républicains s’opposent à tout ce que fait le président Obama. Par définition, tout ce qui fait est mal. Choisir Netanyahu plutôt qu’un président qu’ils méprisent est aussi naturel pour eux que fermer le gouvernement. Quant aux Démocrates, ils reçoivent une partie consistante de leurs fonds de campagne électorale du lobby. Contrairement au soutien à l’intervention syrienne qui était une initiative mineure, faire échouer un accord avec l’Iran en faveur de l’option militaire, est l’initiative n°1 du lobby (et de Netanyahu). Ceux qui soutiennent les négociations pourraient réellement en payer le prix.
Cependant, ce ne serait pas un prix aussi élevé que Netanyahu et le lobby voudraient leur faire croire. Selon les sondages (cf le sondage du Comité juif américain et le récent sondage Pew), l’écrasante majorité des Juifs américains sont des progressistes qui soutiennent les Démocrates parce qu’ils trouvent que les Républicains vont à l’encontre de l’éthique des valeurs qui leur tiennent à cœur. Les Juifs sont de façon écrasante « pro-choix*, pro-égalité de mariage, pro-action affirmative, pro-travailleurs, pro-immigration, pro-règlement » et, pour le traduire en termes républicains, « pro-grand gouvernment ». Peu importe combien ils pourraient gagner, ils ne se trouvent jamais avec les anti-impôts, croyant (comme l’enseigne la Thora) que c’est une obligation pour les riches de soutenir ceux qui ne le sont pas.
Oublions tout cela. Lorsque vient le moment des vraies questions de sécurité nationale – comme éviter une guerre inutile – un président et un congrès doivent faire ce qu’il faut faire sans tenir compte de ce que dit un quelconque lobby. L’intérêt national supérieur – les vies américaines – doivent passer d’abord. Et le lobby et Netanyahu doivent savoir qu’ils dépassent les bornes, pour le dire gentiment. Dans l’intérêt de la paix mondiale, d’Israël et de l’Iran, et pardessus tout, des États-Unis, ces négociations doivent aboutirent.
* Idée politique et éthique que les femmes devraient avoir le contrôle de leur grossesse et de leur fertilité. S’y ajoutent notamment la liberté sexuelle, le droit au recours à l’avortement légal et encadré, et le libre choix de la contraception On l’oppose dans ce contexte aux mouvements pro-vie, pour lesquels la liberté des femmes ne peut pas être utilisée comme argument pour contester le droit à la vie de l’embryon.
Par MJ Rosenberg
(source https://www.tikkun.org )