Accusées d’atteinte à la sûreté de l’Etat, trente et une personnalités ont été déchues de leur nationalité, alors que Manama affirme que la contestation est manipulée par l’Iran et le Hezbollah.
Taymour Karimi n’a pas reçu de notification officielle. C’est, dit-il, en regardant les informations à la télévision que cet avocat célèbre à Bahreïn, proche de l’opposition, a appris qu’il était déchu de sa nationalité.
Aux côtés du sien, les noms de trente Bahreïnis touchés par la même mesure ont été publiés, mercredi 7 novembre, par le ministère de l’intérieur. Tous sont accusés d’avoir porté » atteinte à la sûreté de l’Etat « . Une décision » choc « , dénonce Jassim Hussain, membre du Wifaq, la principale formation de l’opposition. Selon lui, » jamais, au cours des dernières années, autant de révocations n’avaient été prononcées d’un coup. » Les personnes concernées pourront faire appel de cette décision.
Toutes sont de confession chiite. On compte parmi elles deux anciens députés du Wifaq, les frères Jalal et Jawad Fairouz ; le fils d’Hassan Machaimaa, l’un des chefs de l’opposition radicale condamné à la prison à vie ; plusieurs figures intellectuelles ou religieuses ; et des militants anti-régime, comme Sayed Mohammed Ali Al-Moussawi. Déjà emprisonné dans les années 1980, Sayed Mohammed Ali Al-Moussawi avait été à nouveau incarcéré en 2011, accusé de complot contre l’Etat. Mohammed Ali Al-Moussawi, Taymour Karimi ou Jawad Fairouz, comme d’autres sur la liste des 31, sont des Ajami, des Bahreïnis chiites d’origine perse (près de 8 % de la population). Leur arrestation visait à » lier les manifestations anti-régime à l’Iran « , expliquait l’un d’eux.
Depuis le début de la révolte à Bahreïn, dans la foulée du » printemps arabe « , les autorités dénoncent l’ingérence de l’Iran, ce que conteste l’opposition. La révolte dans cet archipel du Golfe est portée depuis février 2011 par la communauté chiite, majoritaire dans le royaume. Elle réclame un partage du pouvoir avec la monarchie sunnite des Al-Khalifa.
En supprimant la nationalité à des membres de la communauté ajami, le régime met à nouveau en doute leur loyauté à la patrie. Mais il s’agit surtout, aux yeux de Taymour Karimi, » de faire peur à la population. » » Parmi les « 31 », beaucoup sont des notables, c’est une manière de dire que nul n’est à l’abri. «
La thèse du complot ourdi par l’étranger, entretenue par les autorités, a été à nouveau avancée mardi par le pouvoir, qui avait alors accusé le Hezbollah libanais d’être derrière les cinq attentats à la bombe commis la veille dans la capitale Manama. Deux personnes avaient été tuées et une autre gravement blessée. Depuis la mort, fin octobre, d’un policier tué dans une attaque, les rassemblements sont interdits dans le royaume.
Le parti chiite libanais a rejeté ces » accusations mensongères » renvoyant la responsabilité aux » services de renseignement bahreïnis » qui cherchent à discréditer » l’opposition pacifique, afin d’éluder ses revendications « .
Ce n’est pas la première fois que le ton monte entre Manama et le Hezbollah. En mars 2011, peu après l’écrasement des manifestations massives de la place de la Perle, centre névralgique de la capitale, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait dénoncé la répression. Bahreïn avait alors accusé le mouvement de fomenter l’agitation dans le royaume.
Quatre personnes ont été arrêtées dans le cadre de l’enquête sur les attentats de lundi. » Ce n’était pas une attaque spontanée, mais une opération très organisée, dans des lieux centraux, visant à déstabiliser Bahreïn « , commente Salman Al-Jalahma, l’un des porte-parole de l’Autorité de l’information. L’opposition menée par le Wifaq a condamné » la violence sous toutes ses formes « . Elle réclame une enquête indépendante et redoute à mots couverts que ces actes de violence ne soient utilisés pour intensifier la répression, voire pour rétablir l’état d’urgence.
L’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) a appelé, jeudi matin, les autorités bahreïnies à revenir sur leur décision de déchoir 31 citoyens de leur nationalité, y voyant une » violation » du droit international. Seuls 6 de ces 31 militants chiites disposent d’une autre nationalité, indique HRW. Amnesty International a aussi protesté contre cette décision » effrayante « .
Laure Stephan, Le Monde
9 novembre 2012