Au cours de ces derniers mois, le Fonds monétaire international a annoncé une aide de $430 millions pour combattre Ebola au Sierra Leone, en Guinée et au Liberia où l’épidémie est la plus dévastatrice. « C’est une bonne chose d’augmenter le déficit fiscal lorsqu’il s’agit de soigner les gens, de faire le nécessaire pour essayer de contenir vraiment la maladie. Le FMI ne dit pas cela très souvent », déclarait le directeur de l’institution international, Christine Lagarde, à ce propos. Cependant, une étude publiée le 22 décembre par la revue médicale internationale The Lancet, référence en la matière, le FMI n’a-t-il pas contribué aux difficultés de ces pays à combattre le virus ? Selon les dernières estimations de l’OMS, l’épidémie a fait, jusqu’ici plus de 8 000 victimes, probablement près de 10 000, pour plus de 20 000 personnes infectées.
Se basant sur les archives du FMI pour les années 1990 à 2014, la réponse des auteurs de l’article est claire : « le FMI est, en partie, responsable de l’ampleur de l’épidémie d’Ebola dans ces trois pays d’Afrique de l’ouest », peut-on lire.
En faisant du remboursement de la dette et de la reconstitution des réserves en devises la condition préalable aux prêts accordés durant les vingt dernières années, l’institution internationale a porté une grave atteinte aux dépenses de santé. « La politique préconisée par le FMI a contribué à sous-financer le système de santé dans les pays qui connaissent l’explosion d’Ebola », estime Alexander Kentikeneni, professeur à l’université de Cambridge et l’un des auteurs de l’article. Depuis 1990, ces trois pays qui ont connu des conflits dévastateurs, dépendent des programmes du FMI et doivent obéir à ses injonctions “donnant la priorité à des objectifs économiques à court terme au détriment de la santé ou de l’éducation.”
Les vieilles recettes du FMI – coupes budgétaires dans le secteur public et privatisations – ont été appliquées sans états d’âme, avec les mêmes conséquences prévisibles. L’étude n’évalue pas précisément l’impact de la politique du FMI sur l’épidémie et le nombre des victimes, mais constate que d’autres pays touchés, comme le Sénégal ou le Nigéria, ont mieux résisté à la diffusion du virus grâce à des systèmes de santé plus performants.Le FMI conteste, bien sûr, les conclusions de l’étude. « Le FMI travaille sur des mécanismes qui (nous) permettent rapidement d’aider ces pays à rembourser leur dette, ce qui permet de libérer plus de ressources qui peuvent être utilisées pour les dépenses de santé », écrit Sanjeev Gupta, l’un des représentants de l’institution basée à Washington. Il précise que les dépenses de santé ont augmenté de 1,6 % au Liberia, de 0,7 % en Guinée et de 0,2 % au Sierra Leone entre 2010 et 2013. Mais était-ce suffisant ?
Non, selon le Lancet dont l’étude est publiée alors que l’aide internationale pour lutter efficacement contre l’épidémie d’Ebola reste insuffisante et fait l’objet de critiques de plus en plus acerbes. En 2013, peu avant l’explosion de l’épidémie, la Guinée avait attiré l’attention du FMI dans une lettre publiée dans l’étude du Lancet, en soulignant que « malheureusement, du fait des réductions des dépenses, il n’a pas été possible de respecter les objectifs indicatifs de financement des secteurs prioritaires ». Le Sierra Leone avait également déclaré que les objectifs prioritaires de dépenses dont la santé, n’avaient pas été atteints à cause du faible investissement dans les dépenses publiques.
En second lieu, dit l’étude, les coupes budgétaires exigées par le FMI en matière de dépenses de santé ont affecté de façon dramatique le personnel médical en termes d’emplois et de salaires. En 2010, alors que le Sierra Leone lançait son programme Free Health Care Initiative (accès gratuit aux soins), « le FMI insistait sur la nécessité d’en évaluer les implications fiscales avec beaucoup d’attention », et privilégiait « une approche plus graduelle de l’augmentation des salaires dans le secteur de la santé ».
Enfin, le FMI, souligne l’enquête, a fortement prôné la décentralisation des systèmes de santé en délocalisant les responsabilités. Ce qui, « dans la pratique, a rendu plus difficile la mobilisation, la coordination et les réponses centralisées à l’explosion de l’épidémie ».
« Ces facteurs sont cumulatifs, dit l’enquête, et ont contribué au manque de préparation des systèmes de santé face à l’épidémie et autres urgences. Le FMI a largement proclamé son intérêt pour les questions sociales, sans toutefois aucun effet sur les systèmes de santé des pays à faibles revenus. Les commentaires sympathiques de Lagarde concernant la priorité de la santé publique sur la discipline fiscale ne sont pas les premiers au FMI. Ses prédécesseurs s’étaient déjà exprimés de la même manière, sans suite. » Alexander Kentikelenis estime qu’Ebola a été « un test pour nombre d’institutions internationales. Des leçons doivent être tirées ». La commission d’enquête sur la santé du Lancet a lancé un appel à l’augmentation des dépenses de santé et à la formation et au recrutement de personnels. « L’expérience d’Ebola ajoute un degré d’urgence à l’application de ces recommandations », concluent les auteurs.