Le problème est que la Tunisie, dont l’économie est très dépendante de l’extérieur, n’arrive toujours pas à prendre en charge résolument la question sociale alors qu’elle a été l’élément déclencheur de la révolution.
Adel Khadri s’est immolé, hier matin, par le feu sur l’avenue Habib Bourguiba, «l’artère» par excellence de la révolution. Les dernières nouvelles indiquent que les jours de ce vendeur à la sauvette ne sont pas en danger même s’il a été très gravement brûlé. Officiellement, en Tunisie, le geste dramatique de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, a ouvert la voie au changement qui rendrait inutile le recours à ces formes extrêmes et suicidaires de protestation.
Le problème est que la Tunisie, dont l’économie est très dépendante de l’extérieur, n’arrive toujours pas à prendre en charge résolument la question sociale alors qu’elle a été l’élément déclencheur de la révolution. La transition est difficile comme on s’y attendait. Changer de régime et aller vers la démocratie n’a rien d’une promenade. Les forces politiques cherchent leurs marques et se battent, rudement, pour fixer le cadre politique et constitutionnel au pays. Ces batailles, normales, portent sur des aspects idéologiques importants et sur des questions cruciales se rapportant aux libertés. Elles ont créé une polarisation politico-idéologique extrême qui est allée jusqu’à – c’est du moins ce que laisse entendre la mise en cause d’éléments salafistes – l’assassinat de Chokri Belaïd.
Il serait très déplacé pour reprocher aux forces politiques de se battre pied à pied pour fixer le cadre des libertés individuelles et collectives et pour refuser que se mette en place une nouvelle version de l’autoritarisme. Les batailles pour les libertés sont fondamentales. Il reste que la situation de blocage politique et le spectacle, pas toujours glorieux, des échanges politiciens traduisent un inquiétant éloignement des acteurs politiques de la réalité sociale douloureuse vécue par le plus grand nombre. En Tunisie, l’arrière-pays d’où est venue la révolte a le sentiment que le message de la protestation sociale qui a fait tomber Ben Ali a cessé d’être entendu. Chez les chômeurs, le désenchantement et la désespérance s’alimentent du sentiment que la révolution a été confisquée par des politiciens qui ont des préoccupations très éloignées des leurs. C’est l’un des grands risques pour la transition.
La distance que prennent les institutions – gouvernement, assemblée constituante et partis politiques – à l’égard des urgences sociales du pays est dangereuse. C’est une prise de distance à l’égard des Tunisiens eux-mêmes ! Aujourd’hui en Tunisie on met en exergue un péril posé par les salafistes, mais il ne faut pas occulter que le désespoir social en est l’un des meilleurs agents recruteurs. Il y a eu à l’intention des « politiciens de Tunis » de nombreuses alertes qui exprimaient clairement une impatience sociale grandissante. A Sidi Bouzid comme dans d’autres villes du pays, le rappel est régulièrement fait. Hier, un jeune chômeur l’a fait au péril de sa vie. Alors que le gouvernement Laareyedh a été laborieusement constitué et que les échanges politico-idéologiques restent particulièrement vivaces, le geste d’Abdel Khadri sonne comme un nouvel avertissement. Le feu social couve sous la transition.
Le Quotidien d’Oran
13 mars 2013
Par M. Saadoune