Nombreux sont les festivals de cinéma à travers le monde qui s’étaient imposé, au fil des ans, par la qualité de leurs sélections et la rigueur de leur organisation. De la Mostra de Venise à la Berlinale en passant par Malmö, Los Angeles, Le Caire, Moscou, Carthage, Marrakesh, Alexandrie, El Gouna, le Festival de Cannes reste le plus attractif et le plus intéressant pour l’industrie cinématographique mondiale et particulièrement pour les cinéastes du monde arabe qui sont de plus en plus nombreux à se donner rendez-vous dans cette pittoresque et paisible petite ville balnéaire de la Côte d’Azur qui voit sa population tripler pendant les dix jours du déroulement du festival au mois de mai de chaque année. Producteurs, acteurs, metteurs en scènes, distributeurs techniciens, affluent vers cette cité et ses environs pour participer à cet événement. Sans oublier les deux milles journalistes et critiques de cinéma du monde entier venus couvrir les moindres faits et gestes des stars du cinéma et être au courant des dernières tendances de cette industrie. C’est aussi une aubaine pour les starlettes abonnées à des rêves de gloire qui virent souvent au miroir aux alouettes, qui sont prêtes à tout pour charmer et forcer l’attention.
Mahmoud Al Rashed – Cannes
Le cinéma arabe a toujours été présent à Cannes depuis la création du festival en 1946. Pour rappel, le réalisateur Muhammad Karim, qui a révélé l’actrice égyptienne Faten Hamama et signé son chef d’œuvre Dunia, a vu son œuvre admise en compétition au Festival de Cannes en 1946, année de sa création. Malheureusement, aucun film arabe n’a été sélectionné en compétition officielle cette année, à l’exception du réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Salih. Il a été présent en sélection officielle à travers son nouveau film « Boy From Heaven, un thriller qui a pour théâtre la prestigieuse université d’Al-Azhar haut-lieu de l’islam sunnite, au Caire, mettant en scène la rivalité des pouvoirs religieux et politique en Égypte.
Cette année, où le Festival de Cannes célèbre en grande pompe son 75ème anniversaire, la présence arabe ne s’était pas illustrée donc par le nombre de films ou d’acteurs et d’actrices, mais surtout par la présence en force de presque tous les directeurs de festivals de cinéma que compte le monde arabe. Il s’agit d’un phénomène nouveau qui traduit d’un côté la fascination de ces animateurs et influenceurs du cinéma arabe par le festival de Cannes, et d’un autre côté leur désir de communiquer, promouvoir leurs propres festivals, être au fait des dernières tendances et révélations et, surtout, signer des contrats avec des producteurs, des réalisateurs, des acteurs et actrices pour les convaincre d’honorer de leur présence les prochaines sessions de leurs festivals. Ils se sont également servis de cette tribune d’exception pour promouvoir leurs festivals, organiser des conférences de presse et lever le voile sur leur future programmation et sélection. D’autant plus que l’écrasante majorité des festivals de cinéma arabes se déroulent quelques mois après le festival de Cannes. Il en est ainsi du Festival d’Alexandrie qui a lieu début septembre de chaque année, présidé par le critique cinématographique Alamir Abaza ou du Festival international de cinéma de Carthage (aussi appelé Journées cinématographiques de Carthage JCC) dirigé par la réalisatrice et écrivaine Sonia Chamkhi, qui se déroule du 29 octobre au 5 novembre, ou du Festival international du film d’auteur de Rabat, dirigé par Malak Dahmouni, académicienne et spécialiste du management et du développement culturel, et qui a lieu début décembre et, enfin, le Festival international du Film du Caire, présidé par le grand acteur égyptien Hussein Fahmy, qui a lieu du 13 au 22 novembre chaque année. Pour être complet, il convient de signaler que seuls deux événement culturels internationaux se déroulent avant le Festival de Cannes : le festival international du film africain de Louxor, présidé par Sayed Fouad et Izzat al-Husseiny (CF : https://www.afrique-asie.fr/le-onzieme-festival-du-film-africain-de-louxor-met-lafrique-a-lhonneur/) s’est tenu cette année du 5 au 9 mars à Louxor (en Haute Égypte). Ses co-présidents s’étaient illustrés à Cannes par une présence dynamique ne manquant aucune activité (projections, débats, conférences de presse, rencontres…).
Quant au Malmö Arab Film Festival (MAAF), qui a eu lieu entre le 4 et le 9 mai 2022 à Malmö (Suède), il a été représenté à Cannes par son président Mohamad Keblawi. Grâce à son sens de l’organisation et à son carnet d’adresses dans le monde du 7ème art et de la culture, il a réussi en un temps record à imposer le MAAF comme le premier festival de cinéma arabe dans le continent européen. Depuis son lancement en 2011, le MAAF est devenu le lieu d’affluence et de rendez-vous de tous les acteurs, producteurs, metteurs en scènes, industriels et critiques de cinémas qui affluent chaque année des quatre coins du monde arabe et ailleurs vers cette cité balnéaire suédoise située sur la côte du détroit de l’Öresund, qui donne sur la Baltique.
Pour son président, Mohamed Keblaoui, suédois d’origine palestinienne, le MAAF, n’est pas seulement un festival comme un autre. Il est loin de se limiter à un espace où on projette des films, organise des débats et des colloques dédiés au cinéma arabe, à la présence d’acteurs, de metteurs en scène et de producteurs. Il est devenu, en plus de tout cela, une institution qui contribue au succès de nombreuses nouvelles œuvres cinématographiques ou en création. Le MAAF accompagne en effet les nouveaux talents ou projets à travers son programme du festival dédié au soutien à l’industrie cinématographique arabe et à la coproduction entre le monde arabe et les pays nordiques. Ce programme, affirme Mohamed Keblaoui, a débuté il y a déjà huit ans. Chaque année, 21 projets venant d’au moins 19 pays sont sélectionnés pour la compétition. Ils sont classés en quatre catégories : développement de courts métrages, développement de longs métrages, développement de documentaires, et octroi de bourses pour des films de fiction et documentaires.
Hussein Fahmy, omni présent à Cannes
Le grand acteur Hussein Fahmy aura été la personnalité cinématographique égyptienne la plus active et la plus dynamique à Cannes, non seulement à titre personnel, mais surtout en tant que président du Festival du film du Caire. Il s’était dépensé sans compter pour promouvoir le cinéma égyptien. Il a installé un pavillon spécial pour l’Égypte dans le marché du film de Cannes, la plate-forme commerciale du Festival de Cannes, qui a été créé en 1959. Assisté de quelques techniciens du Festival du Caire, dont le directeur artistique du festival, Amir Ramssis, Hussein Fahmy passait l’essentiel de son temps à promouvoir le Festival international du film du Caire, l’un des festivals les plus anciens et les plus réguliers du monde arabe et d’Afrique, le seul festival de la région arabe et africaine à adhérer à la prestigieuse Fédération internationale des producteurs de Paris « FIAPF ».
Mettant à profit la grande audience et caisse de résonnance médiatique que lui offre le Festival de Canne, Hussein Fahmy a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé l’ouverture des soumissions de projets de films arabes à la neuvième édition du Forum du film du Caire, sorte de marché de coproduction qui fait partie intégrante des activités de la 44e session, qui aura lieu du 13 au 22 novembre. C’est la célèbre Lynda Belkhiria, une programmatrice cinéma, productrice et directrice de programmes bien expérimentée qui a été recrutée pour diriger le prochain forum du Caire.
Pour le réalisateur Amir Ramssis, directeur du Festival du Caire, le choix de Lynda Belkhiria était le bon choix à faire, grâce notamment à ses compétences, sa longue expérience acquise grâce à sa participation en tant que programmatrice à de nombreux festivals prestigieux. Il ne fait pas doute, pour lui, que la coopération avec cette forte personnalité portera ses fruits et apportera une plus-value certaine dans la gestion du prochain forum du film du Caire.
Le Président du Festival du Caire Hussein Fahmy a conclu sa conférence de presse sur une note d’espoir, exprimant son aspiration à recevoir de nouveaux projets cinématographiques au sein du Cairo Film Forum, qui, au cours de ses précédentes éditions, a-t-il souligné, a été une plate-forme qui a permis la révélation de nouveaux talents dans le domaine du cinéma arabe et international. Il a enfin exprimé l’espoir, en tant que président du festival et en tant qu’artiste arabe, de voir cette politique de soutien et de subvention à de nouveaux talents se poursuive car, dit-il, la prospérité et le développement de l’industrie cinématographique dans le monde arabe en dépend.
Carthage à Cannes : la Tunisie toujours présente
Comme à l’accoutumée, la présence tunisienne au Festival de Cannes a été massive. De nombreux cinéastes y avaient donné rendez-vous et à leur tête Sonia Chamkhi la dynamique Présidente du Festival du film de Carthage. Réalisatrice, romancière, chercheuse et universitaire, elle a signé de nombreux livres et recherches sur le cinéma, l’art, la littérature et l’audiovisuel. Elle était accompagnée par le directeur technique des Journées cinématographiques de Carthage, Ibrahim LETAIEF, un producteur et réalisateur tunisien de renom qui a accumulé une vaste expérience dans le domaine du septième art et a remporté de nombreux honneurs et récompenses. Mettant à profit la formidable interface médiatique que présente le Festival de Cannes, Sonia Chamkhi, à l’instar de son homologue Hussein Fahmy, a tenu une conférence de presse dans le pavillon tunisien surplombant la Croisette, l’unique pavillon d’un pays arabe au Festival, en présence d’un grand nombre de cinéastes et critiques arabes et étrangers. Elle a d’emblée annoncé que « le Festival du Film de Carthage fête cette année son 56ème anniversaire. ». « C’est, ajouta-t-elle, le plus ancien festival du film arabo-africain, créé et présidé par le regretté tunisien Taher al-Sharia en 1966. Un festival qui poursuit son chemin au service du renouveau et de la promotion du cinéma arabe et africain. » « Ce qui distingue Les Journées cinématographiques de Carthage, des autres festivals, poursuit-elle, c’est qu’elles privilégient le cinéma d’auteur et les films engagé. Nous tenons à présenter notre culture à l’autre telle que nous la voyons et la voulons et non telle que présentée ou imaginé par l’Autre. » Le Festival de Carthage n’est pas seulement réservé aux spécialistes du 7ème art. Chaque année, dit-elle, cette manifestation attire entre deux cent et deux cent cinquante mille spectateurs, et si on avait un plus grand nombre de salles, la fréquentation aurait doublé car le peuple tunisien aime l’art, le cinéma et la vie ». Elle a loué au passage le travail collectif fourni par ses collaborateurs, particulièrement le rôle névralgique de son adjoint, le Directeur technique du festival, Ibrahim Letaief, qui joue le rôle de cheville ouvrière dans le succès des Journées. « Carthage n’est pas seulement un festival de cinéma, mais un espace de communication ouvert sur l’autre, explorant de nouveaux horizons de dialogue entre le Nord et le Sud, et un atelier artistique riche d’échanges d’expériences, de connaissances et d’opinions dans tous les domaines du cinéma, de l’art et de la culture… » Cédant la parole à Ibrahim Letaief, ce dernier a exposé la prochaine programmation des JCC qui comprendra comme d’habitude plusieurs compétitions : des longs métrages, des courts métrages, des films documentaires, des films jeunesse.
La 34e édition des JCC, qui aura lieu du 29 octobre au 5 novembre 2022, proposera, en plus de l’habituelle compétition officielle, plusieurs nouveautés dans sa programmation.
Le festival organise cette année une Semaine des critiques qui comprendra 9 films et qui sera ouverte à des critiques de cinéma du monde entier. D’autre part, se tiendra cette année les « Industry Carthage Days » (Les Journées de l’Industrie cinématographique de Carthage) qui sera un espace de réflexion sur l’industrie du cinéma et apportera un soutien de taille pour les films en phase de postproduction en organisant des rencontres entre cinéastes, producteurs et distributeurs de films.
La section « Les JCC dans les prisons » lancée en 2015 sera reprise cette année, mais sera plus active et plus impliquée, puisque les détenus auront la possibilité de voter pour les films. D’autre part, des ateliers d’écriture seront organisés dans différentes prisons et un prix du meilleur scénario sera décerné.
La directrice générale des JCC, Sonia Chamkhi conclue sa conférence en annonçant que lors de la 34 édition, « Nous consacrerons quelques programmes à la Palestine. Parce que nous voulons la liberté pour le peuple de Palestine et pour tous les peuples ». La douloureuse tragédie des immigrés engloutis par la mer, alors qu’ils tentent de regagner la rive nord de la Méditerranée sera à l’ordre du jour de ces Journées.
Enfin un hommage sera rendu à des cinéastes disparus, notamment à la réalisatrice algérienne Yamina Bachir Chouikh, décédée cette année à 68 ans qui avait signé le film Rachida, ainsi qu’à la réalisatrice tunisienne Kalthoum Bornaz, décédée en 2016.
Un hommage spécial sera rendu enfin au grand réalisateur égyptien, Daoud Abdel Sayed, qui participera à cette 34 édition des JCC.Vaste programme !
Une présence arabe dans les jurys
Faute d’être présents dans la sélection officielle, les cinéastes et critiques de cinéma arabes étaient bien représentés dans les différents jurys du Festival.
Le réalisateur égyptien Yousry Nasrallah a ainsi présidé le jury des courts métrages qui a pour mission d’attribuer, parmi les 9 films sélectionnés en Compétition, la Palme d’or du court métrage. Le même jury a également pour mission de décerner les trois prix de la CINEF aux meilleurs des 16 films d’écoles en compétition cette année.
Également égyptien, le critique de cinéma Ahmed Shawky a présidé le jury de la Fédération internationale des critiques de cinéma, où siégeait aussi le critique marocain Jihan Bougrain.
La cinéaste et scénariste tunisienne Kaouther Ben Hania, réalisatrice du film « L’homme qui a vendu sa peau », s’est vue confier la présidence du jury de la Semaine de la Critique, section parallèle cannoise dédiée aux premiers et seconds films.
Trois films arabes ont également participé à la compétition « Un certain regard », importante compétition non officielle du festival. Le premier film de la réalisatrice palestinienne Maha Al-Hajj, Mediterranean Fever, est l’histoire d’une rencontre, celle de Waleed, 40 ans, écrivain et père de famille souffrant de dépression, avec son voisin Jalal, escroc à la petite semaine. Par hasard, il développe une amitié avec lui. Ce dernier commence à mettre en œuvre un stratagème diabolique pour l’aider à sortir de son état de dépression chronique.
Dans la même compétition, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani a participé à son film « Le Caftan bleu ». Il s’agit de la deuxième participation de la réalisatrice marocaine aux activités du festival, puisqu’elle avait précédemment projeté son film « Adam » lors de l’édition cannoise de 2019.
Avec Le Bleu du Caftan, présenté au concours Un Certain regard, Maryam Touzani signe un film sur l’amour et la liberté, « celle d’être qui on est, et d’aimer qui l’on veut aimer. »
Les événements du « Caftan bleu » tournent autour du couple, Halim et Mina, qui tiennent une boutique spécialisée dans les caftans marocains dans la ville de Salé, adjacente à Rabat.
Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.
Le troisième film est « Harka », réalisé par le tunisien Lotfy Nathan qui signe là son premier long métrage. Le film traite de la difficulté de la vie en Tunisie post-printemps arabe, à travers l’histoire du jeune tunisien Ali, jeune tunisien rêvant d’une vie meilleure, qui mène une existence solitaire, en vendant de l’essence de contrebande au marché noir. À la mort de son père, il doit s’occuper de ses deux sœurs cadettes, livrées à elles-mêmes dans une maison dont elles seront bientôt expulsées. Face à cette soudaine responsabilité et aux injustices auxquelles il est confronté, Ali s’éveille à la colère et à la révolte. Celle d’une génération qui, plus de dix ans après la « révolution », essaie toujours de se faire entendre… En dehors de la compétition officielle, et dans le cadre de la compétition La Quinzaine des réalisateurs, trois films arabes ont été sélectionnés. Dans cette compétition, on tombe généralement sur des films qui rencontrent, par leur qualité, plus de succès auprès des cinéphiles et du grand public que ceux primés par la sélection officielle. C’est le cas de la réalisatrice et productrice franco-tunisienne, Erige Sehiri qui a signé son long métrage Sous les figues. Le réalisateur tunisien Youssef Chebbi a été également sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs avec son premier long métrage Ashkal. Le comité de sélection justifie son choix par le fait qu’il s’agit d’un « premier long métrage fascinant tant par sa mise en scène plastique que pas ses évocations religieuses et politiques ». Le troisième film sélectionné est « Le barrage » du réalisateur libanais Ali Shari. Le film raconte la vie, la révolte et les aspirations des ouvriers dans différentes briqueteries qu’il a interrogés et avec qui il s’est familiarisé.
Par Mahmoud Al Rashed, Cannes