Les Touaregs indépendantistes du MNLA ont proposé de rejoindre les forces françaises contre les islamistes. Ils s’étaient pourtant alliés à eux dans la conquête du Nord, qu’ils ne veulent pas céder. Détestés par les Maliens du Sud, ils affronteraient aussi les Touaregs restés fidèles aux rebelles.
« Nous sommes prêts à aider l’armée française contre les groupes islamistes », a déclaré le 15 janvier le porte-parole du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Ibrahim Ag Mohamed Assaleh. C’est bien, a priori, ce que peuvent attendre les stratèges du ministère français de la Défense pilotant l’opération Serval au Mali. Après avoir porté dans l’urgence un coup d’arrêt aux colonnes réunifiées des mouvements djihadistes (Al-Qaïda, Mujao, Ansar Eddine) descendant vers Mopti et Bamako, les troupes françaises vont se lancer dans la deuxième phase, ce que Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, a maladroitement appelé la « reconquête du Nord » autour des villes de Gao, Kidal et Tombouctou.
Car qui mieux que les Touaregs connaît cet immense espace de désert et de montagnes ? Mythiques « hommes bleus » dont la légende coloniale semble faire les alliés naturels des troupes françaises… On sait que devant leur caractère peu offensif et surtout peu familier des espaces sahariens, les troupes des pays de la Cedeao se sont vu adjoindre des soldats aguerris de l’armée tchadienne, accoutumés au milieu physique du Nord du Mali, qui ressemble fort au nord du Tchad. D’autant plus que si la « guerre nomade » s’étendait au Sahel, les Touaregs du Mali pourraient la continuer sans peine : n’ont-ils pas leurs frères touaregs établis au Niger, au Burkina, en Algérie et même en Libye, formant un peuple sans État, divisé entre plusieurs pays, en quête d’un foyer national ?
Sauf que le dilemme français par rapport aux offres de collaboration touarègues se heurte à une réalité politique particulièrement ancrée dans les esprits des Maliens du Sud et de la classe politique de Bamako. Les Touaregs sont unanimement indexés, si ce ne sont détestés, en fonction du rôle qu’on leur prête dans la défaite de l’armée malienne et l’abandon du Nord depuis janvier 2012.
Il est vrai que la dette est lourde. Elle renvoie notamment à ces débuts de la guerre au Mali, lorsque les Touaregs du MNLA, lourdement armés d’armes libyennes, ont défait les soldats de Bamako. Ils ont pu s’appuyer sur les contingents touaregs intégrés dans l’armée nationale qui se sont retournés contre leurs frères d’armes. Une centaine de militaires sudistes capturés ont été massacrés à Aguelhok.
Mais c’est aussi le séparatisme azawadien [de l’Azawad, littéralement « terrain de parcours » en amazigh, espace sahélo-saharien dont se réclament les Touaregs, ndlr] et l’alliance temporaire avec les islamistes que l’on reproche, à Bamako, aux Touaregs du MNLA. Déclarer unilatéralement l’indépendance de l’Azawad a bien été vécu comme une gifle par un nationalisme malien très réactif et virulent depuis Modibo Keita, père de l’indépendance. Car les guerriers du MNLA, même marginalisés par les groupes islamistes, même chassés dans l’extrême nord ou réfugiés au Burkina Faso, ne cèdent rien. Ne proclament-ils pas sur leur site officiel (www.mnlamov.net) : « L’intervention armée étrangère contre les groupes terroristes ne (doit pas permettre) à l’armée malienne de franchir la ligne de démarcation entre l’Azawad et le Mali » ? Cela tout en se proposant comme alliés de l’opération Serval.
Si elle entend parler de séparatisme touareg, l’opinion malienne dominante vire aujourd’hui à la haine et assimile tout Touareg au MNLA. Déjà des organisations des droits de l’homme pointent les exactions contre les « peaux rouges » ou « peaux blanches » – car les oppositions politiques ou ethniques deviennent vite racialisées dans les localités libérées sur la ligne de front, comme Konna ou Diabali. Comme lors des révoltes successives, les civils touaregs mais aussi arabes du Nord risquent d’être la cible de vengeances ou de massacres, à la fois par l’armée et les « groupes d’autodéfense » de type Ganda Koi qui ne rêvent que d’en découdre, voire de « rapporter la tête d’un Touareg ». L’armée française, fer de lance de l’opération, en serait alors comptable ou complice.
Ces projections des ONG ou des analystes s’appuient en effet sur une histoire de longue durée qui explique et informe la révolte touarègue et les réactions nationalistes. À l’époque précoloniale, les « seigneurs » touaregs étaient dominants. Mais dans les États post-indépendance, les Négro-Africains se sont retrouvés au pouvoir, provoquant une série de révoltes touarègues, notamment au Niger et au Mali en 1963.
Les événements actuels sont à replacer dans ce contexte de domination et de haines réciproques de longue date, ainsi que dans la segmentarité touarègue – que connaissent bien les anthropologues – qui a été largement instrumentalisée à l’époque coloniale.
S’allier avec les Touaregs, mais lesquels ? La lutte des factions, tribus, clans laisse perplexe les stratèges français : si une partie rejoint la coalition internationale, d’autres la combattront – ce qui est déjà le cas des Touaregs d’Ansar Eddine. Et en plein conflit, tous risquent de se coaliser à nouveau pour réaliser enfin leur vieux rêve de création d’un État touareg.