Le désespoir voilé ‑ Femmes et féministes de Palestine, de Norma Marcos, est le premier ouvrage qui évoque l’histoire et l’évolution du mouvement féministe palestinien. Même s’il n’est pas aisé de parler de ce mouvement, car la situation de la femme est complexe. En effet, souligne l’auteure, « il est difficile de se rendre chez une femme dont le mari est au chômage et dont un fils a été tué, et l’autre arrêté et incarcéré », pour lui parler de la situation du féminisme.
Le livre aborde la place de la femme dans une société palestinienne très misogyne, conservatrice et archaïque, et le long combat de pour ses droits, qui reste inséparable de la lutte nationale. Norma Marcos établit une chronologie des dates clés du mouvement féministe palestinien, qui a vu le jour au début du xxe siècle. Il a participé au combat social et politique (aide aux orphelins, aux prisonniers et aux réfugiés) et a apporté un soutien à l’action militaire de la résistance. Il a aussi accompagné, tout au long de l’Histoire, la lutte nationale pour les droits du peuple palestinien et le combat contre l’occupation israélienne. Des dizaines d’associations ont vu le jour, la plupart étant plutôt apolitiques.
Au fil des pages, Norma Marcos dresse les portraits de femmes de la bourgeoisie chrétienne et musulmane, nous livrant des histoires personnelles de femmes de caractère, mêlées à l’histoire du pays. C’est ce qui fait la force du récit. Cette volonté de l’auteure de nous plonger dans la Palestine, ses paysages bibliques, connus ou non, ses villes et ses villages, souvent arrachés à leurs propriétaires et transformés en colonies juives. S’ajoute un aperçu sur le système d’éducation, les coutumes et les traditions de la société palestinienne.
Grâce à une écriture visuelle qu’elle doit à sa carrière de cinéaste, Norma Marcos nous fait vivre son parcours à la rencontre de ces femmes. Chaque portrait est précédé d’anecdotes de l’auteure, de son vécu et de ses rencontres ici ou là. Au final, un monologue s’installe, celui d’une Palestinienne sur la route vers sa terre natale. Norma Marcos ne mâche pas ses mots, nous offrant sa vision et son interprétation de la situation. Et puis, il y a le dialogue avec les protagonistes. Entrent alors dans la lumière ces femmes qui ont participé activement à l’Histoire, depuis les manifestations contre la colonisation britannique jusqu’aux accords d’Oslo et ses suites, en passant par le septembre noir et le siège de Beyrouth, encerclé et bombardé par l’armée israélienne. Elles ont toujours assisté aux mêmes souffrances, aux mêmes exodes incessants des Palestiniens.
Le livre de Norma Marcos change sans aucun doute la représentation des femmes palestiniennes. C’est le premier ouvrage qui brise les stéréotypes dans l’imaginaire occidental. Les Palestiniennes ne sont pas seulement réfugiées, voilées et « terroristes », elles sont épouses, mères de famille, activistes et surtout le fer de lance dans le combat et la lutte du peuple palestinien. Malgré leur marginalisation par les hommes, elles ont su s’imposer lors des événements cruciaux et ont obtenu des succès en portant leur voix dans les instances internationales. Et « si elles sortaient de chez elles, c’était pour servir la cause nationale et non pas pour séduire les hommes ou pour bousculer les traditions ».
Les femmes palestiniennes, tout comme les femmes arabes, continuent à subir l’oppression. Et il reste beaucoup à faire dans une société où le pouvoir patriarcal demeure absolu en l’absence de « la vitalité de la classe moyenne », un bilan comme « un désespoir voilé » plutôt affligeant, conclut l’auteur. « Je ne suis pas une historienne, ni une sociologue, je ne suis qu’une Palestinienne. » Quoi qu’elle en pense, à travers une chronologie et une bibliographie riche et fouillée, Norma Marcos a réalisé un travail de mémoire et d’observation inédit.
* Le désespoir voilé ‑ Femmes et féministes de Palestine, Norma Marcos, Riveneuve Éditions, 329 p., 20 euros.