Il est temps d’abolir le rêve américain.
La longue durée est une expression rendue populaire par des historiens français de l’École des Annales dont Fernand Braudel qui en a conceptualisé l’expression en 1958. L’argument de base de cette école est que la véritable préoccupation des historiens devrait être l’analyse des structures qui sont à la base des évènements contemporains. A l’insu d’évènements à court terme, tels que les cycles de boom économique et de récession, dit Braudel, nous pouvons discerner la persistance de « vieux mécanismes de pensée et d’action, réactionnaires, difficiles à abolir, et parfois à l’encontre de toute logique. » Une variation substantielle de la recherche des Annales est le travail de la World Systems Analysis school, notamment celui d’Immanuel Wallerstein et de Christopher Chase-Dunn, qui de la même façon se concentre sur les structures à long terme : le capitalisme, en particulier.
La « dynamique » du capitalisme selon cette école s’étend sur 600 ans, de 1500 à 2100. Ceci est notre particulière (in)fortune que de nous faire vivre le début de la fin, la désintégration du capitalisme comme système mondial. Le capital était essentiellement commercial au XVIe siècle, se développant en capital industriel aux XVIIIe et XIXe siècles, passant au capital financier – où la monnaie est créée par la monnaie elle-même, et par la spéculation sur les devises – au XXe et XXIe siècle. De façon dialectique, il sera le succès du système qui finira avec lui.
La dernière fois qu’un changement de cette ampleur s’est produit ce fut au cours des XIVe et XVe siècles, période pendant laquelle le monde médiéval a commencé à s’écrouler supplée par le moderne. Dans son étude classique de l’époque, « The Waning of the Middle Ages », l’historien néerlandais Johan Huizinga y dépeint l’époque comme une dépression et usure culturelle semblable à la notre, une époque mal vécue. L’une des raisons en est que le monde est littéralement perché sur un abîme. ce qui nous attend est en grande partie inconnue, et d’avoir à fixer cet abîme pendant une longue période est, pour le dire familièrement, une réelle corvée. La même chose a été vraie au moment de l’effondrement de l’Empire romain, sur les ruines duquel le système féodal a lentement surgi.
Je réfléchissais à ces considérations lorsque je suis tombé sur une remarquable analyse de Naomi Klein, l’auteur de « La Stratégie de Choc. » Elle s’intitulait « Capitalism vs. the Climate », publiée en novembre dernier dans The Nation. Elle pressent ce qui semble être un changement radical, elle fustige la gauche de ne pas comprendre ce que la droite ne perçoit pas décemment: Que tout le débat sur le changement climatique est une menace sérieuse pour le capitalisme. La gauche, dit-elle, veut mettre la pédale douce sur les implications, cela veut dire que la protection de l’environnement est compatible avec la croissance économique, que ce n’est pas une menace pour le capital ou le travail. Cela sous-entend que tout le monde doit acheter une voiture hybride, par exemple (ce que je compare personnellement à une diète de cheesecake), ou d’utiliser des ampoules basses consommation, ou le recyclage, comme si ces choses étaient adéquates face à la crise actuelle. Mais la droite n’est pas dupe : elle voit le vert comme un cheval de Troie du rouge, à savoir une tentative « d’abolir le capitalisme et le remplacer par une sorte d’éco-socialisme ». Ils estiment – à juste titre – que les politiques sur le réchauffement global sont inévitablement une attaque du rêve américain, de toute la structure capitaliste. Ainsi, Larry Bell, dans « Climate of Corruption », fait valoir que la politique environnementale est essentiellement la « transformation du mode de vie américain dans l’intérêt de la distribution de la richesse globale » et l’auteur britanniques Delinpole James note que « l’environnementalisme moderne promeut avec succès de nombreux motifs chers à la gauche : redistribution des richesses, impôts plus élevés, une plus grande intervention du gouvernement, (et) la régulation. »
Ce que dit Mme Klein de la gauche est ceci : Pourquoi se battre ? Ces timorés de droite sont à droite ! Ceux d’entre nous à gauche ne peuvent continuer à parler de la compatibilité des limites à la croissance et de la cupidité sans limite, ou en affirmant que le changement climatique est « juste un enjeu sur une liste interminable de nobles causes en lice rivalisant pour l’attention croissante, ou incitant chacun à acheter une Prius. Les commentateurs comme Thomas Friedman ou Al Gore, qui « nous assurent que nous pouvons éviter une catastrophe en achetant des produits « verts » et en créant des marchés de pollution » – en un mot, une corporation du capitalisme vert – vivent tout simplement en plein déni. « Les vraies solutions à la crise climatique », écrit-elle, « sont aussi notre meilleur espoir de construire un système économique bien plus éclairé qui mettrait fin aux profondes inégalités, renforçant et transformant la sphère publique, générant une abondance de travail honorable, et maîtrisant radicalement le pouvoir d’entreprise. »
Dans l’une des analyses de mon livre « A Question of Values » (“conspiracy vs. Conspiracy in American History”), j’expose quelques uns des « programmes inconscients » enfouis dans la psyché américaine depuis nos premiers jours, programmes qui représentent pour la plupart le prétendu comportement conscient de l’Amérique. Celui-ci inclue la notion d’un monde sans frontière – infini – et l’idéal de l’individualisme extrême – vous n’en avez besoin, et il n’est pas nécessaire d’avoir recours à l’aide de qui que ce soit pour « exister » dans le monde. Combinés ensemble, les deux fournissent une formule de la colossale puissance capitaliste et de son inévitable effondrement (et donc, de la dimension dialectique du tout). De ceci, Naomi Klein écrit :
« La mentalité expansionniste, extractive, qui a trop longtemps gouverné notre relation à la nature, c’est ce que la crise climatique remet fondamentalement en question. L’abondance des études scientifiques qui démontrent que nous avons poussé la nature au-delà de ses limites ne se contente pas d’exiger des produits écologiques et des solutions axées sur le marché, elle exige un nouveau paradigme civilisationnel, qui n’est pas ancré dans la dominance de la nature, mais dans le respect des cycles naturels de renouvellement et l’intense sensibilité aux limites naturelles… Ces révélations sont infiniment difficiles pour nous tous qui avons grandi avec les idéaux des Lumières du progrès. »
(C’est exactement ce que j’ai soutenu il y a 31 ans dans « The Reenchantment of the World », c’est agréable de voir que tout cela est reconsidéré.) « Des solutions climatiques réelles », poursuit-elle, « seraient que les interventions (gouvernement) s’orientent systématiquement à diviser et déléguer le pouvoir et le contrôle au niveau communautaire, développer des énergies renouvelables qui soient contrôlées par la communauté, l’agriculture biologique locale ou les systèmes de transport rendant réellement responsables leurs utilisateurs. » Ainsi, conclut-elle, les pouvoirs en place ont raison d’avoir peur, et de nier les données sur les réchauffement climatique, parce que ce qui est vraiment nécessaire, à ce stade, c’est la fin de l’idéologie d’économie de marché. Et, j’ajouterais, sur la fin de la dynamique du capitalisme évoquée plus haut. Que cela va être une lutte colossale, non seulement parce que les autorités en place veulent maintenir leur pouvoir, mais parce que la dynamique et toutes ses ramifications ont donné leur Signification de classe avec un S majuscule pour 500 ans et plus. C’est ce que les manifestants d’Occupy Wall Street scandaient – s’il y a encore une gauche à ce stade; je ne suis pas sûr – qu’elle fera savoir au 1 % : Que leurs vies sont une erreur. C’est ce qu’un « nouveau paradigme civilisationnel » signifie finalement. Il doit aussi être dit que presque tout le monde aux États-Unis, et pas seulement la partie supérieure des 1 %, achète. John Steinbeck l’a fait remarquer il y a de nombreuses années lorsqu’il a écrit qu’aux États-Unis, les pauvres se considèrent comme des « millionnaires temporairement dans le besoin. » Le mouvement Occupy, pour autant que je puisse le discerner, a voulu reconstituer le rêve américain, alors qu’en fait le rêve doit être aboli une fois pour toute.
Naomi fournit ensuite une liste de six changements devant se produire afin que ce nouveau paradigme surgisse, y compris Juguler les Corporatios, la Fin du Culte d’Achats, et la Taxation des Riches. Il s’est alors imposé à moi d’écrire « bonne chance » en marge de ces nombreux débats. Ces choses ne se feront pas, et ce que nous avons probablement besoin plutôt, c’est une série de grandes conférences sur le pourquoi elles ne se produiront pas. Mais il faut noter qu’une partie de la réponse est déjà intégré dans son essai : des groupes d’intérêts, tant sur le plan économique que psychologique, ont toutes les raisons de maintenir le statu quo. Et comme je le disais, il en va de l’homme ou la femme de la rue. Que serait notre vie sans le shopping, sans le dernier gadget technologique ? Assez vide, du moins aux États-Unis. C’est horrible à quel sort le capitalisme en a réduit les êtres humains.
En termes de recommandations, alors, l’essai de Klein est plutôt faible. Mais il a une portée importante par le biais de l’analyse, et aussi par voie de conséquence : tout est lié. Psychologie, économie, crise environnementale, notre mode de vie quotidien, le nivelage par le bas de l’Amérique, le pathétique fétichisme des téléphones cellulaires et des gadgets électroniques, le poids écrasant de la dette des prêts aux étudiants, la mascarade de la politique électorale, la conversion assez rapide de M. Obama de héros libéral à criminel de guerre et de déchiqueteur du Bill of Rights, la popularité des films violents, la tentative des riches pour imposer des mesures d’austérité aux pauvres, les épidémies bien établies de maladie mentale et d’obésité – Ce sont, en définitive, des sphères de l’activité humaine non dissociées. Elles sont interconnectées, ce qui signifie que les choses ne seront pas stabilisées isolément. Le « nouveau paradigme civilisationnel » signifie tout ou rien; il n’y a vraiment aucune intermédiaire, point de salut dans un cheesecake diététique. Comme Mme Klein dit, il ne s’agit plus de simples « problèmes » maintenant.
À quoi peut-on donc s’attendre, alors que la dynamique du capitalisme touche à sa fin ? C’est là que Naomi relègue ses recommandations confrontée à l’intransigeante réalité. Elle écrit :
« La quête corporative des ressources rares deviendra plus rapace, plus violente. Les terres arables en Afrique continueront d’être saisies afin de fournir nourriture et carburant aux nations les plus riches. La sécheresse et la famine continueront d’être utilisées comme prétexte pour cultiver des semences génétiquement modifiées, et conduire les agriculteurs à s’endetter davantage. Nous tenterons de dépasser le pic pétrolier et gazier en utilisant des technologies de plus en plus risquées pour extraire jusqu’aux dernières gouttes, transmuant des pans toujours plus grands de notre globe en zones de sacrifice. Nous ferons un bastion de nos frontières et interviendront dans des conflits étrangers impliquant les ressources, ou amorcerons ces conflits nous-mêmes. « Le marché climatique », comme il est appelé, sera un aimant à spéculation, à un capitalisme de connivence, ainsi que nous l’avons déjà vu avec le commerce des droits d’émission de carbone et l’utilisation des forêts comme compensation carbone. Puisque le changement climatique affecte non seulement les pauvres, mais aussi bien les riches, nous aurons de plus en plus recours à des remèdes technologiques pour réguler la température, courant des risques énormes et inconnus… Alors que la planète se réchauffe, l’idéologie dominante nous inspire le chacun pour soi, que les victimes méritent leur sort, et que nous pouvons maîtriser la nature, ce qui nous mènera sur la banquise en effet. »
Pour dire les choses crûment, l’ampleur des changements requis ne pourra se faire sans une implosion massive du système actuel. Ce fut le cas à la fin de l’Empire romain, de la fin du Moyen-Âge, et ça l’est encore aujourd’hui. Dans le cas de l’Empire romain, comme je l’expose dans « The Twilight of American Culture », il y a eu l’émergence des ordres monastiques qui préservèrent les trésors de la civilisation gréco-romaine. Ma question était dans ce livre: Peut-il se produire quelque chose de semblable aujourd’hui ? Naomi a écrit :
« Le seul joker serait un mouvement populaire compensateur intense qui offrirait une alternative viable à ce sombre avenir. Cela ne signifie pas simplement un autre ensemble de propositions politiques, mais une vision du monde alternative rivalisant avec le cœur de la crise écologique – cette fois-ci, incorporé dans l’interdépendance plutôt que dans l’hyper-individualisme, la réciprocité plutôt que la domination, et la coopération plutôt que la hiérarchie. »
Elle estime que le mouvement Occupy Wall Street – souvenez-vous, qui était assez dynamique en novembre dernier – l’incarne; ces mesures à prendre vise les valeurs sous-jacentes de cupidité et d’individualisme « effrénés qui ont créé la crise économique, tout en incarnant… une manière radicalement différente de se comporter réciproquement ainsi qu’avec la nature. »
Est-ce vrai ? Il y a quatre choses à considérer à ce stade :
1. Je n’ai personnellement jamais visité le parc de Zuccotti, mais la plupart de ce que j’ai vu sur le Web, y compris des reportage très favorables au mouvement Occupy, semblait suggérer que l’objectif était un rêve américain plus équitable, non à la suppression du rêve américain, comme je l’ai indiqué ci-dessus. En d’autres termes, la demande de base était que le gâteau soit coupé de manière plus équitable. Je n’ai jamais eu l’impression que les manifestants aient dit que le gâteau, dans sa totalité, était moisi. Cela me rappelle une anecdote à propos de Martin Luther King, qui aurait apparemment dit à Harry Belafonte, juste avant qu’il ne soit assassiné, qu’il lui semblait avoir commis une grosse erreur, que parfois il se sentait mener les gens dans une église en proie aux flammes. Il s’agit manifestement d’une perception très différente pour les populations noires, que la simple mise en jeu pour l’obtention d’une plus grande part du gâteau. Après tout, qui veut d’une plus grande part d’un gâteau pourri, ou vivre dans une église qui brûle ?
2. Les historiens des Annales, ainsi que les penseurs du World Systems Analysis, ont été accusés de projeter une image de « l’histoire sans le peuple. » En d’autres termes, ces écoles ont tendance à considérer les individus comme sans rapport avec le processus historique, qu’ils analysent en termes de « forces historiques. » Il y a une certaine vérité à ce sujet, mais les « forces historiques » peuvent devenir exaltées. Tout comme il est des forces qui motivent le peuple, ce sont donc les individus qui adoptent ou manifestent ces forces. Je veux dire, que quelqu’un doit faire quelque chose pour que l’histoire survienne et au moins la foule d’Occupy a tenté, pour ainsi dire de jeter du sable dans l’engrenage de la machinerie, comme l’ont fait leurs homologues en Europe. Mais j’avoue que pour un certain nombre de raisons, je n’ai jamais été très optimiste au sujet du mouvement, du moins pas tel qu’il existait aux États-Unis. Comme de nombreux sociologues l’ont souligné, l’Amérique n’a pas de véritable tradition socialiste, et il n’est pas surprenant que la sérieuse mauvaise répartition des richesses qui existe aux États-Unis ne soit pas un enjeu de la prochaine élection présidentielle. En fait, un récent sondage réalisé par le Pew Charitable Trust a révélé que la plupart des Américains n’ont aucun problème avec l’existence d’une petite classe de privilégiés, ils veulent juste être en mesure de se joindre à elle, ce qui nous ramène à la citation de John Steinbeck. Ma propre prédiction, il y a plusieurs mois, était que OWS se transformerait en une sorte de permanence d’enseignement, où les mécontents pourraient s’instruire d’un « nouveau paradigme civilisationnel », s’il était en effet enseigné. Il s’agit essentiellement de « la nouvelle option monastique » que j’ai écrit au seuil de mon livre. En premier lieu, il est probablement inoffensif; il menace à peine l’élite au pouvoir. Mais cela ne peut pas traduire l’histoire dans son intégralité, en particulier à long terme – la longue durée. Après tout, si le Système s’effondre, les alternatives deviendront de plus en plus attrayantes, et vous pouvez être certain que l’année 2008 ne sera pas le dernier krach, que nous connaîtrons. Les deux fractions sont indissociables, en fin de compte – je parle de 30 à 40 ans, mais peut-être moins, le poids de la dynamique du capitalisme sera trop lourde pour se maintenir. Dans la longue durée, celui-ci est de loin le plus judicieux pari sur la vision alternative au capitalisme. Ainsi, le biologiste David Ehrenfeld écrit :
« Notre première tâche est de créer une structure économique, social, et même technologique fantôme qui sera prête à prendre le relais du système actuel lorsqu’il lâchera. »
3. Quelle est donc cette vision du monde alternative, quel « nouveau paradigme civilisationnel » ? Dans « Why America Failed » j’énonce, sans surprise, les raisons du pourquoi l’Amérique a échoué, et je dois dire que c’est principalement parce que tout au long de notre histoire, nous avons marginalisé ou ignoré les voix qui se sont élevées contre la culture dominante, et basée sur la prospection, la mégalomanie, l’expansion économique et technologique. Cette tradition alternative peut être retracée de John Smith en 1616 à Jimmy Carter en 1979, et incluant des personnes comme Emerson, Thoreau, Lewis Mumford, Jane Jacobs, Vance Packard, et John Kenneth Galbraith, parmi beaucoup d’autres. En Angleterre, elle est particulièrement associée à John Ruskin et William Morris, qui ont fait valoir la nécessité d’un dessein spirituel pour les communautés organiques, pour un travail qui ait du sens plutôt qu’assommant, et qui réussi à conquérir un grand nombre d’adeptes américains. Dans un livre à paraître de l’un de mes collègues, Joel Magnuson, intitulé « The Approaching Great Transformation », l’auteur y déclare que nous avons besoin de modèles économiques concrets post-carbonique, qui rompent avec le modèle économique du capitalisme – et non des voies purement cosmétiques ou rhétoriques. Il donne un certain nombre d’exemples d’expériences dans cette veine, que je nommerais les éléments d’une économie stationnaire ou homéostatique : en d’autres termes, sans croissance. Après tout, écrit Magnuson, « croissance permanente signifie crise permanente. » Ou, comme je l’ai exprimé ailleurs, notre travail consiste à démanteler le capitalisme avant qu’il ne nous démantèle. Encore une fois, cela ne signifie pas la prise de Wall Street, dont je ne crois pas qu’elle puisse être une réussite. Mais cela ne signifie pas laisser le champ libre : par exemple, faire sécession. (Il existe à l’heure actuelle des mouvements séparatistes, l’état du Vermont en est un exemple notable.) Et si ce n’est pas tout à fait viable actuellement, il y a au moins la possibilité de vivre de manière différente, comme David Ehrenfeld le suggère. Mon opinion est que le « processus de transition », la désintégration du capitalisme et l’émergence concomitante d’une structure socio-économique alternative, sera le point central pour le reste de ce siècle. Et je soupçonne l’austérité d’être une composante de cela, parce que si le capitalisme s’effondre et que nous manquons de ressources de pétrole en particulier, quel choix aurons-nous ?
4. Cela il me semble, ne signifie pas nécessairement un retour à un certain type de féodalisme, bien que cela puisse fort bien arriver, pour autant que je le sache. Mais nous parlons en définitive de la disparition non seulement du capitalisme, mais de la modernité en général, le déclin de l’âge moderne, en effet. Dans son intéressante biographie du savant hegelien, Alexandre Kojève, Shadia Drury écrit : « Chaque ordre politique, peu importe sa grandeur, est condamné à sa désagrégation et à sa déchéance. » Quant à la modernité, en particulier, elle poursuit :
« Le commencement de la [M]odernité et son déclin sont comme ceux de n’importe quel autre ensemble d’idéaux politiques et culturels. Au début de sa création, la modernité contenait quelque chose de bon et de séduisant. Ce fut une révolution contre l’autorité de l’Église, ses tabous, les répressions, les inquisitions, et la chasse aux sorcières. Il s’agissait d’une nouvelle aube de l’esprit humain, célébrant la vie, la connaissance, l’individualité, la liberté et les droits de l’homme. Il a légué à l’homme une pensée rayonnante du monde et de lui-même… Le nouvel esprit nourri de découverte scientifique, d’inventivité, d’ échange, et un foisonnement artistique de grande splendeur. Mais comme à chaque nouvel esprit, la modernité s’est compromise… La modernité a perdu la fraîcheur et l’innocence de ses promesses parce que ses objectifs se sont intensifiés, sont devenus chimériques, et même pernicieux. Au lieu d’être le symbole de la liberté, de l’indépendance, de la justice et des droits de l’homme, il est devenu le signe de la conquête, du colonialisme, de l’exploitation et la destruction de la planète. »
En un mot, son heure est arrivée, et il est de notre fortune ou infortune, comme je l’ai déjà dit, de vivre cette période de très grande et très difficile transition. Un ancien mode de vie meurt, finalement un nouveau verra le jour. De ceci, le poète Mark Strand faisait remarquer : « Nul besoin de s’empresser, la fin du monde n’est que la fin du monde tel que vous le connaissez. » Pour une raison que je ne m’explique pas, je trouve cette pensée plutôt réconfortante.
Morris Berman
Morris Berman est est un historien de la culture et la science et critique social. Il a professé dans de nombreuses universités américaines et européennes. Il a écrit une trilogie sur l’évolution de la conscience humaine – « The Reenchantment of the World » (1981), « Coming to Our Senses » (1989) et « Wandering God: A Study in Nomadic Spirituality » (2000) – et ses récents ouvrages comme « Dark Ages America : The Final Phase of Empire » publié en 2006 ou « Why America Failed: The Roots of Imperial Decline. » en 2011 se penchent sur le déclin des États-Unis, un sujet récurrent du MecanoBlog. Son blog : Dark Ages America
Article original : The waning of the modern ages
Traduction : MecanoBlog
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