En maintenant sa décision de procéder à un remaniement ministériel lui permettant de limoger le ministre des Finances, Pravin Gordhan, et son adjoint, Mcebisi Jonas, Jacob Zuma a mis fin au bras de fer engagé contre son opposition depuis plusieurs mois. En sortira-t-il-gagnant ?
À quelques mois du congrès électif de l’ANC qui doit se tenir en décembre prochain, acculé par les demandes de plus en plus fortes de sa démission et fragilisé par les enquêtes judiciaires en cours et ses liens privilégiés avec la famille Gupta, Jacob Zuma a choisi de passer en force en éliminant, par un dernier remaniement ministériel, ceux qui, autour de lui, s’opposent encore à sa politique outrageusement déficiente et corrompue. Il met fin, également, à une polémique qui durait depuis plusieurs mois, en limogeant le ministre des Finances, Pravin Gordhan,en dépit de l’opposition du Parti communiste(SACP), allié historique de l’ANC, mais aussi de Cyril Ramaphosa, le vice président, du secrétaire général de l’ANC, Gwede Mantashe et de son trésorier Zweli Mkhize, entre autres personnalités du premier cercle. Il a, également, limogé le vice-ministre des Finances, Mcebisi Jonas, qui avait fait éclater l’affaire Gupta, dans le cadre de laquelle, la famille de millionnaires indiens est accusée de prédation d’État, avec la complicité de Jacob Zuma et son entourage.
Pour parvenir à ses fins, Jacob Zuma ne recule devant rien. Il n’a pas hésité à faire revenir Pravin Gordhan en urgence alors qu’il se trouvait en Grande-Bretagne en mission ministérielle au cours de laquelle il devait rencontrer des investisseurs potentiels. Il a également utilisé un faux rapport des services de renseignements visant à prouver que Gordhan planifiait son renversement, et a accusé le ministre des Finances, homme intègre et compétent reconnu comme tel en Afrique du Sud et à l’étranger, d’avoir des relations « trop étroites avec le capital monopoliste blanc ». Ce rapport a été rejeté par le SACP, mais aussi, par les six plus importants dirigeants de l’ANC. Bien qu’il n’ait convaincu personne, Jacob Zuma a maintenu sa décision.Outre Pravin Gordhan, dix ministres et autant de vice-ministres ont été limogés.
Au même moment, décédait Ahmed Kathrada, héro de la lutte de libération, l’un des derniers survivants du célèbre procès de Rivonia, compagnon de bagne de Nelson Mandela à Robben Ahmed pendant 23 ans. Kathrada qui jouissait d’un énorme prestige au sein de la population et représentait la « ligne Mandela » de l’ANC en opposition avec la « faction Zuma », avait écrit une longue lettre à ce dernier en mars 2016 pour lui demander de démissionner. « J’ai toujours maintenu une position consistant à ne pas m’exprimer publiquement sur les divergences que je peux avoir avec mes dirigeants et mon organisation l’ANC, écrivait-il, en prenant beaucoup de précautions. Je ne l’aurais fait que si je pensais y être obligé par une question organisationnelle importante particulièrement inquiétante. Aujourd’hui, j’ai décidé de rompre avec cette tradition ». Derrière Ahmed Kathrada s’étaient regroupés un certain nombre de cadres et anciens cadres de l’ANC, des anciens ministres limogés en leur temps par Jacob Zuma et autres personnalités.Ahmed Kathrada n’a jamais reçu de réponse à sa lettre.
Les funérailles d’Ahmed Kathrada organisées par la famille, ont ressemblé davantage à un meeting politique qu’à une cérémonie familiale. Jacob Zuma qui avait annoncé des funérailles nationales organisées par l’ANC,« en temps voulu » a non seulement été privé de cette prérogative qu’il aurait utilisée avec l’opportunisme qu’on lui connaît, mais il a, également, été interdit d’assister à la cérémonie par l’épouse du défunt, Barbara Hogan, une figure, également, de la lutte de libération. Et ce, à la demande d’Ahmed Kathrada lui-même de son vivant.
Autre affront, alors qu’il était sur le point d’être limogé par Jacob Zuma, Pravin Gordhan était accueilli par les assistants aux funérailles – membres ou ex-membres restés fidèles à l’ANC – par une « standing ovation », et apprenait avec une émotion non dissimulée, sa nomination à la direction de la Fondation Ahmed Kathrada. Outrela lecture de la lettre à Jacob Zuma, lesdiscours sans concessions des représentants de la triple alliance (ANC, SAPC, Confédération COSATU), des vétérans et de l’ancien chef d’État Kgalema Motlanthe insistaient sur l’état critique de l’ANC, et ne laissaient aucun doute sur l’état d’esprit qui règne, actuellement, à la tête de ces organisations.
En l’espace de quelques heures, les hostilités sont donc montées d’un cran au sein de l’ANC, avec d’un côté, la faction Zuma qui renforce son pouvoir, de l’autre, la faction anti-Zuma, à l’intérieur et à l’extérieur de l’ANC, qui s’élargit, le parti communiste semblant, finalement, et après de longues discussions, être décidé à ne plus soutenir Jacob Zuma. Ce qui pourrait sonner la fin de la Triple alliance.
Du côté de l’opposition, l’Economic Freedom Fighters, le parti de Julius Malema, a déposé une requête de destitution contre le président auprès de la Cour constitutionnelle, tandis que la Democratic Alliance, principal parti d’opposition, a annoncé le dépôt d’une nouvelle motion de défiance au Parlement contre Jacob Zuma.
Si depuis son premier mandat, Jacob Zuma a réussi à se présenter comme l’héritier légitime de Nelson Mandela et le garant de l’unité de l’ANC, ces derniers développements pourraient fort bien le démentir. L’enjeu est de plus en plus clair : qui doit diriger l’ANC, quelle ANC, pour quelle politique ? L’intelligence des membres ou ex-membres de l’ANC a été de toujours faire la différence entre le régime Zuma et l’ANC et de se poser en défenseur de l’organisation historique contre le président. Il semble à la lumière de ces derniers événements, qu’ils aient gagné cette bataille. La frustration des Sud-Africains, particulièrement des dizaines de millions de laissés pour compte, est telle qu’il n’est pas certain que la faction « Zuma-Gupta » arrive à ses fins. Sa marge de manœuvre est de plus en plus limitée, son isolement, de plus en plus grand.