Ceux qui ont suivi les épisodes de la guerre menée par Israël contre Gaza en 2008 se souviendront de ce médecin palestinien à la fois employé dans un hôpital en Israël et rendant chaque semaine visite à sa famille à Gaza. Pendant les terribles bombardements de décembre 2008, alors qu’il est à Gaza, sa maison est touchée, et le médecin appelle au secours un journaliste de la télévision israélienne qui lui répond en direct à l’antenne. C’est à ce moment précis que trois enfants du médecin sont tués.
Après avoir rencontré ce médecin par hasard, Christophe Oberlin a lu le livre que celui-ci a publié sous le titre accrocheur de : « Je ne haïrai point ». Il nous fait partager ici le malaise grandissant avec lequel il a découvert au fil des pages la personnalité de son auteur, ses apparentes motivations, et son étrange parti pris pour Israël. [Silvia Cattori]
En mars 2009, six semaines après l’attaque israélienne sur Gaza, je retourne sur place avec une équipe chirurgicale. Bloqué comme souvent à l’entrée de la bande de Gaza sur le parking d’Erez, j’attends avec mes amis une hypothétique autorisation d’entrée de l’armée israélienne. Il pleut par intermittence. Sous un abri en tôle quelques Palestiniens se protègent avec nous des grains successifs. L’un d’eux, nous ayant entendu parler, demande : « Etes-vous Français ? Connaissez-vous l’éditeur Laffont ? Est-ce un bon éditeur » ? Je lui réponds que c’est effectivement un éditeur à succès, et j’engage la conversation :
– Êtes-vous écrivain ?
Sourire où pointe un rien de fierté sur le visage de mon interlocuteur.
– Pas tout à fait…
– Vous écrivez des livres ?
– Je construis des ponts entre les gens…
Nouveau voile de satisfaction.
En quelques questions je m’aperçois que j’ai en face de moi le Dr Abu El Aish. Six semaines après la mort de ses filles et de sa nièce sous les bombes israéliennes, il rentre sur Gaza et évoque sans émotion apparente la traduction française du livre de sa vie. Etrange rencontre…
Nous sommes maintenant en 2011, deux années plus tard : le livre est paru, ainsi que sa traduction en français. L’un de mes amis, ému à sa lecture, m’en demande l’analyse. Décryptage.
On y trouve l’histoire de la vie d’un homme courageux et obstiné, acharné à apprendre, à enchainer les formations, ce qui est bien difficile dans le contexte du conflit israélo palestinien. Un homme qui traverse indiscutablement bien des épreuves, des frustrations, des attentes, qui a subit bien des injustices, sans apparemment trop en porter grief à ceux qui les lui ont imposées. Le personnage fascine, comme le titre de son livre « Je ne haïrai point ».
A y regarder de plus près, on y trouve aussi des déclarations étranges. Voici, prises chronologiquement dans le texte du livre, toute une série de citations et les réflexions qu’elles m’ont inspirées.
Après une formation à l’étranger, le Dr Abu El Aish revient médecin en 1985 à Gaza et « ne peut pas trouver de travail », « alors que les besoins sont si grands » ! Il ajoute : « pour trouver du travail il fallait être le fils de quelqu’un d’important, ou encore un collaborateur des Israéliens » ! Je connais pour ma part au moins trois médecins formés en Egypte, rentrés à la même période, et qui ont été immédiatement embauchés dans les hôpitaux du fait justement des besoins criants de la population. Et ce n’étaient nullement des collaborateurs des Israéliens : l’un a été assassiné par Israël et l’autre a fait l’objet de multiples tentatives d’assassinat par les mêmes ! Le Dr Abu El Aish concède toutefois qu’on lui propose « finalement un poste à l’hôpital Nasser de khan Younes, mal payé, à 35 km de chez moi » ! Il est vrai qu’à l’époque les médecins et les fonctionnaires avaient un salaire de misère, et ce sont donc les plus motivés à aider leurs compatriotes qui acceptaient ces postes. Le Dr Abu El Aish n’en faisait donc pas partie. « Il faudrait trouver vite autre chose ! » nous dit-il. Il est alors « transféré à l’hôpital Shifa dans un établissement géré par des personnes non compétentes mais bien connectées ». Mais voilà que, plutôt que d’apporter sa compétence dans un océan d’incompétence… il démissionne et part pour Djeddah en Arabie saoudite ! On s’imagine alors qu’un salaire enviable l’attend là bas, mais le docteur téléphone quand même « pour en savoir plus sur la dureté de la vie et du travail à Djeddah ». Rassuré sans doute, il s’y rend et trouve à « s’occuper de Palestiniens dans une maternité de Djeddah » ! On aimerait savoir qui sont ces Palestiniens ? S’il s’agit de pauvres Palestiniens dans un camp de réfugiés en Arabie saoudite, c’est un scoop ! En tous cas une lucrative manière d’aider les Palestiniens. Deux ans passent ainsi, de quoi envisager l’avenir plus sereinement…
Surgit la 1ere intifada en 1987 qui frappe notre docteur, car « malheureusement elle commence dans mon quartier » ! Le docteur est quand même un peu déconnecté à l’époque, car il déclare que « personne ne sait ce qui l’a provoquée » ! En tous cas ce n’est pas une raison pour s’attarder, et en 1988 munis d’une bourse saoudienne le docteur part pour Londres. Retour un an plus tard… pour l’Arabie saoudite. Sa femme qui a passé 2 ans à Djeddah avec lui rentre a Gaza en 1991, et y restera, au propre comme au figuré.
A Gaza, ce n’est pas terrible : c’est « l’intifada permanente, un bain de sang fratricide, un millier de Palestiniens accusés de collaboration avec les Israéliens ont été exécutés ». ! Ce qui est terrible, ce n’est donc pas la guerre, c’est l’exécution des collabos ! Et il récidive : « A la signature des accords d’Oslo plus de 2100 palestiniens avaient trouvé la mort, un millier entre les mains de leurs frères, 11OO par les israéliens ». Beau souci d’équilibre ! Que fait alors notre héros ? Il ouvre une clinique privée à Gaza ! « Pour soigner les pauvres » (sic !) et cumule avec un salaire de l’UNWRA (office des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens) !
Mais le Dr Abu El Aish ne se sent pas encore assez utile à ses compatriotes. « A Londres, j’avais remarqué que la plupart des ouvrages de référence (il veut être gynécologue) étaient écrits par des professeurs israéliens » ! Quelle coïncidence ! Et le voilà parti pour quatre dures années à l’hôpital Soroka de notoriété mondiale (si vous ne le savez pas, c’est que vous êtes ignorant). La suite est un conte de fées : le Dr Abu El Aish est invité au congrès mondial … à Jérusalem ! Séquence émotion : il y retrouve sa famille juive, celle pour laquelle il travaillait à l’âge de 15 ans dans les cages à poules ! A Soroka, son salaire est de 2000 dollars, il loue un appartement à Beersheba et commence sa spécialisation en 1997. Il sauve alors une femme palestinienne en l’envoyant se faire soigner en Israël. Mais il ne nous parle pas de toutes celles qui sont mortes au check point sur le chemin d’un hôpital… palestinien.
« Echec de Camp David et affrontements initiés de part et d’autre ». Formidable toujours ce souci d’objectivité ! 11 septembre 2001, il est de garde en Israël. Il fait ensuite des séjours en Italie et en Belgique (« invité par des amis américains de l’université Ben Gourion et de l’hôpital Soroka »). Toujours les ponts… Et puis le voilà à l’université de Harvard aux Etats Unis où un recruteur talentueux lui aurait déclaré sans rire : « vous avez une connaissance de premier plan des problèmes de santé publique qui se posent dans un camp de refugiés » !! Et c’est parti pour un an à Harvard en 2003. Ceci lui permet alors d’émettre des critiques autorisées sur le système de santé de Gaza : « Pour les cas graves il faut sortir », « ce système ne répond pas aux besoins de la population », « à chaque changement d’administration il y a une métamorphose qui dépend du nouveau responsable et non pas des besoins de la population ».
Rentré de Harvard, et après ces efforts méritoires, il décide, suite logique, d’entrer en politique, avec d’ailleurs un programme sophistiqué : « Pour sortir le peuple du chaos et des privations, il faut un programme intelligent de santé publique ». Il travaille alors comme consultant pour l’US Aid (organisation humanitaire d’état aux Etats-Unis), tout en faisant campagne. Il connait le terrain, car, nous dit-il, « j’avais travaillé dans plusieurs hôpitaux de Gaza ». Quelques semaines, effectivement (voir plus haut). En tous cas les choses sont claires, ce n’est pas par ambition qu’il est entré en politique : « le Fatah m’a demandé de me présenter aux primaires d’octobre ». Ils ont même mis le paquet : on lui a fait miroiter « un poste de premier ministre adjoint » ! Ce qui aurait, soit dit en passant, nécessité une modification de la constitution, une formalité ! Etant pauvre, il « emprunte 35 000 dollars à ses frères et amis » pour pallier à ses frais de campagne. Malgré la finesse de son analyse politique, et l’enthousiasme de ses supporters, le résultat est légèrement insuffisant « 79% des votes sont allés au Hamas, aucun candidat indépendant n’a gagné ». Là, je m’inscris en faux : Jamal al Koudari a été élu comme candidat indépendant.
En feuilletant les nombreuses photos qui illustrent la carrière de notre héros : on le voit tout sourire en 2001 au côté d’Ehud Barak (celui de l’offre généreuse). Le Dr Abu El Aish invite aussi l’ancien chef de la police israélienne au siège de la police de Gaza avec Ghazi al Jabali, l’occasion d’un bon cliché.
Bon, puisqu’on ne veut pas de lui au niveau local, et que décidément rien ne l’empêchera d’aider les Palestiniens, il faut voir plus haut : le lendemain des élections de 2006 il envoie son CV à l’OMS, et file en Afghanistan ! Cela ne l’empêche pas de suivre de près la situation politique en Palestine. Il commet alors une erreur factuelle, sans doute liée à la médiocrité des journaux afghans, en écrivant que « les deux partis, Fatah et Hamas ont essayé de former un gouvernement » : c’est faux : le Fatah a refusé de participer à un gouvernement majoritairement Hamas.
Il décrit ensuite à sa manière l’affrontement Hamas Fatah. Il détaille particulièrement un épisode douloureux : celui de la blessure de son neveu Mohamed « blessé aux genoux ». L’origine est « un chaos guerrier entre des factions tribales ». « Je ne savais pas qui se battait contre qui ». Mais heureusement « j’ai fait en sorte que les blesses les plus graves, dont mon neveu, soient transférés à l’hôpital Soroka ». « Ses jambes ont été sauvées ». On se demande ce qui est arrivé au neveu, et le Dr Abu El Aish donne les détails suivants : « étudiant de 24 ans travaillant dans la garde nationale pour venir en aide à sa famille » : un pauvre étudiant, contraint donc d’avoir un petit boulot. Avec quelques camarades (étudiants probablement), ils ont été « adossés a un mur pour être abattus ». « Mais des Palestiniens qui regardaient la scène sont intervenus, ont poussé les jeunes à terre pour empêcher le Hamas de leur envoyer une balle dans la tête. Ces balles ont touché les parties inférieures du corps, les chevilles et les genoux » ! Ainsi, pour empêcher un massacre d’étudiants, des palestiniens courageux se sont jetés sur le peloton de tir au moment précis ou les tireurs appuyaient sur la gâchette, déviant ainsi le trajet des balles ! On en conclue à l’évidence que les tireurs au Hamas sont maladroits, et non prévoyants : c’était leur dernière balle. L’affaire se termine pas trop mal : « Mohamed a eu les jambes sauvées en Israël, mais quand même « bon nombre de ses amis traités à Gaza ont été amputés » ! Il faut dire que les chirurgiens de Gaza sont nuls !
Mais l’épisode des tirs dans les genoux mérite explication. J’ai pour ma part été confronté plusieurs fois à des blessés palestiniens blessés aux genoux par d’autres Palestiniens, pendant les bombardements de 2008-2009. Mon entourage m’a dit qu’il s’agissait de collaborateurs accusés de guider les tirs israéliens. Il est clair que je suis personnellement totalement opposé à un tel châtiment, mais ce fait mérite toutefois d’être mentionné. J’ajoute que, pendant la guerre de 2008-2009, les blessés graves qui étaient amenés dans notre bloc opératoire de Khan Younes, étaient toujours accompagnés de la foule nombreuse des familles et des amis, qui attendaient impatiemment à la sortie du bloc pour avoir des nouvelles. Pour les 3 cas de blessures aux genoux que j’ai été amené à soigner, il n’y avait personne dans le couloir.
Et ça continue : après la prise du pouvoir du Hamas (en juin 2007), « a l’intérieur de la bande de Gaza les souffrances allaient croissant », (ce qui est vrai), « et il en allait de même des attaques de roquettes sur les villes israéliennes », (ce qui est faux : le Hamas justement avait décrété une trêve unilatérale, trêve qui a été rompue par une attaque meurtrière d’Israël quelques semaines avant l’attaque généralisée sur Gaza, en décembre 2008).
En 2007 le bon docteur« continue à traiter des patients a Gaza » tout en « donnant des cours a l’université Ben Gourion » et « en travaillant comme consultant pour l’Union Européenne » ! Il s’intéresse aussi à la génétique car les « problèmes sont assez courants » et ajoute « les patients et leur famille ne reçoivent pas l‘aide dont ils ont besoins ». Et donc, toujours pour continuer à aider les Palestiniens, le docteur se fait embaucher … à Tel Aviv !
En 2008 il cherche sans doute à soigner des Palestiniens au Kenya, en Ouganda et en Belgique. Ecoutons le Dr Abu El Aish qui revient sur son passé : « J’avais consacré ma vie d’adulte à vouloir améliorer la santé et l’éducation dans la bande de Gaza ». Mais c’est le père aussi qui s’interroge : « Je pouvais emmener mes enfants dans un endroit sûr, ne devrais je pas écouter mon cœur ? »
Mais l’observateur scrupuleux des malheurs de son temps reste présent : « L’envie d’en découdre entre Israéliens et Palestiniens remonte au lendemain de la victoire du Hamas aux élections de juillet 2007 ». Il y a là une erreur factuelle : ce n’est pas en juillet 2007 mais en février 2006 que le Hamas a remporté les élections. Le Dr amalgame donc la victoire électorale de 2006 au coup de force de juin 2007 qui a suivi une année d’affrontements entre le parti qui a perdu les élections (Fatah) et celui qui les a gagnées(Hamas). Nuance.
« Le 25 décembre 2008 les Israéliens ont ouvert 2 points de passage frontaliers et ont laissé passer plus de cent camions chargés d’aide humanitaire destinée au territoire assiégé ». Il oublie de dire que les besoins quotidiens sont de 300 par jour (la population de Gaza équivaut à la moitié de la population de Paris), et surtout qu’il ne s’agit en rien d’une aide « humanitaire : « les conventions de Genève obligent la partie occupante, Israël, à prendre en charge les civils victimes du conflit, et notamment les besoins essentiels, subsistance et santé. Par ailleurs il faut savoir qu’Israël prélève 17% de taxes sur tous les produits entrant a Gaza (produits achetés par ailleurs par les Palestiniens). Non seulement ce qui entre à Gaza ne coute rien à Israël, mais ça lui rapporte ! Donc rien « d’humanitaire ».
Le 27 décembre 2008, ce qui l’inquiète, ce ne sont pas les attaques massives israéliennes : « il avait entendu dire que des gens vivant seul étaient tués ».
« Je suis resté dans ma maison parce que je j’ai pensé que tout le monde savait que c’était la mienne » ! Qui est ce « tout le monde » ? S’il pense que les Israéliens avaient prévu d’épargner sa maison, le docteur aurait du convoquer au moins les voisins et les amis pour les faire bénéficier de cette protection ! « Je crois que les soldats israéliens ont été poussés à tuer par la peur sans fondement née de tant d’années d’hostilités et de préjugés ». Tel « professeur d’action sociale à Tel Aviv qui a mené des recherches avec moi sur les effets du stress post conflit sur les enfants palestiniens à Gaza et sur les enfants israéliens à Sderot » lui donne quelques conseils après la décimation de sa famille… Toujours ce souci d’équilibre.
Concernant l’appel du Docteur Abu El Aish en direct à la télévision Israélienne alors que ses filles étaient tuées, le journaliste israélien qui était en communication avec lui dira plus tard : « je pense que ces 5 a 7 mn de télévision ont conduit au cessez le feu ». Finalement c’est grâce à la transparence et l’indépendance bien connues de la télévision israélienne que l’horreur s’est arrêtée !
Après la guerre, le docteur nous dit : « l’école a repris fin janvier, et après avoir passe 10 jours avec moi, les enfants sont rentres a Gaza où ils ont vécu sous la garde de mes proches » ! Quel père affectueux ! Pour le compte des morts palestiniens le bon docteur, par soucis d’équité, donne les chiffres « selon les deux camps » : 1166 à 1417 ! » On peut se demander sur quels éléments les Israéliens ont pu faire leur statistique. On peut se demander aussi ce qui se passe, par exemple, dans la tête d’un manifestant revenant d’un défilé de la Bastille à la République, qui citerait les chiffres de la police !
« D’après ce que je sais la grande majorité des Israéliens et des Palestiniens furent horrifiés devant les actes commis pendant cette guerre de 3 semaines ». Il ne dit pas que ces actes ont été commis par Israël. Et il oublie les sondages qui montraient que 80% des Israéliens soutenaient l’attaque (tout en sachant qu’en Israël les Palestiniens Israéliens sont exclus des sondages).
Mais le docteur voit toujours le bon côté des choses : « l’une des conséquences de cette tragédie est que j’ai pu voyager encore plus en Europe en Amérique du Nord, en Asie, pour parler de la vie telle quelle est a Gaza » ! Le docteur obtient le « Prix Niarchos pour la survie 2009, en compagnie d’une habitante de Sderot » ! Et pour clore le tout : « le secrétaire d’état du parlement belge Jean Marc Delizee a proposé mon nom pour le prix Nobel de la paix 2010 » !
Le docteur évoque ensuite un sujet plus technique qui est celui des petits Palestiniens atteints de malformations cardiaques congénitales. Il cite le docteur Zeev Rotstein, cardiologue israélien : « avant 1ere intifada, je faisais des diagnostics de cardiopathie congénitales chez les enfants de Gaza et Cisjordanie. J’allais une fois par semaine les ausculter et les dirigeais vers un hôpital adéquat. Mes pensées vont vers ces enfants qui ne peuvent plus obtenir le traitement dont ils ont besoin…. » Il ajoute : « un enfant peut être soigné en Israël, mais, quand il rentre chez lui il n’a ni soutien ni suivi médical » ! C’est ici l’occasion de parler ici de la Fondation Perez. Shimon Perez dirige en effet une fondation destinée notamment à faire opérer en Israël des enfants palestiniens. Cette fondation est largement alimentée par des fonds notamment institutionnels. C’est donc une bonne action, et aussi une bonne affaire, financièrement parlant, qui fait tourner une équipe de chirurgie cardiaque israélienne. Mais dans le même temps l’hôpital palestinien Makassed à Jérusalem Est, où opèrent des chirurgiens cardiaques palestiniens et étrangers, est progressivement étranglé : pas de concurrence !
Ecoutons encore le docteur : « Je continue de voir des gens qui sont choqués qu’un médecin palestinien puisse soigner des patients juifs ». Dit comme cela, il est assuré de susciter l’approbation du lecteur… En fait, il faut savoir que les Palestiniens désignent souvent les Israéliens par le terme de juifs (cela peut se comprendre, car les Palestiniens israéliens ne sont pas leurs ennemis, et c’est au nom du judaïsme et de l’état juif que les palestiniens sont persécutés). Est-il anormal d’être surpris qu’un médecin palestinien soigne presque exclusivement des Israéliens alors que le même se lamente sur le manque de soins apportés aux Palestiniens ? Qui plus est, qu’il ait à Gaza une pratique complémentaire exclusivement privée, c’est-à-dire payante ?
Il est intéressant de lire la description par le docteur de ses aller et venues incessants entre Tel Aviv et Gaza : « Je suis un des très rares Palestiniens à avoir un permis de travail en Israël ». On aimerait un commentaire. Le docteur passe chaque semaine 2 jours à Gaza, 5 à Tel Aviv. Il nous parle du terminal d’Erez, entre Israël et Gaza, « construit pour le passage de 25 000 personnes par jour, de journalistes par dizaine, d’humanitaires… qui est maintenant désert ». Il dit y rencontrer « des travailleurs humanitaires qui ont l’air de s’ennuyer » ! Est-ce parce qu’ils attendent ici depuis 1, 2 ou 3 jours, comme je l’ai fait moi-même, leur permis d’entrée de l’armée israélienne ? Le docteur ne précise pas. Le docteur décrit ensuite le fleuron de ce terminal gigantesque : « Une clinique pour accueillir les urgences médicales de Gaza » ! Les médecins et les hôpitaux de Gaza étant nuls, il vaut bien mieux accueillir les patients ici, le dispatcher dans les hôpitaux israéliens et faire payer l’Autorité Palestinienne !
Suit alors la description, étrange, du passage vers Gaza, que seuls peuvent apprécier à sa juste valeur ceux qui la connaissent. On suit un corridor puis on est accueilli par des « porteurs ronchons »qui pratiquent des tarifs exorbitants (2 euros par bagage) ». « Vous êtes à Gaza ». Le lecteur comprend donc que la partie israélienne a été franchie. Les porteurs « ronchons » sont du côté palestinien, il n’y a pas de porteurs du coté israélien. On est bien arrivé à Gaza, puisque le docteur nous dit être alors « sous le regard courroucé du Hamas ». Pourquoi ce regard courroucé ? C’est bizarre, pour être moi-même passé une trentaine de fois par ce chemin, je n’ai jamais essuyé un seul regard courroucé du côté palestinien, bien au contraire ! Le docteur poursuit : « autre interrogatoire », « fouille », « mouvement du menton pour indiquer la direction à suivre, il faut porter ses bagage à bout de bras » et là le docteur développe une confusion coupable en amalgamant coté israélien et palestinien : l’ordre chronologique a disparu : il fait croire que « hauts parleurs, écartez les jambes ! levez les bras ! » se situe du coté palestinien, alors qu’il s’agit du côté israélien (les Palestiniens n’ont pas de scanners !). « Les policiers antipathiques du Hamas vous laissent rôtir au soleil » : c’est du côté israélien qu’il m’est personnellement arrivé de rôtir 3 jours sur un parking sans eau ni toilettes ! « ils indiquent de la tête la porte menant au no mans land », « feux rouges, cabines fermées, instructions aboyées » : tout ca est en fait du coté israélien, alors qu’il nous le place du coté palestinien ! « Personne, palestinien, israélien ou étranger ne comprend l’ensemble de la procédure » : là il semble ignorer qu’il est interdit par la loi israélienne à tout Israélien d’entrer à Gaza : Jeff Halpert est allé en prison (en Israël) pour çà ! Il n’y a donc que des Palestiniens ou des étrangers.
Le docteur a une vision très schématique de l’Histoire de Gaza : « la majeure partie de l’histoire de Gaza vient des récits du Coran, de la Bible et de la Torah » ! C’est effectivement ce que disaient les sionistes au début du siècle dernier. Le travail des historiens et notamment de ceux que l’on appelle les « nouveaux historiens israéliens » a bien montré l’énorme fossé qui existe entre les textes sacrés et les preuves matérielles que nous fournit l’archéologie.
« Le roi israélien David a conquis Gaza » : faux, archi-faux ! Les hasmonéens ont administré Gaza pendant 36 ans en tout et pour tout, 10 siècles après la vie supposée de David (dont on ne sait à peu près rien, le texte biblique écrit 3 siècles après sa mort étant invérifiable).
« Depuis 1948 Israël s’est déclaré une nation ». Faux la nationalité israélienne n’existe pas.
Ce sont des « rumeurs de tueries » qui auraient poussé son grand père à fuir en 48 !
« La guerre des 6 jours opposa Israël à l’Egypte, la Jordanie et la Syrie aidés de l’Irak, l’Arabie Saoudite le Soudan, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie » ! Pour que ceci soit clair, il l’écrit 2 fois en 5 pages ! La guerre de 56 est présentée curieusement : il parle pudiquement des « belligérants » sans précision ! Alors qu’Israël, la France et l’Angleterre avaient tout simplement décidé de reconquérir le canal de Suez nationalisé par le vilain Nasser !
Le récit d’un épisode de la guerre de 67 me laisse songeur : dans le camp de réfugiés où il vivait à Gaza, les soldats israéliens ont fait un appel par hauts parleurs : « tous les résidents doivent se réfugier au centre du camp ». « J’étais sûr qu’on allait être tués ». « Tout ce que les soldats ont fait fut d’arrêter quelques jeunes hommes que je ne connaissais pas pour les conduire en prison. Les soldats nous ont dit ensuite de rentrer chez nous et d’obéir aux lois » ! J’ai eu pour la part d’autres récits d’autres Palestiniens, qui sont bien connus des observateurs : des milliers de jeunes gens, en gros entre 15 et 50 ans, ont été chargés dans des autobus et déportés à la frontière égyptienne. Les Egyptiens et les organisations internationales les ont alors pris en charge. Par ailleurs en décrivant les quelques personnes qui ont été arrêtées « que je ne connaissais pas » nous dit le bon docteur, il suggère par là qu’il s’agissait de personnes étrangères au camp, sans doute des terroristes qui se cachaient lâchement au milieu de paisibles habitants !
Après 1967 le docteur parle avec ravissement de l’arrivée « des touristes israéliens » dont il portait les commissions ! Quand à la guerre de 2008-2009, il s’agit d’une « incursion » !
On est émus par l’évocation de son frère Noor « disparu en1983 ». « Il avait été incarcéré en Israël en 1983 à l’âge de 18 ans, car il travaillait pour le Fatah ». Et le docteur, au lieu de manifester un minimum de compassion, nous dit « il fut séduit par un groupe d’amis peu recommandable et se mis à vendre du haschich ». Exit le frère !
L’évacuation des colonies israéliennes de la bande de Gaza en 2005 est commentée sobrement : « en septembre 2005 les colons israéliens ont été expulsés de Gaza en vertu d’une promesse du gouvernement israélien de confier le contrôle du territoire aux Palestiniens. Ce ne fut pas vraiment une réussite » !
Les Palestiniens qui travaillent dans les tunnels sont de « passeurs », donc des exploiteurs travaillant en toute illégalité. Au fond il faudrait mieux accepter le siège…
Bien entendu « Shalit a été capturé par des militants islamiques » : alors que le soldat Shalit se promenait pacifiquement dans un tank sûrement désarmé ! Il dénie le droit des Palestiniens de faire un soldat prisonnier ? Le docteur dit que le blocus en est la conséquence : non le blocus a été mis en place après la victoire du Hamas, pas après la capture de Shalit ! Le stéréotype raciste est aussi présent : les camps de réfugiés sont « sales et bruyants ». A qui la faute ?
« L’élection du Hamas a augmenté la fréquence des tirs des roquettes ». C’est faux, le Hamas a institué une trêve unilatéralement les Israéliens refusant à s’engager à ne plus lancer d’attaques sur Gaza. Le docteur nous dit que « les roquettes Qassam sont les plus chères du monde » du fait… des représailles qu’elles provoquent ! Donc la faute est aux Palestiniens qui devraient rester tranquilles ! Ils sont formidables ces Israéliens : le docteur Abu El Aish est fier « d’être le premier médecin palestinien employé par un hôpital israélien ». Mais le docteur Abu El Aish a du tout de même faire sa médecine… au Caire ! Mais ce qu’il nous dit là est quand même intéressant : il suggère que, parmi les 1,5 millions de Palestiniens Israéliens, pas un seul ne serait donc employé comme médecin dans un hôpital israélien ? On espère vivement qu’il se trompe. Combien ont pu faire leurs études de médecine en Israël ? La question est posée.
Conclusion
Après cette longue énumération de citations commentée dans l’ordre chronologique de leur apparition, comment peut-on résumer le livre et le personnage ?
Le personnage tout d’abord : au mieux un mélange de syndrome de Stockholm (attirance perverse de la victime pour le bourreau) et de syndrome de Deir Yassin (pendant la guerre de 48, le massacre de la population de Deir Yassin, qui a ému le monde entier, a été reconnu avec noblesse par Israël… jetant un voile pudique sur les plus de trente massacres équivalents et les 400 villages rasés au cours de la même période).
Quand au fil du livre, quel est-il ? Le conflit israélo-palestinien est un problème de sentiments. Il est urgent d’attendre que la haine s’apaise. Evacué le problème politique, juridique, moral. Trouvons d’abord des « saints » des « 2 cotés », et oublions le reste. Les supporters du statu quo on trouvé dans le docteur Abu El Aish leur meilleur allié. Son message ? La paix ne serait qu’une question d’hommes. Et malheureusement ceux-ci ne sont pas aussi bons que le Dr Abu El Aish, accueilli maintenant au Canada. S’il y avait d’avantage de personnes qui pensent comme lui, des deux côtés, la paix serait possible. Mais comme il n’y a que trop peu de personnes qui pensent comme lui, la paix n’est pas possible. Il faudra du temps, des deux cotés, avant que la barrière psychologique ne s’efface.
Soutenons en tous cas cet homme remarquable dans son périple médiatique, cela nous évitera de penser aux Palestiniens. Le docteur Abu El Aish est un « bon Palestinien », d’ailleurs il pense comme nous ! Et proposons-le pour le prix Nobel de la paix, où il se retrouvera en compagnie d’autres illustres faiseurs de paix…
*Christophe Oberlin 16 juin 2013
Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis Diderot à Paris, Christophe Oberlin enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il dirige régulièrement des missions chirurgicales en Palestine, particulièrement dans la bande de Gaza où il a effectué près d’une trentaine de séjours.
Christophe Oberlin a écrit de nombreux ouvrages. Coauteur avec Jacques-Marie Bourget de Survivre à Gaza, (éditions Koutoubia, 2009) la biographie de Mohamed al-Rantissi, le chirurgien palestinien frère du dirigeant historique du HAMAS assassiné par l’État d’Israël. Auteur de Chroniques de Gaza, 2001-2011, (éditions Demi-Lune, 2011) Coauteur avec Acacia Condes de Bienvenue en palestine, destination interdite. (éditions Encre d’Orient, 2012) https://www.encredorient.com Traducteur de Gaza, au carrefour de l’histoire du journaliste anglais Gerald Butt, (éditions Encre d’Orient, 2011). Auteur de La vallée des fleurs, (éditions Erick Bonnier)
Source : https://www.silviacattori.net/article4555.html
19 juin 2013