Dans un célèbre entretien accordé au quotidien français L’Opinion, le Président Abdelmadjid Tebboune avait souligné que pour l’Algérie « la Chine et la Russie sont des alliés naturels ». En optant pour le vaccin russe Spoutnik-V, le premier vaccin à voir le jour dans le monde et le premier vaccin à être administré en Russie, l’Algérie a fait à la fois un choix pragmatique et géopolitique.
Par Philippe Tourel
Avant même de regagner Alger après un séjour de près de deux mois en Allemagne où il était soigné avec succès des suites de sa contamination au coronavirus, le chef de l’état algérien n’a pas caché sa colère en raison du retard mis par le gouvernement et les autorités compétentes dans la définition d’une stratégie vaccinale et le lancement d’une campagne nationale pour immuniser la population contre cette pandémie.
Dès le 3 août 2020, Abdelmadjid Tebboune avait instruit son Premier ministre pour «pour accélérer les contacts nécessaires avec les pays où les recherches scientifiques ont avancé pour la production du vaccin anti-Covid-19, et ce, en vue de l’acquérir dès sa commercialisation».
La campagne pour la nouvelle constitution et la maladie du président ont été avancées comme un prétexte facile à l’inaction gouvernementale malgré les instructions présidentielles on ne peut plus claires à ce sujet.
Ce retard incompréhensible a fortement irrité le chef de l’État qui à peine rétabli a rappelé son Premier ministre à l’ordre. Dans une dépêche de l’APS, datée du 20 décembre, Abdelmadjid Tebboune, depuis son lieu de convalescence en Allemagne, somme M. Abdelaziz Djerad de redoubler d’effort pour mettre en application ses anciennes instructions. Sur son compte tweeter, il écrit : « J’ai instruit le Premier ministre à l’effet de présider, sans délai, une réunion avec le Comité scientifique de suivi de l’évolution de la pandémie du Coronavirus en vue de choisir le vaccin adéquat anti covid-19 et de lancer la campagne de vaccination dès janvier 2021 ». Un message reçu cinq sur cinq par ses destinataires.
Alors même que l’année 2020 livrait ses dernières heures, le Conseil des Ministres s’est réuni le 30 décembre sous la présidence d’Abdelaziz Djerad pour traduire dans les faits les ordres présidentiels. A l’issue de cette réunion, Ammar Belhimer, le Porte-Parole du gouvernement et ministre de la Communication, donne les détails des délibérations et des décisions prises à ce sujet.
En gros, l’Algérie va acquérir le vaccin russe contre le Covid-19 « Spoutnik-V », une information vite reprise par tous les médias internationaux.
Lors de cette réunion, révèle M. Belhimer, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a annoncé la signature d’un « contrat de gré à gré simple pour l’acquisition du vaccin contre la Covid-19 avec un laboratoire russe, et ce en concrétisation de la décision du président de la République d’entamer l’opération de vaccination à partir de janvier prochain ».
« L’Institut Pasteur d’Algérie (IPA) a entamé une « série de discussions avec la société russe qui produit le vaccin Spoutnik-V, alors que des pourparlers se poursuivent avec d’autres parties étrangères » révèle M. Belhimer.
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Pourquoi l’Algérie a-t-elle choisi le Spoutnik-V ?
Premier vaccin élaboré dans le monde dont l’efficacité dépasse les 91%, ce qui est un taux plus qu’honorable, Spoutnik-V a été également le premier anti-virus administré dans le monde, en l’occurrence en Russie. Une cinquantaine de pays l’ont déjà pré-commandé, au grand dam de la presse occidentale mainstream qui n’ont même pas daigné l’évoque, ou, quand elle en parle, c’est pour le dénigrer sans aucune base objective. Les Chroniques du Grand Jeu, un site de géopolitique de référence, a bien compris les enjeux stratégiques de ce vaccin. Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « Balayant d’un revers de main les critiques occidentales, l’Argentine, n’arrivant pas à sortir des affres de la pandémie, a décidé de ne pas faire les choses à moitié : 25 millions de doses spoutnikiennes devraient arriver dans les trois prochains mois pour vacciner toute la population. La Hongrie a logiquement suivi la même voie et regardé du côté de Moscou, ce qui a comme de bien entendu provoqué les cris d’orfraie de nos plumitifs ».
L’Algérie, qui dispose d’une infrastructure de santé publique et de moyens adéquats de recherche scientifique, et d’une industrie pharmaceutique publique (Saidal), a, malgré certaines lacunes dans la gestion, et a après un retard inexpliqué, dû en grand partie à la maladie du président et l’incurie du gouvernement qui n’a pas appliqué ses instructions, finalement fait le bon choix. D’abord pour la qualité et la sécurité du vaccin ensuite la confiance mutuelle entre les deux pays qui ont étroitement collaboré dans la lutte contre la pandémie dès son apparition. Ce fut également le cas avec la Chine.
Un autre point important qui a pesé dans le choix algérien : la possibilité offerte par la société russe qui produit Souyouz V de le produire en Algérie même. A cela il faudra ajouter « le prix d’ami » consenti par le laboratoire russe et, last but not least, le peu de contraintes logistiques pour le fabriquer sur place, le transporter et le conserver. Il peut être ainsi conservé à une température variant entre +2 et +8 degrés, contrairement à certains vaccins occidentaux qui nécessite une température de -70 degrés.
Un dernier point important qui a pesé en faveur de ce choix, le vaccin russe présente à ce jour une meilleure réponse immunitaire sans effets secondaires car il utilise un vecteur viral avec un adénovirus modifié pour être inoffensif contenant le code génétique du Sars-Cov2 afin d’imiter son attaque dans l’organisme. Plusieurs types de vecteurs viraux pourrait mener à une meilleure efficacité et surtout peut-être plus longue. Une méthode classique qui a fait ses preuves dans la conception d’autres vaccins à travers l’histoire.
Rappelons enfin que l’ambassadeur russe à Alger, Igor Beliaev, avait déclaré dès le 8 décembre que son pays est « prêt à coopérer avec l’Algérie pour lancer la production au niveau local » de Spoutnik-V « Le Fonds russe d’investissements directs propose diverses formes de coopération, à savoir l’acquisition directe, le transfert de technologie, la production conjointe et la participation à la phase III des tests cliniques », a développé le diplomate, précisant : « Ce sont ces formules [de coopération] que nous avons proposées à la partie algérienne. » Autant d’arguments qui ont pesé dans le choix algérien car ils reflètent une certaine idée de la lutte contre les pandémies, loin des considérations mercantiles et spéculatives. D’autant que les autorités sanitaires algériennes avaient opté dès le départ pour la gratuité du vaccin.
L’amitié entre la Russie et l’Algérie a donc été un facteur important dans ce choix, mais pas le seul. C’est finalement un choix de cœur et de raison. Et surtout l’alternative la plus courte pour faire redémarrer la machine économique et ouvrir le pays.
Philippe Tourel