La Turquie a repris donc sa guerre contre les Kurdes du PKK en Turquie, en Irak et en Syrie. La police turque a arrêté des centaines de militants kurdes en Turquie et des dizaines d’avions de combat turcs ont attaqué des positions du PKK en Syrie et en Irak. Cette guerre est susceptible de dégénérer et sera longue et sanglante. Elle sera principalement menée sur le sol turc. Comment en est-on arrivé jusque là ?
Depuis 2013, le cessez-le feu entre l’Etat turc et les rebelles kurdes du PKK dans le sud-est de la Turquie a bien tenu. Le gouvernement a promis un soutien pour l’autonomie culturelle kurde et en retour, le Parti islamiste AKP au pouvoir a gagné les votes de certains électeurs dans les régions kurdes. Le gouvernement de l’AKP a aussi entretenu de bonnes relations avec les Kurdes dans le nord de l’Irak. Il achète du pétrole directement le pétrole extrait par le gouvernement autonome kurde et soutient la kleptocratie du clan Barzani au pouvoir dans cette région irakienne autonome.
Le PKK est une organisation militante kurde en Turquie. L’équivalent en Syrie est le YPG. En Iran, le groupe est appelé PJAK et en Irak HPG. Le parti HDP en Turquie est le bras politique du PKK. Le PYD est le bras politique de l’YPG syrienne. Tous ceux-ci sont essentiellement la même organisation laïque égalitaire, marxiste / anarchiste luttant pour l’autonomie ou l’indépendance kurde.
La Turquie a repris donc sa guerre contre les Kurdes du PKK en Turquie, en Irak et en Syrie. La police turque a arrêté des centaines de militants kurdes en Turquie et des dizaines d’avions de combat turcs ont attaqué des positions du PKK en Syrie et en Irak. Cette guerre est susceptible de dégénérer et sera longue et sanglante. Elle sera principalement menée sur le sol turc. Comment en est-on arrivé jusque là ?
La guerre contre la Syrie et le soutien apporté par la Turquie pour les islamistes les plus radicaux qui combattent le gouvernement syrien a changé les relations avec les Kurdes. Il est indéniable que la Turquie ne soutient pas seulement l’Armée syrienne libre, mais aussi le Front Al-Nosra, la filiale syrienne d’Al-Qaïda et Daech (ou Etat islamique en Irak et la Syrie). La Turquie est le pays de transit pour les candidats internationaux qui rejoignent ces organisations pour servir de commando-suicide. Armes, munitions et autres marchandises sont introduites clandestinement en Syrie avec l’aide des services secrets turcs et l’Etat islamique écoule le pétrole volé en Irak et en Syrie sur le marché turc. L’État islamique recrute aussi en Turquie et est soupçonné d’avoir de nombreuses cellules dormantes dans tout le pays.
Lorsque Daech a attaqué les positions kurdes à Kobané, dans le nord de la Syrie, les Etats-Unis sont intervenus en soutien aux Kurdes. La Turquie a été vexée et a, comme première réaction, bloqué toute aide aux Kurdes assiégés à Kobané. Les Kurdes qui combattaient à Kobané sont, comme les rebelles kurdes en Turquie, organisés dans le PKK / YPG. Ils veulent une région autonome continue dans le nord de la Syrie reliant entre elles toutes les enclaves kurdes le long de la frontière syrienne turque.
Ankara craint qu’une telle région puisse faire la jonction avec les zones kurdes dans le sud-est de la Turquie. Ce serait une menace pour l’Etat turc. Dans sa guerre contre la Syrie, la Turquie cherche à annexer des territoires syriens et non pas perdre une partie de son propre territoire. Les régions d’Idlib et d’Alep en Syrie tout comme la région de Mossoul en Irak sont les régions qui Erdogan souhaiterait ajouter à son royaume.
La résistance des Kurdes de Syrie et d’Irak face aux assauts de Daech qu’ils ont non seulement repoussés mais aussi conquis certains de ses territoires, a mis en échec les plans expansionnistes du gouvernement de l’AKP.
Last but not least, l’AKP a mordu la poussière dans les dernières élections législatives en Turquie alors que le parti HDP kurde, parvenait pour la première fois de son histoire, à entrer dans le parlement turc, ce qui a eu pour résultat de priver Erdogan d’une majorité parlementaire absolue qui lui aurait permis d’amender la constitution afin d’instaurer un régime présidentiel permettant à Erdogan de devenir un président tout-puissant. Ses rêves d’une Turquie ottomane sont terminés.
Pour changer la donne, Erdogan a décidé de rouvrir la guerre contre les Kurdes sous le fallacieux prétexte de se joindre à la guerre américaine contre Daech.
Le 20 Juillet, une bombe a explosé lors d’une réunion de jeunes Kurdes socialistes dans la ville frontalière avec la Syrie Suruç. Une trentaine de personnes ont été tuées et plus d’une centaine de blessés. La Turquie a immédiatement attribué l’attaque à Daech, même si ce dernier n’a jamais revendiqué l’attaque. Le PKK kurde, par contre, a immédiatement pointé du doigt l’Etat turc qu’il a accusé de collusion avec l’État islamique. Le lendemain, le PKK a tué deux policiers turcs pour venger les victimes kurdes de cet attentat.
L’année dernière, des enregistrements audio secrets contenant des conversations entre le Premier ministre Erdogan et le chef des services secrets turc avaient fuité.
Les deux hommes avaient, selon ces enregistrements, planifié une attaque sous faux pavillon contre des cibles turques pour s’en servir comme un casus belli pour envahir la Syrie. L’hypothèse avancée par le PKK d’une connivence entre les services turcs avec Daech pour perpétrer le carnage contre les Kurdes en Turquie est donc tout à fait plausible.
Prétendre, comme le laisse entendre le gouvernement d’Ankara, que l’attentat anti-kurde de Suruç était le résultat d’un « échec du renseignement » apparaît comme un simple écran de fumée. Cet attentat a permis à la Turquie de déclencher une campagne de relations publiques créditant l’idée qu’elle se combat l’Etat islamique, alors qu’en réalité la Turquie ne fait qu’attaquer les Kurdes qui luttent contre l’État islamique !
Le mercredi 22 juillet la police turque a mené des centaines de perquisitions dans tout le pays. Les arrestations de masse ont été « vendues » comme une action contre les combattants de Daech. Mais à part quelques-uns de ces combattants daechistes bien connus des Services secrets, ce sont des centaines de militants kurdes et de gauche qui ont été raflés et placés en détention. A la suite de ces rafles, les manifestations et les émeutes organisées les Kurdes à Istanbul et dans d’autres villes ont augmenté. Aujourd’hui, les tribunaux turcs ont interdit les agences et les médias kurdes. Les médias turcs et de l’Internet en Turquie sont de nouveau partiellement censurés.
Pourquoi Erdogan cherche-t-il maintenant à déclencher la guerre contre les Kurdes? Quels sont ses objectifs? Voici quelques uns de ces objectifs qui viennent à l’esprit :
• Empêcher l’unification géographique des cantons kurdes frontaliers de la Turquie dans le nord de la Syrie, que Daech a perdus après la contre-offensive kurde.
• Maintenir sécurisées les voies d’approvisionnement en armes et en combattants à al-Qaïda, à l’État islamique et à d’autres groupes qui combattent l’Etat syrien avec comme objectif à long terme l’annexion du nord la Syrie.
• Provoquer, autour d’Erdogan, un sursaut nationaliste en prélude à un nouveau tour des élections d’où le HDP kurde sera banni. Ce qui permettrait à l’AKP de gagner à nouveau la majorité absolue.
• Obtenir le soutien de l’armée turque, qui est un adversaire politique de M. Erdogan, mais voit le plus grand danger dans une éventuelle autonomie kurde.
Le 24 juillet, le gouvernement turc a annoncé qu’il allait ouvrir la base aérienne d’Incirlik pour les vols d’attaque US contre Daech. Il a également affirmé que les Etats-Unis avaient accepté de d’imposer une zone d’exclusion aérienne à la Syrie. Ce que Washington a officiellement démenti par la suite. Les bombardiers turcs ont mené quelques attaques contre des prétendus cibles daéchistes dans le nord de la Syrie. Les Kurdes ont toutefois affirmé que les bombardiers turcs n’ont ciblé que des maisons inhabitées. Le plan initial annoncé par les officiels turcs semble différent de ce que les Turcs font réellement:
La Turquie et les États-Unis ont convenu d’un plan d’action militaire ayant pour objectif de nettoyer la frontière turco-syrienne de terroristes djihadistes de Daech pour en faire une « zone de sécurité».
…
Le plan conçu par Ankara et Washington prévoit le déploiement d’unités de l’Armée syrienne libre dans cette région au cas où Daech y serait complètement éliminé. Ce scénario permettrait à la fois d’éviter d’un côté que les Unités de protection du peuple (PYD, affilié au PKK)) n’étendent pas davantage leur territoire vers l’Ouest et de l’autre côté créer les conditions favorables pour instaurer une zone de sécurité permettant d’accueillir les Syriens qui fuient la violence ou ceux qui veulent retourner de la Turquie dans leurs pays d’origine.
La nuit du 24 juillet, l’armée de l’air turque a poursuivi ses raids contre les bases du PKK Kurde en Irak en évitant de cibler les combattants de Daech ou les positions des autres groupes islamistes en Syrie. Plusieurs dizaines de bombardiers turcs ont attaqué des postions du PKK dans le nord de l’Irak. Le commandement turc prétend que ces mêmes bombardiers ont également survolé l’espace aérien syrien. Il s’agit en fait d’une attaque contre le groupe (PKK/PYD) qui avait remporté, avec le soutien de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, le plus de succès dans la lutte contre Daech. On se demande alors comment la Turquie a pu obtenir l’accord de Washington pour combattre le PKK/PYD ? Les États-Unis seraient-ils donc de connivence avec Ankara dans sa guerre maintenant ouverte contre le PKK kurde? Si c’est le cas comment les Etats-Unis vont-ils continuer à prétendre qu’ils sont des alliés du PKK / PYD dans leur guerre contre Daech ?
La position des Etats-Unis est confuse:
Les responsables de l’administration Obama admettent que le PKK et les PYD sont liés entre eux et coordonnent leurs efforts dans leur lutte commune contre Daech. Ils déclarent cependant qu’ils continueront à entretenir des relations formelles avec le PKK tout en traitant directement avec les PYD. Pour les responsables américains, ces deux groupes ne sont pas identiques, fonctionnent dans des structures de commandement distinctes et ont des objectifs différents.
…
Il y a deux ans, le président Barack Obama a déclaré aux dirigeants turcs que les Etats-Unis continueront à aider la Turquie dans son combat contre le PKK « terroristes ». Les Etats-Unis continuent à partager des renseignements sur le PKK avec la Turquie, et les responsables militaires des deux pays siègent ensemble, dans le cadre d’une cellule commune de récoltes de renseignements à Ankara. Une cellule décidée par l’administration de George W. Bush en vue d’aider la Turquie à lutter contre le groupe.
Mais maintenant, « les Etats-Unis sont devenus la force aérienne des PYD, et les PYD sont devenues des forces terrestre des États-Unis en Syrie», a déclaré Henri Barkey, un ancien analyste du Département d’Etat sur la Turquie maintenant à l’Université Lehigh.
Encore une fois, il convient d’affirmer que le PKK et les PYD ne sont pas vraiment des organisations distinctes. Ils sont essentiellement les mêmes. Il semble que les États-Unis sont maintenant en train d’aider le gouvernement turc – qui soutient Daech – à bombarder les positions kurdes, tout en apportant en même temps un soutien aérien aux mêmes Kurdes qui combattent Daech.
La question est qui a eu, à Washington, à imaginer une telle politique lunatique et pour quel but ?
Moon of Alabama
Traduit de l’anglait par AA