Avec le départ d’Assad, l’avenir de la Syrie est en suspens alors que les puissances étrangères et les divisions internes menacent de déchirer le pays. Un État unifié peut-il émerger ou la partition est-elle inévitable ?
Par Mohamad Hasan Sweidan* / Traduit par Brahim Madaci
Depuis des années, le débat sur la balkanisation de la Syrie persiste comme une option réaliste qui pourrait un jour être imposée au pays. Les récents bouleversements politiques – marqués par l’éviction du président Bachar el-Assad – ont remis l’éclatement de la République arabe syrienne sur le devant de la scène.
Au cours de la dernière décennie, la Syrie est devenue le théâtre d’affrontements entre puissances étrangères. La Russie et l’Iran ont soutenu le gouvernement Assad, tandis que les États-Unis et leurs alliés, notamment la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, se sont alignés sur les groupes d’opposition. Les actions de la Turquie et, dans une moindre mesure, du Qatar, ont reflété leurs propres ambitions dans le croissant fertile du Levant.
Jusqu’à récemment, quatre pays – la Russie, l’Iran, la Turquie et les États-Unis – maintenaient une présence militaire significative en Syrie, contrôlant collectivement 801 bases et avant-postes, selon les données de cette année du Jusoor Center for Studies.
Une concurrence pour l’influence
Jusqu’à récemment, quatre pays – la Russie, l’Iran, la Turquie et les États-Unis – maintenaient une présence militaire significative en Syrie, contrôlant collectivement 801 bases et avant-postes, selon les données de cette année du Jusoor Center for Studies.
La stratégie de chaque pays reflète ses intérêts : la Turquie soutient la faction militante dominante Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une organisation terroriste désignée par l’ONU, et Washington soutient les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes.En fin de compte, ils contribuent tous à la souveraineté fragmentée de la Syrie et aux agendas concurrents qui dominent son avenir.
Avec l’effondrement de l’ancienne autorité syrienne, le retrait de l’Iran et du Hezbollah, et l’incertitude croissante de la Russie quant à sa future présence militaire, de nouvelles dynamiques sont apparues qui pourraient déterminer l’avenir du pays. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis prennent des mesures pour contrebalancer le pouvoir croissant du HTS et de son chef, Ahmad al-Sharaa, plus connu sous le nom d’Abu Mohammad al-Julani.
Ces États du golfe Persique considèrent les récents développements à la fois comme une menace et comme une opportunité. Riyad et Abou Dhabi craignent le retour de l’islam politique, fortement soutenu par Ankara et Doha, par le biais d’une porte d’entrée dirigée par Damas. Dans le même temps, ils y voient une chance de renforcer leurs investissements dans les groupes d’opposition afin de s’assurer une influence dans l’élaboration de la prochaine structure dirigeante de la Syrie.
Outre Israël, qui contrôle désormais des pans entiers du sud de la Syrie, la Turquie est l’un des principaux bénéficiaires de la chute d’Assad. Opposé de longue date à son régime, le président turc Recep Tayyip Erdogan a exprimé sa position dès 2011, avertissant Assad que son règne prendrait inévitablement fin.
En novembre de cette année-là, le président turc aurait déclaré à M. Assad lors d’une réunion à Istanbul : « Vous ne pouvez rester au pouvoir avec des chars et des canons que pendant une certaine période.Le jour viendra où vous partirez aussi ».
La Turquie et la menace kurde
Ankara a toujours poursuivi ses objectifs stratégiques en Syrie, notamment en freinant les ambitions territoriales des Kurdes. Erdogan a promis à plusieurs reprises de lancer des opérations militaires dans le nord de la Syrie, dans le but d’éliminer les combattants liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu’Ankara, les États-Unis et l’Union européenne ont officiellement désigné comme une organisation terroriste.
La chute d’Assad a offert à la Turquie une occasion sans précédent d’affirmer sa domination et de bloquer la formation d’une entité kurde indépendante, et le soutien d’Ankara à Joulani lui a donné un moyen de pression sur ses rivaux.
Les combats se sont intensifiés entre les forces soutenues par la Turquie, notamment l’armée nationale syrienne (ANS), et les militants kurdes soutenus par les États-Unis dans le nord-est, alors que les forces dirigées par le HTS gagnaient du terrain. Récemment, les affrontements se sont intensifiés autour d’Ain al-Arab (Kobani), où les troupes turques et leurs milices alliées se seraient massées, faisant craindre une nouvelle offensive transfrontalière.
Washington a négocié un cessez-le-feu au début du mois entre Ankara, les militants soutenus par la Turquie et les forces kurdes soutenues par les États-Unis, qui a été prolongé jusqu’à la fin de cette semaine, selon le département d’État américain.
Toutefois, un responsable du ministère turc de la défense a contesté cette affirmation le 19 décembre, déclarant à Reuters qu’il n’était pas question d’un cessez-le-feu.
Les forces turques ont poursuivi leurs frappes dans des zones telles que Ain al-Arab et Ain Issa, montrant ainsi qu’Ankara est prête à tirer parti de son avantage stratégique actuel.
La confiance d’Erdogan découle du renforcement de la position de la Turquie alors que les puissances rivales comme l’Iran et la Russie perdent de leur influence. Parallèlement, l’influence croissante d’Ankara complique la capacité des FDS (autonomistes kurdes) à obtenir un soutien régional, laissant le groupe à son point le plus faible.
La récente décision des FDS d’adopter le drapeau à trois étoiles de l’indépendance syrienne suggère une tentative d’intégration dans le cadre politique de la Syrie post-Assad, mais son avenir reste précaire, avec la crainte de nouvelles attaques de l’ISIS et d’autres adversaires.
L’administration semi-autonome kurde a décrit le drapeau comme un « symbole de cette nouvelle étape, car il exprime les aspirations du peuple syrien à la liberté, à la dignité et à l’unité nationale ».
La partition : Une question qui divise
La question de la partition de la Syrie n’est toujours pas résolue, influencée par des facteurs locaux, régionaux et internationaux qui se chevauchent. L’idée a fait son chemin pendant le soi-disant printemps arabe et a récemment refait surface, tout comme la notion d’un renouveau du printemps arabe et de ses idéaux vaguement définis.
La chute d’Assad a relancé les spéculations sur la division de l’État en entités distinctes, y compris une région à majorité sunnite, une zone fédérale contrôlée par les Kurdes, un bastion alaouite le long de la côte et une enclave druze dans le sud.
La capacité du gouvernement de transition à maintenir l’unité de la Syrie sera un facteur essentiel pour vérifier son intention déclarée de préserver l’intégrité territoriale de la Syrie.
Les forces d’opposition, qui ont retrouvé leurs territoires d’origine, pourraient se réorganiser et chercher à jouer un rôle dans l’administration du pays.
Cela rappelle l’émergence du « Rojava » dans le nord-est de la Syrie, où les Kurdes, en mars 2016, ont déclaré un système fédéral à partir de la province de Hasakah. Bien que le gouvernement syrien et la plupart des groupes d’opposition aient rejeté cette initiative, les Kurdes ont réussi à maintenir leur contrôle sur près d’un tiers de la Syrie au cours des années qui ont suivi.
Parallèlement, les discussions concernant un bastion alaouite le long de la côte du Sahel et une entité druze centrée sur Suwayda ont également repris de l’ampleur. Dans le sud de la Syrie, certains groupes armés locaux de Suwayda et de Daraa, qui bordent la Jordanie, ont participé activement à des opérations conjointes avec des factions de l’opposition.
Maintenir la cohésion d’un État fragile
Il convient de noter que la sortie des militants de l’opposition du nord de la Syrie et leur entrée dans tous les territoires syriens signifient que les groupes autrefois sous la domination des HTS à Idlib ont aujourd’hui retrouvé leur géographie et leur démographie de base. Il est donc possible que ces groupes se reconstituent dans leurs régions et exigent une part de la nouvelle administration du pays.
L’étape politique actuelle est marquée par l’attente de savoir si le HTS et le gouvernement intérimaire peuvent empêcher une aggravation du chaos et consolider la gouvernance sous leur égide.Son chef, Julani, semble se lancer dans une course contre la montre pour établir une nouvelle autorité avant que les divisions internes ne deviennent insurmontables, et ce alors qu’Israël maintient son emprise sur le plateau syrien occupé du Golan.
Sa stratégie consiste à préserver les institutions de l’État, à accueillir les combattants étrangers résidents et les groupes minoritaires, et à faire des ouvertures aux États arabes et aux puissances occidentales.
Ces ouvertures se concentrent sur le redressement économique, évitent la rhétorique islamique incendiaire, minimisent la mainmise massive d’Israël sur le territoire du sud de la Syrie et distancient Damas de l’Iran et de ses alliés, tout en visant à encourager l’Occident à lever les sanctions. Le plus grand défi auquel sont confrontées les nouvelles autorités est de savoir si elles parviendront à instaurer la stabilité et l’unité, ou si les fractures internes et les pressions externes conduiront la Syrie vers le chaos et la fragmentation.
Mohamad Sweidan
*Mohamad Sweidan est chercheur en études stratégiques, rédacteur pour différentes plateformes médiatiques et auteur de plusieurs études dans le domaine des relations internationales. Il se concentre principalement sur les affaires russes, la politique turque et la relation entre la sécurité énergétique et la géopolitique.
The Cradle
https://thecradle.co/articles/syrias-next-chapter-fragile-unity-or-permanent-fragmentation
Traduit par Brahim Madaci