L’annonce du président américain, le 18 juin, exprimant sa volonté de « dominer l’Espace » et d’y créer une « force militaire » est glaçante. Les ambitions guerrières et impérialistes américaines dépassent désormais les limites de notre planète Terre, et étendent à l’Espace le concept de « Frontière » développé depuis l’arrivée des « Pilgrim Fathers », en 1620 sur la côte Est, à bord du Mayflower.
Repousser la frontière toujours plus loin est un concept profondément ancré dans l’inconscient collectif américain, depuis le génocide des Indiens d’Amérique du Nord et l’occupation progressive des terres jusqu’au « Far West », au déploiement, ensuite, hors du territoire national, à coup de guerres, de coups d’État, d’invasions et de massacres de populations. Des crimes contre l’Humanité jamais sanctionnés. Après la terre, l’Espace donc. « Il ne suffit pas d’avoir une simple présence américaine dans l’Espace. Il doit y avoir une domination américaine dans l’Espace » a déclaré Donald Trump, précisant qu’ « il y aura une armée de l’Air et il y aura l’armée de l’Espace. Distinctes mais égales ». La militarisation de l’Espace, parce qu’elle menace l’Humanité dans une volonté de domination militaire totale de la planète, serait un ultime crime contre l’Humanité.
Ce scénario que l’on ne connaissait jusqu’ici que dans les oeuvres de science fiction ou les jeux électroniques, est donc, devenu un vrai projet. Et comme il en a fait la démonstration avec l’accord sur le nucléaire iranien, sur l’environnement et d’autres traités et accords bilatéraux ou multilatéraux, le président américain n’a aucun état d’âme à piétiner les engagements américains pris avec la communauté internationale. Peu importe que les États-Unis aient signé le Traité sur l’Espace entré en vigueur en 1967, qui interdit d’y déployer des armes de destruction massive et stipule que « l’utilisation de la Lune ou tout autre corps céleste doit servir uniquement des objectifs pacifiques ».
En mars dernier, Donald Trump avait déjà suggéré la création d’une « Force de l’Espace » en vue d’opérations militaires, au cours d’un discours prononcé devant les Marines de Californie. « L’Espace est un champ de bataille, au même titre que la terre, l’air et la mer », avait-il déclaré, précisant, « nous pourrions même avoir une Space Force, nous avons l’Air Force, nous aurons la Space Force ». Les propos du président américain avaient déclenché une cascade de commentaires humoristiques sur le web, mais le Congrès américain avait pris très au sérieux cette annonce et l’avait mise en premier point de l’ordre du jour du sous-comité pour le budget de la Défense, à la demande de Kay Granger, représentante du Texas. Le chef d’état major de l’US Air Force, David Goldfein, avait alors déclaré qu’il était « très excité par le dialogue », le ministre de la Défense, Jim Mattis et Heather Wilson, son secrétaire pour l’Air Force, s’étaient opposés à cette idée tout en reconnaissant, cependant, que l’Espace constitue un « front important » et que c’était, effectivement, un « champ de bataille ».
Le « dialogue » attendu avec « excitation » par David Goldfein n’a visiblement pas eu lieu et la « suggestion » est devenue un « ordre ». Il estime, aujourd’hui que cette décision « mènerait dans la mauvaise direction ». Mais ne nous y trompons pas, le chef d’état major de l’US Air Force n’est cependant pas animé de bons sentiments, il ne fait que défendre son territoire, voyant d’un mauvais oeil la création de ce 6ème corps d’Armée qui lui échappera tout en lui enlevant des prérogatives stratégiques essentielles, l’Armée de l’Air étant seule responsable, jusqu’ici, du contrôle des activités aériennes militaires américaines. L’Air Force Space Command (AFSC) qui emploie 40 000 personnes dans 88 bases réparties sur le territoire américain et dans le monde, a, en effet, pour mission de soutenir l’armée américaine dans l’Espace et le cyberespace (surveillance de satellites, contrôle de l’espace et renseignement, communication, missiles intercontinentaux, bouclier antimissiles etc). En 2016, Space Command a lancé son concept d’opérations spatiales visant à répondre aux attaques dans l’Espace et à contrer la technologie de la Chine et de la Russie.
David Goldfein n’a désormais plus le choix. « J’ordonne au département de la Défense et au Pentagone d’engager immédiatement le processus nécessaire à la création d’une force de l’Espace comme Sixième branche des forces armées. C’est une déclaration importante. (…) Notre destin au-delà de la Terre n’est pas seulement une question d’identité nationale, mais un problème de sécurité nationale » a-t-il conclu interpellant le Général Joe Dunford, le chef d’état-major des armées des États-Unis, le militaire le plus haut gradé des forces armées américaines.
Cependant, hormis la conception du projet par le Pentagone, rien ne pourra être fait sans le vote d’une loi par le Congrès, tandis que le Sénat a, jusqu’ici, résisté à tous les appels à la création d’une nouvelle branche de l’armée. Le débat sur le sujet n’est, en effet, pas nouveau, il dure depuis une vingtaine d’année. Dans le cadre du National Defense Authorization Act (Loi d’autorisation de la Défense nationale qui fixe annuellement le budget et les dépenses du département de la Défense et est supervisé par le Congrès), il a été demandé au secrétaire adjoint Patrick Shanahan de faire un rapport sur la Space Force qui doit être présenté en décembre prochain au Congrès divisé sur le sujet et qui ne prendra, probablement, pas de décision d’ici là.
L’annonce de Donald Trump a, inévitablement, provoqué la réaction immédiate de la Russie. Le 19 juin, cité par l’agence de presse russe Ria, Viktor Bondarev, président du Conseil de Défense, a déclaré : « La militarisation de l’Espace mènera au désastre. Si les États-Unis se retiraient des accords de 1967, qui proscrivent le déploiement d’armes nucléaires dans l’espace, (cette décision) appellerait une réponse forte de la part de notre pays, mais aussi d’autres États, il en irait de la préservation de la sécurité internationale ». Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a, de son côté, déclaré que « le plus préoccupant, dans cette annonce, est que l’objectif a été clairement indiqué : assurer la domination dans l’Espace », estimant qu’une telle décision « aurait un impact déstabilisateur sur la stabilité stratégique et la sécurité internationale ».
La Chine a, également, réagi par la voix du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Geng Shuang, qui a rappelé l’opposition de son pays à l’idée de transformer l’Espace en champ de bataille. « La Chine préconise toujours l’utilisation pacifique de l’Espace et s’oppose à l’implantation d’armes et à une course à l’armement dans l’Espace », a-t-il déclaré. Les deux États ont proposé un traité international pour y interdire le déploiement d’armes.
L’ESPACE, ZONE DE PAIX
Programme spatial lancé par l’Union soviétique en 1969 pour permettre l’accès à l’Espace à différents pays, Intercosmos avait pour mission d’envoyer des spationautes et des scientifiques étrangers dans la station MIR, dont le français Jean-Loup Chrétien, mais aussi de nombreux Européens (Royaume –Uni, Autriche Slovaquie, Allemagne, et même un Syrien, un Indien, un Japonais et un Afghan). Sept Américains y ont séjourné dans le cadre du programme Shuttle-Mir. MIR, qui signifie « Paix » en russe, fut la première station spatiale en orbite terrestre basse, mise en orbite le 19 février 1986. Il fallut dix ans pour assembler ses six modules pressurisés. Dédiée à la recherche civile, MIR fut la première station spatiale, également, à permettre des séjours de longue durée. Symbole fort d’une coopération spatiale internationale pacifique, MIR a été désorbitée en juin 2001. Elle est, également, le symbole d’une coopération pacifique possible entre les États-Unis et l’Union soviétique, d’abord, la Russie, ensuite.
En juin 1992, le président américain George H.W. Bush et son homologue russe, Boris Eltsine, signaient l’ « Accord de coopération sur l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques » qui comprenait le séjour d’un astronaute américain à bord de la station MIR et le vol de deux Russes à bord d’une navette spatiale américaine.
Un an plus tard, en septembre 1993, le Vice-président des États-Unis, Al Gore et le Premier ministre russe Viktor Tchernomyrdine, présentaient les plans de la future station spatiale internationale (SSI) de recherche scientifique qui devait succéder à MIR, développée par la NASA avec la participation de l’agence russe FKA et des agences spatiales européenne, japonaise et canadienne. L’assemblage en orbite débuta en 1998, mais, freinée par différents aléas et tension, la construction ne sera achevée qu’en 2017. Quinze pays ont signé l’Accord inter-gouvernemental de la station le 29 janvier 1998, qui fixe les règles d’une coopération pour le moins complexe. Si la SSI a connu et connaît encore des problèmes et des tensions autour de questions techniques et financières, elle reste, comme MIR le fut, le symbole fort de la nécessité absolue de défendre l’Espace comme zone de paix, comme c’est le cas pour l’Antarctique.
Par Christine Abdelkrim-Delanne