La Mère de tous les mensonges est un film fascinant de la réalisatrice et scénariste marocaine Asmae El Moudir. Il traite d’événements traumatisants de son passé familial et de l’histoire de son pays.
Un épisode central, autour duquel s’articule une grande partie du film, est un soulèvement populaire survenu en juin 1981 à Casablanca, connu sous le nom de la Révolte du pain. L’armée marocaine, envoyée par le régime du roi Hassan II dans les quartiers pauvres où la foule manifestait, a massacré environ 1 000 hommes, femmes et enfants. Les corps ont été emportés par les soldats et enterrés en secret, les photographies des morts furent interdites.
Moudir n’est née que neuf ans plus tard, mais elle a fini par considérer ce massacre, dont rien ne pouvait être dit ou montré publiquement, comme faisant partie de la trame de son histoire et de sa vie familiale, comme une part de leur caractère inexpliqué et troublant. Elle semble moins claire sur le rôle précis que joue cet épisode tragique.
La démarche de la cinéaste est atypique, peut-être un peu imposée par les circonstances. Pour des raisons politiques, il reste difficile de se confronter aux crimes commis par Hassan II (auquel son fils, Mohammed VI, l’actuel souverain, a succédé sur le trone). Une «commission pour la vérité» a été mise en place au début des années 2000, qui a blanchi les brutalités et la répression menées depuis des décennies par l’État marocain: des milliers d’arrestations arbitraires, des «disparitions», des procès abusifs, des actes de torture, des viols et des représailles contre des proches.
Qu’il soit difficile de filmer dans le quartier de sa famille ou qu’il ait considérablement changé, Moudir travaille avec son père, un maçon qualifié, pour reconstruire le quartier tel qu’il était pendant son enfance en miniature, y compris la maison dans laquelle elle a grandi, avec de minuscules figurines humaines. En même temps, elle réunit sa mère et son père, sa grand-mère et deux voisins, dans un effort pour parvenir à la vérité, ou du moins à une plus grande partie de la vérité, sur le passé refoulé ou obscurci. Diverses conversations et petits drames se déroulent dans l’espace, entrecoupés de matériel sur les événements historiques.
En narrant le film, Asmae El Moudir affirme que la maquette du quartier est «un endroit où les secrets peuvent être révélés».
Moudir exprime une grande colère contre sa grand-mère, aujourd’hui une femme bien âgée, qu’elle accuse de «contrôler tout le monde». La vieille femme a passé «des années à espionner les gens», elle était une «dictatrice qui opprimait tout le monde», etc. Elle aboie généralement sur les autres membres de la famille, traitant sa petite-fille de «salope» à un moment donné. Interrogée sur le jour des massacres de 1981, la vieille femme s’exclame: « Je n’ai rien vu. Rien du tout! Je n’ai rien vu. Maintenant, vas-t-en.»
Moudir apprend finalement que certains aspects répressifs de sa grand-mère, notamment son hostilité à être photographiée et aux images photographiques en général, trouvent leur origine dans ses souffrances personnelles ainsi que dans sa peur des autorités.
Ce n’est pas la seule découverte que fait Moudir sur l’imagerie et sa signification. Elle se souvient très bien d’une «photo de moi enfant. La seule que j’avais. Une photo que ma mère m’avait donnée pour me rassurer, sans effet. J’étais convaincue que ce n’était pas moi sur cette photo et que ma mère m’avait menti ».