
– Une image de 1894 des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas par Maurice Leloir, illustrateur, aquarelliste et écrivain français
Alors que le conflit en Ukraine se rapproche d’Odessa, la guerre est élevée au rang d’aventure romantique. Si Alexandre Dumas était vivant, l’idée lui serait peut-être venue d’écrire une suite à ses Trois Mousquetaires, roman historique écrit en 1844, qui met en scène des épéistes héroïques et chevaleresques qui se battent pour la justice, soulignant les absurdités de l’Ancien Régime dans un contexte où le débat en France entre républicains et monarchistes était encore vif.
PAR M. K. BHADRAKUMAR
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky se retrouve pour la deuxième fois dans le rôle principal de trois mousquetaires : le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le secrétaire général des Nations unies António Guterres et le chef de la politique étrangère de l’UE Josep Borrell.
La première fois, Zelensky a joué dans un film musical russe basé sur le roman de Dumas, avec trois belles actrices soviétiques – Anna Ardova, Ruslana Pysanka et Alyona Sviridova – dans le rôle des mousquetaires, qui est sorti à Moscou la veille du Nouvel An 2004.
Pour en revenir au temps présent, vendredi, c’était une controverse en attente lorsque la Russie a tiré quatre missiles Kalibr de haute précision et détruit l’infrastructure militaire ukrainienne dans le port d’Odessa, juste un jour après la signature à Istanbul de l’accord sur les céréales entre la Russie et l’Ukraine, qui prévoit la reprise des exportations de céréales depuis la région.
Zelensky a rapidement crié que le tir de missile était un acte « barbare ». Et Blinken est monté au créneau pour porter des accusations contre la Russie ; Guterres est monté au créneau pour condamner « sans équivoque » le tir russe ; et, Borrell a paresseusement écrit sur Tweeter que le tir de missile était « particulièrement répréhensible & démontre à nouveau le mépris total de la Russie pour le droit et les engagements internationaux ».
Quant aux Russes, ils ont dormi sur leurs deux oreilles – du moins jusqu’à dimanche, lorsque, en fin d’après-midi, le ministère de la défense à Moscou a inséré deux phrases lapidaires dans son habituel bulletin quotidien sur les opérations du jour en Ukraine :
« L’attaque lancée par des missiles de haute précision à longue portée basés en mer a entraîné l’élimination d’un navire militaire ukrainien et d’un dépôt de missiles antinavires Harpoon livrés par les États-Unis au régime de Kiev dans le port maritime d’Odessa. La liste des cibles neutralisées comprend également les installations de production d’une entité spécialisée dans la réparation et la modernisation de la flotte de la marine ukrainienne. »
Zelensky a rapidement publié une clarification indiquant que la mise en œuvre de l’accord sur les céréales du port d’Odessa n’était pas remise en question. Apparemment, il ne s’était pas coordonné avec les trois mousquetaires assis ailleurs qui ont réagi prématurément. Blinken a probablement fait preuve de logique en détournant l’attention des problèmes de corruption qui ont été relancés dans le Beltway concernant le train de gratification de l’Amérique pour l’Ukraine.
Fondamentalement, l’accord sur les céréales est une plaie pour l’administration Biden, qui ne s’attendait pas à pouvoir négocier un accord exigeant une grande flexibilité de la part de l’armée russe. Ce qui est encore plus exaspérant, c’est que l’accord s’avère être une victoire politique pour la Russie.
Moscou bénéficie d’une bonne publicité pour son pragmatisme dans la levée de son blocus naval afin de faire face à la crise alimentaire mondiale, mais ce qui n’est pas évident pour la plupart des gens, c’est que l’accord sur les céréales est un accord consécutif qui engage également les Nations unies à lever les restrictions imposées par l’UE et les États-Unis sur les exportations de céréales et d’engrais de la Russie.
En outre, outre les importants revenus tirés des exportations de céréales et d’engrais, Moscou bénéficie d’une bonne volonté non quantifiable de la part de nombreux pays qui dépendent de manière critique du blé russe, notamment en Asie occidentale et en Afrique. De toute évidence, Blinken & Co. ont trouvé irrésistible l’envie de gâcher la fête à Moscou.
C’est là qu’intervient Sergey Lavrov. Depuis Oyo, en République du Congo, au cœur de l’Afrique, où il se rendait pour assurer le suivi de l’accord sur les céréales – la Russie est le premier fournisseur de céréales de l’Afrique – le ministre des affaires étrangères, M. Lavrov, a perçu l’immense potentiel de la situation émergente. En quittant Oyo en direction de Kampala, M. Lavrov a fait trois remarques :
- L’accord sur les céréales ne contient rien « qui nous empêche de poursuivre l’opération militaire spéciale et de frapper les infrastructures militaires et d’autres cibles militaires. Et les représentants du secrétariat des Nations unies… ont confirmé cette interprétation des documents hier. » (Guterres n’était apparemment pas au courant.)
- Le tir de missile visait « une partie distincte du port d’Odessa, la soi-disant partie militaire » et, par conséquent, « il n’y a pas d’obstacles à l’expédition de céréales aux entrepreneurs en vertu des accords d’Istanbul et nous n’en avons créé aucun. » (D’ailleurs, Zelensky lui-même le reconnaît).
- Le tir de missile visait le dépôt où étaient stockés les missiles antinavires Harpoon du Pentagone. « Ces missiles ont été livrés pour constituer des menaces pour la flotte russe de la mer Noire. Maintenant, ils ne représentent aucune menace. »
Ce que Lavrov n’a pas dit mais aurait laissé entendre, c’est que le théâtre de guerre d’Odessa est désormais devenu « cinétique » et que l’attaque de vendredi crée un précédent. Le tir de missile souligne que Moscou a probablement anticipé les pitreries du Pentagone pour utiliser l’accord sur les céréales afin de protéger son déploiement de missiles Harpoon avancés dans le port d’Odessa.

– Manœuvres maritimes de l’Otan en Bulgarie Breeze 2022, qui avaient pris fin le 25 juillet 2022. Les manœuvres s’étaient déroulées dans les eaux territoriales de la Bulgarie, près d’Odessa, dans les zones économiques adjacentes et exclusives en mer Noire. Au total, 24 navires de guerre, des cotres, des navires auxiliaires, cinq avions et quatre hélicoptères et 1 390 membres du personnel naval de onze pays membres de l’OTAN (Bulgarie, Albanie, Belgique, Grèce, Italie, Lettonie, Pologne, Roumanie, États-Unis, Turquie et Commandement maritime allié de l’OTAN) ont participé à ces manœuvres. Photo DR
Curieusement, au large de la Bulgarie, à côté d’Odessa, du 14 au 25 juillet, les États-Unis ont pris part à un exercice maritime multinational, Breeze 2022, auquel ont participé 24 navires de guerre, des cotres, des navires auxiliaires, cinq avions et quatre hélicoptères, avec 1 390 membres du personnel naval de onze pays membres de l’OTAN !
La controverse suscitée par le tir de missile montre que les opérations militaires spéciales de la Russie en Ukraine resteront incomplètes et peu concluantes tant que Moscou n’aura pas complètement coupé l’accès des États-Unis et de l’OTAN au port d’Odessa et n’aura pas paralysé les capacités de l’alliance en mer Noire. De toute évidence, cela n’est pas encore pour demain.
Entre-temps, le grand jeu s’accélère en mer Noire, Blinken ayant redoublé d’efforts lundi pour courtiser l’Azerbaïdjan. Il s’est entretenu avec le président Aliyev lundi pour insister sur l’offre imminente de Washington « en vue de faciliter l’ouverture des liaisons régionales de transport et de communication ». L’Azerbaïdjan est la tête de pont choisie par l’OTAN dans le Caucase du Sud. (Voir mon blog Le Grand Jeu de l’Ukraine fait surface en Transcaucasie).
26 JUILLET 2022 PAR M. K. BHADRAKUMAR
https://www.indianpunchline.com/black-sea-and-three-musketeers/