Ça y est : François Hollande a fait son Dakar. Son premier voyage en terre africaine devait s’effectuer plutôt à Kinshasa, en République démocratique du Congo. Mais le président normal, voulant à tout prix marquer son anti-sarkozysme, a choisi de s’arrêter d’abord au Sénégal.
C’est curieux comme tous ces présidents français tiennent à Dakar. On aimerait bien présumer de leur sincérité au sujet des commentaires élogieux sur la démocratie sénégalaise. Mais on n’y parvient pas. Nicolas Sarkozy n’avait pas prévenu qu’il dirait tout, en Afrique. Mais il a tout dit au sujet de sa pensée et de celle d’une bonne partie de l’élite française sur l’homme africain : cet Homo Africanus n’est pas assez entré dans l’Histoire. Hollande ne voulait surtout pas faire comme Sarkozy, qui avait finalement raté son Dakar. Avant de partir, il a pris soin d’alerter ce que la France compte de médias, pour dire qu’il dira tout. Une fois sur place, Hollande n’a pas tout dit. Il a avoué, enfin, que l’avenir est en Afrique, que l’histoire franco-africaine a été cruelle. Mais il a oublié de dire la vérité sur les tirailleurs sénégalais.
Du coup, j’avoue que j’ai peur pour Hollande. Qu’au terme de son premier mandat, il soit finalement éconduit, comme son prédécesseur. Sarkozy n’avait pas, non plus, rendu justice aux tirailleurs sénégalais, lors de sa piètre prestation de juillet 2007 à Dakar. Il avait bien tenté de se rattraper en 2010, en faisant aboutir le projet législatif d’alignement de la pension des tirailleurs sur celle de leurs compagnons d’armes français. Cependant, ni Sarkozy ni Hollande n’ont clairement condamné la falsification de l’histoire de ces vaillants guerriers africains qui ont défendu la France, mais ont été effacés de tous les livres d’Histoire en France. Ces héros, les premiers à soutenir le général de Gaulle, alors abandonné de ses frères français, dès le début de la Résistance, ont été éloignés des festivités de la libération de Paris, pour faire place nette aux combattants blancs de la dernière heure. En Afrique, on dira que ceux qui avaient effectivement chassé le lion ont été remplacés par ceux qui avaient entendu parler du lion.
Ce forfait raciste de la hiérarchie militaire française de l’époque n’a pas suffi. Dans la nuit du 1er décembre 1944, à 3 heures du matin, sur ordre des autorités françaises, rappelle l’écrivain Charles Onana dans un livre consacré à la question, des tirailleurs sénégalais, rapatriés de force dans leur pays pour ne pas salir la victoire française par la couleur de leur peau, ont été tirés de leur sommeil et massacrés à Thiaroye, simplement parce qu’ils réclamaient leur solde. À Dakar, Hollande est allé plus loin que Sarkozy, en promettant de remettre les archives de cette tragédie au Sénégal. Mais, cela suffira-t-il à calmer les esprits de ces pauvres soldats désarmés qui, après avoir échappé aux nazis, ont finalement été abattus, lâchement, par ceux qu’ils croyaient être leurs frères d’armes ?
À se rappeler ce qu’a dit Sarkozy à Dakar en 2007, et à voir comment il a fini, il faut craindre qu’il y ait une malédiction frappant désormais tout chef d’État français qui se rend à Dakar. Juste pour poser avec un chef d’État africain démocratiquement élu – une espèce rare apparemment – et s’en retourner, sans prendre la peine de calmer les esprits de tirailleurs réclamant justice. C’était bien d’immortaliser le brave Floribert Chebeya, lui aussi lâchement assassiné au Congo démocratique. Mais où est la stèle du tirailleur de Thiaroye, inaugurée par un chef d’État français ? À quand la décision d’inscrire les faits d’armes des Tirailleurs sénégalais dans les livres d’Histoire en France, avec leurs photos à l’appui, afin que tous les enfants français, y compris ceux de la famille Le Pen, les voient ?
Quand est-ce que des Africains exigeront des Européens et autres anciens colons, qui viennent en Afrique pondre des discours emplis de bons sentiments, qu’ils présentent d’abord leurs excuses aux peuples spoliés ? Cela ne risque pas d’arriver de sitôt. Les leaders africains qui en étaient capables ont été tous assassinés. Lumumba a été tué et son corps découpé puis plongé dans l’acide pour effacer toute trace de lui. Ceux qui l’ont fait sont connus. Les Belges, la CIA les protègent. Et les Belges ont le culot de poser des conditions du respect des droits de l’homme pour se rendre à Kinshasa ! Thomas Sankara, qui disait tout, a été liquidé. Mouammar Kadhafi, qui avait contraint les Italiens à réparer les torts de la colonisation italienne en Libye, a été lâchement exécuté, après avoir subi les pires sévices, par une balle française, selon nos confrères italiens du Correra de la Serra.
La particularité de tous ces crimes, c’est qu’il n’y a jamais eu de commission d’enquête indépendante pour les élucider. Tant que la France et les autres nations complices n’auront pas fait la lumière sur ces crimes et châtié leurs auteurs, mille voyages à Dakar et dix mille pèlerinages démonstratifs à Gorée pour pleurer le sort des esclaves n’y changeront rien : ceux qui ont tué nos leaders, nos patriotes, nos tirailleurs resteront maudits. Et les effets de cette malédiction se sauront.