Désormais, tous les coups seront permis entre le régime syrien, grand exportateur de déstabilisation, et ses ennemis jurés du Golfe.
Lâchées par les pays occidentaux à la suite du double veto sino-russe, les deux monarchies du Golfe, qui espéraient la réédition du précédent libyen (insurrection armée intérieure soutenue par l’Otan) ne décolèrent pas. Particulièrement depuis le fiasco de la conférence dite des « amis du peuple syrien » de Tunis. Le ministre des Affaires étrangères saoudien, le prince Saoud al-Fayçal était rouge de colère contre certains « amis » qui avaient tout fait pour saboter la conférence de l’intérieur. À un moment donné, les soupçons s’étaient tournés vers le président tunisien provisoire, Moncef Marzouki, qui aurait rédigé la déclaration finale qui ne comportait aucune allusion à une intervention armée. Le premier ministre qatari était également furax. Les deux (ir)responsables du Golfe n’ont pas hésité à appeler ouvertement dès la fin de la conférence à la militarisation de l’opposition syrienne. Une option rejetée à la fois par les États-Unis (qui préfèrent désormais un coup d’état militaire plutôt qu’une guerre civile qui serait une aubaine pour Al-Qaïda) et par l’Union européenne ainsi que par un certain nombre d’ « amis » du peuple syrien mais qui s’étaient révélés objectivement des soutiens précieux du pouvoir syrien. Rentré à Riyadh, et après concertation avec son roi Abdallah, le prince Saoud al-Fayçal est intervenu lors de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres pour dramatiser la situation en expliquant à ses collègues et à son roi que ce fiasco est perçu par les « ennemis du royaume » comme un grave revers pour la monarchie déjà minée par de graves dissensions et par la montée en puissance de la contestation chiite dans la province orientale pétrolière. À l’issue de cette réunion, le lundi 27 février, le gouvernement saoudien a stigmatisé l’attitude « défaillante » de certains pays qui bloquent les efforts déployés au plan international pour un règlement de la crise syrienne. Le texte ne précise pas les pays visés, mais la Chine et la Russie ont bloqué à deux reprises une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu condamnant la répression en Syrie. Ryad a estimé que ces États « assument la responsabilité morale du cours des événements dans ce pays ». En fait, Riyad ne visent pas seulement Pékin et Moscou, mais indirectement les pays occidentaux qui ne voudraient pas s’engager dans une escalade dangereuse contre la Syrie, considérée par ces deux puissances comme un « avant-poste » pour la défense de ses propres intérêts stratégiques. Le communiqué publié au terme de cette réunion hebdomadaire sous la présidence du roi Abdallah, est inhabituellement menaçant et direct, contrairement aux habitudes de la diplomatie silencieuse saoudienne. « Le gouvernement saoudien, lit-on, s’engage à adhérer à toute action internationale conduisant à une solution urgente, globale et effective en vue d’assurer la protection du peuple syrien ». Vendredi, le chef de la diplomatie saoudienne, Saoud Al-Fayçal, avait estimé que la solution à la crise syrienne était un transfert du pouvoir « de gré ou de force », comparant le pouvoir du président Bachar al-Assad à un « régime d’occupation », lors de la conférence internationale des “Amis de la Syrie”, à Tunis. Le Qatar, à qui revient habituellement le rôle de trublion diplomatique, a renchéri en demandant à la communauté internationale « d’armer les insurgés syriens » et en invitant les pays arabes « à prendre la tête d’un mouvement visant à mettre fin à l’effusion de sang en Syrie ». Comprendre : participer militairement au renversement du régime syrien, plutôt que de favoriser une sortie négociée entre l’opposition et le pouvoir syrien. Les pays occidentaux, qui ont compris le message de fermeté sino-russe, ne comptent pas suivre les monarchies du Golfe sur cette pente dangereuse. Après une année de déstabilisation, ils ont compris que la Syrie n’est pas la Libye. Ils ont commencé donc à faire machine arrière, laissant les monarques qatari et saoudien se brûler les mains dans le feu syrien. Répondant sans ménagement aux va-t-en guerre du Golfe, Hillary Clinton a affirmé, dans un entretien à la chaîne CBS News que « le fait de livrer des armes à l’opposition syrienne pourrait aider Al-Qaida et le Hamas », deux organisations qui figurent sur la liste noire américaine des organisations terroristes, mais qui ont exprimé leur soutien aux opposants du régime de Damas. Alors que des élus républicains comme le sénateur John McCain ont appelé à armer les insurgés syriens, la Secrétaire d’État d’Obama a réagi en écartant un tel soutien : « Nous ne savons vraiment pas qui pourrait être armé » a-t-elle dit. La secrétaire d’État américaine a aussi estimé dans un entretien à la BBC, qu’une intervention étrangère en Syrie risquerait de précipiter une guerre civile dans ce pays. « Je pense qu’il y a tous les risques d’une guerre civile [en Syrie]. Une intervention étrangère n’empêcherait pas cela, elle précipiterait même probablement les choses », a déclaré Mme Clinton. Malgré la clarté des propos de Hillary Clinton, qui annoncent à mots à peine couverts, une reculade du dossier syrien, Riyad et Doha, ne veulent rien entendre parler. Leurs médias se déchaînent contre le régime de Damas et contre ses protecteurs traditionnels (Moscou et Pékin) mais aussi contre leurs alliés qu’ils accusent de trahison ! Face à cette escalade, la Syrie et l’Iran, qui avaient jusqu’ici fait profil bas face aux ingérences et aux soutiens logistiques de l’Arabie saoudite et Qatar aux insurgés syriens, semblent changer de tactique. Désormais, selon des informations en provenance de ces deux capitales, elles optent pour une stratégie offensive. Des bureaux de l’opposition saoudiene, qatarie et bahreinie seront bientôt ouverts dans les deux capitales. Des aides militaires seraient également fournies à ces mouvements. Les dirigeants de la rébellion yéménite houthie (à la frontière avec l’Arabie saoudite) auront des bases arrières en Syrie, en Irak et en Iran. Selon des informations rapportées par le site arabtimes.com, Dams auraient ouvert ses portes aux centaines de chefs tribaux qataris que l’Émir du Qatar avaient, il y a quelques années, déchus de leur nationalité qatarie (ils seraient au nombre de 5 000). Les intérêts saoudiens et qataris au Liban seront touchés. Sans parler des gros investissements immobiliers en Syrie même qui vont certainement être nationalisés.