Au moment de l’entrée en vigueur des sanctions, la Turquie était l’une des destinations touristiques les plus prisées des Russes.
Le 25 novembre 2015, à la frontière turco-syrienne, un F16 turc a abattu en vol un Su-24 russe, tuant le pilote militaire Oleg Pechkov, 52 ans. Un « coup de poignard dans le dos » – pour reprendre les termes de Vladimir Poutine – qui a provoqué le vote par Moscou, en décembre 2015, d’une série de sanctions contre Ankara, comprenant notamment un embargo alimentaire, l’interdiction des vols charters entre la Russie et la Turquie, la réintroduction de l’exigence de visa pour les ressortissants turcs et la limitation de l’activité des « organisations sous juridiction turque » sur le territoire russe. Sept mois plus tard, le 27 juin, le président turc Recep Erdogan a finalement adressé un message d’excuse à Vladimir Poutine pour cet incident. Le lendemain, suite à une longue conversation téléphonique avec son homologue turc, le président russe a demandé au gouvernement d’entamer les négociations sur le rétablissement des relations économiques avec la Turquie. Alors que la presse russe et internationale parle déjà de « dégel » des relations russo-turques, le quotidien économique RBC fait le point sur les dommages déjà subis de part et d’autre.
No tomate, no cry
Selon les données du Service fédéral russe des douanes (SFD), les échanges commerciaux entre la Russie et la Turquie, qui s’étaient élevés à 23,4 milliards de dollars en 2015, ont chuté jusqu’à 4,8 milliards de dollars seulement pour les quatre premiers mois de 2016, tandis que les exportations russes en Turquie se sont réduites de 43 %, et les importations turques, de plus de 50 %.
Depuis six mois, un grand nombre de légumes, fruits et baies turcs de saison (tomates, concombres, oignons, échalotes, chou-fleur et brocoli, par exemple) se trouvent en effet sous embargo. La liste noire contient également les pommes, les poires, les abricots, les pêches, les nectarines, les prunes, les agrumes frais et séchés, le raisin, les fraises et les fraises des bois.
L’interdit imposé par le gouvernement russe a constitué une mesure radicale, dans la mesure où la Turquie était le principal fournisseur de la Russie pour ces denrées. Selon le SFD, fin 2015, la Turquie était la source de près de 53 % de tout l’import de tomates en Russie en termes monétaires, et 54 % en volume. En 2015, la Fédération russe a notamment importé 292 800 tonnes de tomates, pour 281,1 millions de dollars, depuis la Turquie, qui était également son premier fournisseur en raisin. Une mandarine sur cinq vendue en Russie était, en outre, cultivée dans la république turque.
Les importations de marchandises turques sous embargo ont ainsi baissé de 274,6 millions de dollars sur les quatre premiers mois de l’année, par rapport à la même période en 2015, selon le Monitoring économique publié le 27 juin par le ministère russe du développement économique, qui parle même d’une « remise à zéro des livraisons ». Les fruits les plus touchés sont les tomates (baisse de 159,1 millions de dollars), les mandarines (42,6 millions) et les oranges (29,3 millions). Dans le même temps, les importations russes de ces marchandises en provenance du reste du monde se sont contractées de 21,2 % pour la période janvier-avril 2016.
Selon une source de RBC à la direction d’une des cinq plus grandes chaînes russes de vente au détail, bien que son entreprise ait trouvé de nouveaux fournisseurs (Maroc, Azerbaïdjan et Arménie), elle se redirigera volontiers vers la Turquie en cas de levée de l’embargo. « Plus les marchés sont ouverts, plus on a de choix en matière de prix et de qualité. Les fournisseurs turcs ont toujours intéressé les chaînes de vente au détail, car les pays qui lui ont succédé se sont souvent avérés n’être que des solutions de compromis », explique l’interlocuteur de RBC.
Atatourisme
Au moment de l’entrée en vigueur des sanctions, la Turquie était l’une des destinations touristiques les plus prisées des Russes : ils avaient été 3,5 millions à la visiter en 2015, selon l’agence fédérale russe du tourisme, Rostourism.
L’agence ne fournit pas de statistiques pour 2016, mais, selon Dmitri Danilenko, rédacteur en chef du portail touristique TourDom.ru, avec l’introduction des sanctions, la Turquie a perdu près de 75 % de touristes russes, dont la plupart passaient par des agences de voyage. Par exemple, la Turquie représentait environ 70 % des ventes de Pégase Touristik, agence de voyages réputée. À en croire sa directrice générale, Anna Podgornaïa, la destination a été en partie remplacée par Chypre, la Grèce et la Tunisie.
Néanmoins, estime pour sa part la porte-parole de l’Union russe de l’industrie touristique, Irina Tiourina, en termes de « rapport qualité-prix », la Turquie demeure irremplaçable. « Nous n’avons aucune information concrète pour le moment, juste de l’espoir », a-t-elle ajouté, interrogée sur une éventuelle réconciliation entre les deux pays.
Les sanctions visant la Turquie ont en revanche porté un sérieux coup aux compagnies aériennes charter, constate un acteur du marché de l’aviation : pour certaines d’entre elles, la Turquie et l’Égypte (les vols à destination de ce pays ont été interdits par la Russie le 6 novembre, après l’explosion de l’avion russe A321 au-dessus du Sinaï) représentaient 90 % de l’ensemble des vols. Les pertes des compagnies charter sur la première moitié de la saison estivale s’élèveront à au moins 15 milliards de roubles (environ 208 millions d’euros), estime Kirill Faminski, directeur général de l’agence de voyages Pososhok.ru.
Les grandes compagnies aériennes n’ont pas été touchées par cet interdit. Aeroflot continue notamment à proposer des vols réguliers vers la Turquie avec deux liaisons quotidiennes vers Istanbul et une vers Antalya, affirme son représentant, cité anonymement. Turkish Airlines et Pegasus transportent également des voyageurs entre les deux pays. Selon Pososhok.ru, les trois compagnies assurent au total plus de 50 vols par semaine à destination de la Turquie.
Gazoturc
Aucune coupure non plus dans le secteur énergétique. Des intérêts de longue date lient la Russie et la Turquie en la matière, et la dégradation des relations politiques ne s’est pratiquement pas ressentie sur le gaz, selon Maria Belova, analyste chez Vygon Consulting. La Turquie reste le deuxième marché d’écoulement pour Gazprom, après l’Allemagne, précise-t-elle. En 2015, la Russie a fourni à la Turquie 26,9 milliards de mètres cubes de gaz (un peu moins que les 27,3 milliards livrés en 2014), soit 55 % des besoins du pays, poursuit Mme Belova. Entre janvier et avril 2016, le volume des livraisons s’est élevé à 8,1 milliards de mètres cubes, soit 49 % des besoins turcs.
Le gaz est livré via l’Ukraine et le gazoduc Blue Stream, qui passe par la mer Noire. En décembre 2014, Gazprom et l’entreprise turque Botas ont signé un mémorandum sur la construction d’un deuxième gazoduc traversant la mer Noire, le Turkish Stream (d’une capacité initialement prévue de 63 milliards de mètres cubes, puis réduite de moitié). Ce projet, qui devait remplacer le South Stream, dont la construction a été bloquée par l’UE fin 2014, n’a lui non plus pas fait long feu, finalement gelé en raison de l’exacerbation des tensions russo-turques.
Atomstroïexport, filiale de Rosatom, l’Agence fédérale russe de l’énergie atomique, a enfin conclu, en 2010, un accord sur la construction en Turquie de la centrale nucléaire Akkuyu, pour un coût total de 20 milliards de dollars. La centrale devrait comporter quatre réacteurs d’une puissance de 1 200 MW, dont le premier est censé être mis en exploitation à l’horizon 2022.
Or, aucun permis de construction n’a encore été délivré. Si après l’escalade des tensions entre les deux pays, le président Erdogan avait déclaré que le conflit n’aurait aucun impact sur le projet, des sources de Reuters au sein du ministère turc de l’énergie affirment qu’Ankara envisage déjà d’autres partenaires potentiels pour la centrale. Une information qui n’a pas été confirmée par Rosatom, dont le représentant officiel, Sergueï Novikov, a assuré à RBC que la procédure d’obtention du permis était en cours.
Source : Le Courrier de Russie
https://www.lecourrierderussie.com/international/2016/06/sanctions-russie-turquie-poutine/
Traduit par :Maïlis Destrée