Le ramadan pour la plupart des gens est une fête religieuse où les musulmans du monde entier jeûnent de l’aube jusqu’au crépuscule. Au cours de ce mois lunaire, les fidèles tentent également de prier autant que possible et cherchent à maximiser la pratique de bonnes actions. Toutefois, la dimension géopolitique de ce mois sacré est généralement très peu évoquée. Le mois du ramadan, le neuvième du calendrier islamique, commence le 28 juin en Amérique du Nord cette année (2014 du calendrier grégorien, 1435 du calendrier musulman de l’Hégire). Comme c’est toujours le cas, il y a des différences dans le calendrier – généralement un ou deux jours – pour les musulmans vivant dans différentes parties du monde. Par exemple, l’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle va commencer le ramadan le 29 juin.
Le Coran est censé avoir été révélé en ce mois. Les 10 derniers jours sont considérés comme les plus bénis – en particulier Laylat al-Qadr (La Nuit du Destin), qui tombe dans la nuit du 27 du mois.
La plupart des gens associent ramadan au jeûne. La tradition du jeûne est antérieure à l’islam et, selon le Coran, a ses origines dans l’héritage judéo-chrétien de l’islam. Ceux qui observent le jeûne prient autant que possible et essayent de réaliser autant qu’ils peuvent le plus grand nombre de bonnes actions. Le mois affecte le comportement quotidien des fidèles. La vie des musulmans dans les pays où ils se trouvent devient surtout nocturne. Les rues sont souvent désertes pendant la journée, mais très animées le soir en raison de festivités de rupture du jeûne.
Aspects géopolitiques
Le ramadan a aussi une facette géopolitique. En effet, de nombreux événements géopolitiques clés ont eu lieu pendant le ramadan. Ceux-ci comprennent :
– La bataille de Badr en 624, la première guerre menée contre l’État islamique naissant fondé par le prophète Mahomet dans lequel les envahisseurs venus de La Mecque ont été défaits ;
– La conquête de La Mecque en 632, qui a amené la ville sainte sous contrôle musulman ;
– La bataille de Guadalete en 711, qui a mis en mouvement sept siècles de domination musulmane sur la péninsule ibérique ;
– La bataille de Hattin en 1187, dans laquelle Saladin s’empara de Jérusalem et de grandes parties de la Grande Syrie, qui avaient été sous le contrôle croisé pendant près de deux siècles ;
– La bataille de l’Ain Jalut en 1260, dans laquelle la dynastie mamelouke basée en Egypte avait stoppé et repoussé l’invasion mongole du monde islamique.
Même à l’époque moderne, le ramadan a eu une importance géopolitique considérable. Les Pakistanais attachent une grande importance au fait que leur pays a été créé dans le cadre le plus propice du mois en 1947. Les Egyptiens appellent leur guerre de 1973 avec Israël, la guerre du ramadan.
À l’ère du capitalisme, le ramadan a également pris une dimension économique mondiale. Bien que le jeûne devrait se traduire par moins de consommation alimentaire, on constate l’augmentation des dépenses au cours du mois en raison de la nature festive de l’iftar quotidien (rupture du jeûne) et du repas du souhur (avant l’aube). En fait, les banquets de l’iftar ont tendance à devenir de plus en plus grands, et de nombreuses réunions des élites politiques dans un pays musulman donné ou entre différents pays ont lieu pendant l’iftar. Le mois de ramadan peut également poser des défis aux gouvernements des pays en situation de crise économique et peut perturber les chaînes d’approvisionnement de nourriture et de carburant.
Djihadisme et conflits sectaires pendant le ramadan
Les élites politiques et les classes dirigeantes ne sont pas les seules à s’engager dans des activités géopolitiques pendant le ramadan.
De nombreux musulmans moyens participent à des campagnes de collectes d’argent et de nourritures en faveur des associations de bienfaisance et des organisations caritatives internationales au profit des nécessiteux. C’est parce que les bonnes actions sont considérées comme plus utiles si elles sont faites pendant le ramadan.
Ainsi, certains musulmans qui estiment que le don de la zakat (impôt religieux) aux djihadistes ou aux « commandos suicide » est une bonne action sont incités à faire de même pendant le ramadan.
En plus de subvenir aux besoins des pauvres, les musulmans font également des dons pour soutenir des causes politiques à l’échelle mondiale. Et à une époque où les acteurs armés non étatiques défient des états musulmans eux-mêmes, les flux de capitaux à travers les frontières est revêtent de plus en plus une dimension géopolitique grandissante.
Pendant des décennies, les groupes djihadistes ont bénéficié de dons. Dans de nombreux cas, les donateurs individuels ne savent pas que leurs actes de charité vont dans les coffres des groupes en guerre qui n’hésitent pas à tuer et blesser des innocents – bien que dans d’autres cas, les donateurs sont bien conscients de l’endroit où va leur argent. Toutefois, pour les djihadistes, le ramadan est plus que l’augmentation du financement. C’est un moment propice à la mobilisation au service de leur cause. Au fil des ans, on a constaté la multiplication des attaques djihadistes un peu partout. Le jeûne n’a pas ralenti le recrutement de kamikazes. Au contraire, les dirigeants djihadistes sont en mesure d’encourager un plus grand nombre de recrues à se tuer pour atteindre le statut de martyr, parce que le sacrifice pendant le ramadan est considéré comme plus valorisant qu’au cours des autres mois profanes de l’année.
Cependant, il y a aussi des cas où des groupes engagés dans les combats demandent un cessez-le-feu temporaire afin de célébrer des événements religieux tel que l’Aïd al-Fitr, la fête de quelques jours qui suivent la fin du ramadan et le début du nouveau mois, Shawwal.
Fait intéressant, les forces armées des États musulmans considèrent, elles aussi, que leur devoir est de mener une guerre sainte au mois de ramadan contre les djihadistes. Par exemple, l’armée pakistanaise, qui a lancé son offensive au Nord-Waziristan contre les rebelles talibans, estime que ses opérations sont un devoir sacré, d’autant qu’il intervient quelques jours avant le début du ramadan.
Le cas le plus significatif d’instrumentalisation de ramadan à des fins de politique intérieure au sein même du monde musulman actuel aura été l’aggravation du fossé entre sunnites et chiites qui s’est élargi depuis que l’Irak est tombé dans l’orbite chiite iranienne après son invasion par les États-Unis en 2003 et le renversement du régime bassiste.
Depuis, chaque année, le ramadan est devenu un mois durant lequel les nationalistes radicaux irakiens sunnites – et leurs alliés djihadistes – intensifient leurs attaques contre ce qu’ils perçoivent comme une lutte noble contre les « déviants » chiites et leurs maîtres iraniens. Les chiites, quant à eux, utilisent aussi la ferveur religieuse pour se lever contre leurs ennemis sunnites historiques.
Du point de vue de l’Iran et ses alliés chiites arabes, la lutte contre les takfiris djihadistes est un devoir sacré qui remonterait aux premiers temps de l’islam, lorsque les descendants du Prophète se levèrent contre les Omeyyades qu’ils considéraient comme des dirigeants usurpateurs et corrompus. À notre époque, cette lutte intra-musulmane mine désormais le Moyen-Orient depuis plus d’une décennie. Elle s’est aggravée à la suite de l’insurrection syrienne, et maintenant que les conflits sectaires sont de retour en Irak, il semble qu’une autre guerre a commencé quelques jours avant le ramadan.
Il est probable que – tout comme pendant les ramadans précédents – les camps sectaires rivaux vont s’engager dans une lutte sanglante sans merci. Ainsi, alors que de nombreux musulmans ordinaires jeûnent et prient pendant le ramadan, les chefs des sectes rivales confessionnelles utiliseront le mois comme une occasion pour poursuivre leurs objectifs géopolitiques.
Traduit de l’anglais par AA