Depuis 1945, nous avons pris l’habitude de considérer des États-Unis comme la première des démocraties, par la taille comme par l’exemplarité. Si cette appréciation a longtemps été juste, elle n’a malheureusement plus lieu d’être aujourd’hui, tant la situation a changé outre-Atlantique et ne cesse de s’éloigner des critères qui fondent ce système politique
En effet, de nombreuses évolutions, consécutives à la nouvelle législation adoptée suite aux attentats du 11 septembre 2001, afin de renforcer la sécurité du pays par tous les moyens, ont progressivement éloigné les États-Unis du modèle démocratique qu’ils revendiquent. Sur le plan intérieur, les nouvelles lois antiterroristes adoptées sont attentatoires aux libertés civiles et confèrent à l’Amérique, par de nombreux aspects, les caractéristiques d’un État policier. Sur le plan extérieur, l’unilatéralisme et le mépris du droit international de Washington expriment un égoïsme et une tendance hégémonique de plus en plus préoccupants.
Une société surveillée
Fin juin 2013, Edward Snowden, ancien cadre de la CIA et consultant pour la NSA – via le cabinet Booz, Allen & Hamilton – révèle à la presse, documents à l’appui, que l’agence américaine développe depuis plusieurs années un programme de surveillance et d’accès aux données personnelles des internautes stockées sur les serveurs des grands groupes de communication américains – fournisseurs d’accès ou de messagerie – Microsoft, Yahoo, Facebook, Google, AOL, Skype, YouTube et Verizon.
Ce programme, qui a pour nom de code Prism, correspond à une véritable mise sous surveillance de la population américaine et de tous les étrangers, vivant, séjournant ou échangeant avec les États-Unis. Il collecte, au nom de la lutte antiterroriste, les métadonnées (numéro appelé, durée de l’appel, etc.) de communications de centaines de millions d’individus avec l’autorisation d’une cour secrète. À travers Prism, et contrairement aux dénégations de pure forme des autorités de Washington, tous les citoyens américains sont traités comme des terroristes potentiels. 100 % des communications sont enregistrées – y compris les contenus – quels que soient les médias (téléphonie fixe et mobile, internet, etc.) et, en cas de besoin, les autorités vont piocher dans ces données.
Or Prism n’est qu’une des multiples facettes du programme de surveillance interne mis en place par la NSA. En effet, les États-Unis disposent de moyens colossaux, financiers et techniques, pour scruter les activités de leurs citoyens.
Ainsi la police américaine amasse des millions de données numériques sur les déplacements des véhicules qui circulent dans le pays dans d’immenses bases de données. Elles sont obtenues grâce à des dizaines de milliers de scanners automatisés, installés sur des véhicules de police ou répartis un peu partout sur le territoire américain, sur des ponts ou des édifices. Dans un rapport publié mercredi 24 juillet 2013, l’American Civil Liberties Union (ACLU) affirme qu’ils permettent d’enregistrer la plaque d’immatriculation et des images des véhicules qui passent ou qui sont garés. Les polices envoient ensuite ces informations dans des banques de données qui peuvent être consultées des semaines, voire des années plus tard. Cette surveillance, permet notamment aux autorités de savoir où une personne s’est rendue durant une journée précise, même si cette personne n’a commis aucun acte illégal. Les responsables de l’application de la loi affirment que cette pratique est légale et qu’elle permet d’appuyer les policiers dans leur travail. Cela laisse songeur.
Autre exemple : le Pentagone a récemment décidé d’exploiter deux ballons espions au-dessus de Washington DC à des fins de surveillance permanente. Dotés des technologies dernier cri, ils sont capables de couvrir des milliers de kilomètres de la Caroline du Nord jusqu’aux chutes de Niagara et de « screener » des millions d’Américains ; ces ballons peuvent rester dans le ciel pendant un mois sans avoir besoin d’être ravitaillés.
Si l‘on ajoute à cela que, depuis quelques années, l’utilisation des drones à des fins de surveillance intérieure se développe et que, surtout, les données personnelles des citoyens (fichiers bancaires, de santé, de sécurité sociale, universitaires, données fiscales et judiciaires, etc.) sont très peu protégées outre-Atlantique, force est de reconnaître que la société américaine une est devenue une société surveillée. Ce que George Orwell prévoyait pour 1984 est finalement en train de devenir réalité, 40 ans plus tard.
Un « habillage » pseudo-démocratique
Depuis plus de dix ans, les autorités politiques se sont donc peu à peu arrogé tous les pouvoirs et ont considérablement réduit la sphère privée. Comment de telles dérives sont-elles légalement possibles ? Pourquoi la population les accepte-t-elle sans broncher ? Le gouvernement fédéral procède de deux façons complémentaires :
– d’une part, il « vend » à la population cette démarche comme étant indispensable à sa sécurité face aux terroristes. Il sur-communique sur la menace – certes bien réelle – mais en l’amplifiant largement. Par ailleurs, il vante l’efficacité de son système et en annonce, de temps à autre, les « succès ». Cette démarche fonctionne, notamment parce que dans les sociétés de consommation post-industrielles en crise, les citoyens ont été remplacés par des consommateurs lobotomisés, préoccupés d’abord de leur propre bien-être (consommation et sécurité). Et en ce domaine, les États-Unis sont en avance sur l’Europe.
– d’autre part, les autorités s’attachent à donner « habillage » légal à leurs transgressions de la constitution(1) et des libertés civiles, ce qui est le premier signe d’un État policier. Pour pratiquer sa surveillance intrusive sans entrave ni risque de poursuite pénale, la NSA s’appuie sur les lois de 1978 et sur la législation adoptée en octobre 2001 (Patriot Act) et 2008 sous George W. Bush, et qui a été reconduite par Barack Obama en décembre 2011.
Ainsi, lors de la révélation du programme Prism, le président Obama et les représentants du Sénat chargés de contrôler les activités les services de renseignement, ont justifié ces pratiques au nom de la sécurité nationale. Plus grave, la Chambre des représentants américaine a rejeté à une courte majorité, mercredi 24 juillet 2013, un amendement déposé par un jeune élu républicain du Michigan, Justin Amash. Ce texte visait à mettre un terme au financement du programme de surveillance de la NSA aboutissant à la collecte de données téléphoniques de millions d’Américains. Cet amendement était soutenu par une coalition hétéroclite d’élus allant des conservateurs du Tea Party aux démocrates les plus à gauche. Il a été rejeté par 217 voix contre et 205.
Que penser de Snowden : traître ou héraut ?
S’il a clairement transgressé les règles de confidentialité qui lui étaient imposées, Edward Snowden n’a rien d’un traître. À la différence de Bradley Manning(2), les révélations qu’il a faites et les documents qu’il a transmis à la presse ne sont pas encore dommageables pour la politique étrangère américaine, car tous les milieux spécialisés internationaux étaient au courant de cette boulimie d’écoutes de la NSA, sur son propre territoire comme à l’étranger. La motivation principale de Snowden n’est ni la vengeance, ni la recherche de la notoriété, et les risques qu’il a pris sont énormes. Son but, c’est la dénonciation des dérives qu’il a observées et dont il ne veut pas être complice. À ses yeux, le système américain est en train de devenir fou et doit être repris en main. Sa transgression a donc été utile, à la différence de celle de Manning, qui a commis un acte bien plus grave pour la sécurité nationale des États-Unis en révélant une quantité très importante de documents confidentiels, avec l’évidente volonté de nuire.
De plus, la démarche de Snowden met en lumière un second fait connu généralement des seuls spécialistes : depuis l’intervention en Afghanistan (2002) et l’invasion de l’Irak (2003), les prestataires privés (Contractors) ont prospéré dans tous les domaines relevant traditionnellement des armées et des services spéciaux. En confiant de nombreuses tâches de renseignement intérieur et extérieur à des sociétés et des individus sans liens autres que contractuels avec le gouvernement, l’administration a perdu une partie du contrôle sur leurs activités. Surtout, en créant, un immense secteur économique dépendant des programmes de sécurité américains, cela a donné naissance à de nouveaux acteurs qui semblent bien avoir remplacé le lobby militaro-industriel américain comme premier influenceur de la politique de sécurité nationale… et ses dérives.
Quelle est l’efficacité du système ?
Au-delà des questions de violation du secret, une question demeure : ce système gigantesque et intrusif est-il efficace ?
En premier lieu, il convient de rappeler que l’une des raisons du développement d’un programme de surveillance intérieure par la NSA vient du fait que les États-Unis ne disposent pas, à la différence des États européens, d’un véritable service de renseignement domestique, à l’image de la DCRI française, du MI 5 britannique, du BND allemand ou de l’AISI italienne. En effet, le FBI s’est opposé à la création d’un tel organisme qui lui aurait fait concurrence. Les tâches de surveillance du territoire ont donc été réparties entre le bureau fédéral – qui est surtout une police judiciaire – et la NSA.
En second lieu, si ce système a certes pu déjouer plusieurs complots terroristes – c’est là l’argument avancé par les autorités pour justifier la surveillance électronique tous azimuts – personne ne parle des très nombreuses erreurs qu’il a engendrées et qu’ont eu à subir des citoyens innocents, ni de la réduction considérable de la sphère privée qu’il a provoqué.
Enfin, il est intéressant de comparer le rapport coût/efficacité. Ainsi, on peut considérer qu’en matière de renseignement, Washington dépense à peu près 100 fois plus (budget) que ne le fait Paris et dispose de 50 fois plus de personnel dédiés au renseignement (fonctionnaires civils et militaires, Contractors). Or le système américain est-il 50 fois ou 100 fois plus efficace que celui de la France ? Évidemment non. Il ne l’est même pas 5 à 10 fois. Tout juste pouvons-nous considérer qu’il est un peu plus efficace. Cela ne justifie donc en aucun cas les incroyables budgets accordés aux services et la restriction de la sphère privée.
Une puissance sans aucun scrupule
Parallèlement à la mise sous surveillance électronique de la population et du territoire américain, Snowden a confirmé que la NSA écoutait tous ses alliés, même les plus proches, en recourant à une gamme de moyens d’interception très variée. La presse européenne, puis les leaders politiques du vieux continent, ont aussitôt réagi, dénonçant ces pratiques qu’ils jugent déloyales, inadmissibles, et qu’ils semblaient découvrir.
Pourtant, ces pratiques sont vieilles comme le monde, ou tout au moins comme la NSA créée en 1952. Ce second sujet est pourtant un faux problème et l’on ne peut légitimement pas reprocher aux Américains d’écouter leurs partenaires, même si ce n’est pas Fair Play. Ce type d’espionnage existe depuis la nuit des temps. Même s’il est toujours plus désagréable de se savoir écouté par un allié que par un ennemi, c’est une grande tradition du renseignement et des relations entre État et la NSA nous écoute depuis sa création, comme le fit avant elle l’AFSA(3).
D’ailleurs rappelons-nous ce qui disait Churchill dans ses mémoires : « nous n’avons pas assez espionné l’armée française avant 1940, car elle était notre alliée. Si nous l’avions fait, nous n’aurions pas été surpris par sa déroute face à l’Allemagne et par les conséquences qu’elle a eu sur notre sécurité ». Ce en quoi, il avait entièrement raison. Ainsi, début 2003, la France, qui a été surprise par la déclaration commune de la quasi totalité de ses partenaires européens soutenant la décision américaine d’envahir l’Irak – ce qui fut un camouflet pour notre diplomatie – aurait mieux fait d’écouter ses partenaires de l’Union afin de déceler leur duplicité.
Au demeurant, les écoutes et intrusions américaines dans nos communications et nos systèmes d’information stratégiques se font en partie avec notre collaboration ! Dès lors, que nous achetons logiciels, expertise et conseil à des entreprises américaines, que nos serveurs internet et Cloud Computing sont hébergés outre-Atlantique, et que nous leur confions le cryptage ou les tests de sécurité de nos systèmes d’information et de nos communications, il ne faut pas s’étonner que les Américains lisent en permanence ce que souhaitons protéger. Ce n’est donc pas eux qu’il convient de fustiger en la matière, mais au contraire l’inconséquence des dirigeants européens qui n’ont pas su développer des offres nationales concurrentes ou interdire la signature de tels contrats.
Les arguments fallacieux des Américains
Pour autant, dès lors qu’ils se trouvent en position d’accusés en raison des interceptions illégales à l’étranger, les Américains s’empressent de rétorquer que « tous les pays du monde font de même ». Ils ciblent en particulier la France en évoquant le dispositif mondial d’écoutes de la DGSE qu’ils ont baptisés Frenchelon. Or une telle argumentation est à la fois fausse et fallacieuse. Pourtant, certains journalistes français, totalement ignares en la matière et croyant détenir quelque scoop, se font les meilleurs avocats de cette désinformation américaine.
Il faut d’abord rappeler que le réseau Frenchelon n’existe pas et que c’est une invention américaine. Nos « alliés » appellent ainsi les quelques stations d’écoute de la DGSE dans le monde depuis qu’ils ont été attaqués en 2003 par les Européens qui avaient dénoncé les écoutes de leurs communications et celles découvertes au siège de l’Union européenne. Certes, la DGSE dispose bien d’une dizaine de petites stations d’écoute dans le monde – en métropole, outre-mer et en Afrique – mais cela ne peut en aucune façon être comparé avec le dispositif américain. En France, approximativement 2 500 personnes se consacrent aux interceptions des communications internationales. Les États-Unis, eux, ont des centaines de stations d’écoute à la surface du globe, opérées par près de 100 000 personnes – incluant leurs alliés anglophones et les sous-traitants privés. Donc le rapport est de 1 à 50, voire plus entre le monde anglo-saxon et la France. Aussi, lorsque Washington recourt à l’argument de Frenchelon, c’est pour se dédouaner de leurs pratiques discutables aux yeux de l’opinion internationale.
Sur le plan intérieur, il convient de rappeler que, la France est le pays européen qui dispose de la loi la plus restrictive en matière de protection des données personnelles, sous l’autorité de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL). De plus, dans notre pays, depuis les dispositions de 1994 – préparées par Michel Rocard, suite aux dérives de François Mitterrand au cours de son premier mandat(4) – l’interception de correspondances privées fait l’objet d’un encadrement très strict. Ainsi, la loi est très scrupuleusement respectée. Certes, les dispositions antiterroristes dans le cadre de la loi Perben 2 autorisent à conserver les traces des appels, mais non les contenus, ce qui ne porte pas atteinte aux libertés privées.
Surtout, la France ne dispose pas d’arrangements comparables à ceux qui lient l’administration américaine aux entreprises de téléphonie ou autres fournisseurs d’accès internet. L’État français, dans la majorité des cas, ne s’affranchit pas des règles de droit. Notre législation permet certes, qu’à partir du moment où un attentat de grande ampleur se prépare, que les juges anti-terroristes puissent mener des enquêtes très approfondies. Leurs moyens ont été accrus en ce sens depuis 2001, mais leurs investigations restent basées sur des suspicions raisonnables. Alors qu’aux États-Unis, point n’est besoin de suspicions ou d’un magistrat pour déclencher une surveillance. La France surveille les groupes et individus dangereux, mais dans les limites constitutionnelles. Notre pays réussi « endiguer » la menace terroristes sans entraver les libertés civiles.
Les autres dérives condamnables
Les pratiques de la NSA révélées au grand public par Edward Snowden ne sont pas l’unique signe de la préoccupante dérive des États-Unis. Elles ne font que venir s’ajouter aux autres mesures adoptées par Washington depuis la fin de la Guerre froide et illustrent l’inexorable dérive unilatérale de l’unique superpuissance planétaire :
– développement de l’espionnage économique à partir du début des années 1990, ayant pour conséquence une perversion des mœurs commerciaux internationaux. À travers l’ingérence croissante des pratiques du renseignement dans les affaires, la loi de l’offre et de la demande s’applique de plus en plus imparfaitement ;
– extraterritorialité du droit américain et de ses sanctions en matière commerciale(5) ;
– refus de voir des militaires américains jugés par la Cour pénale internationale ;
– instauration d’une « Guerre contre le terrorisme » (GWOT), inappropriée à la manière dont il convient de lutter contre ce qui est d’abord un phénomène de nature criminelle ;
– rejet des lois de la guerre et des conventions de Genève à travers la création extralégale du camp de Guantanamo ;
– multiplication des arrestations et des enlèvements extrajudiciaires (Renditions), en contravention avec le droit international et le droit local des pays dans lesquels ont eu lieu les opérations ;
– transfert de prisonniers dans des prisons étrangères afin de pouvoir les interroger dans un cadre « non démocratique » ;
– justification et légalisation de la torture dans le cadre de la guerre antiterroriste ;
– traitement arbitraire et excessif des passagers aériens et des visiteurs étrangers lors des contrôles aux frontières ;
– invasion illégale de l’Irak en 2003, malgré l’opposition des Nations unies, en s’appuyant sur des arguments erronés ou construits de toutes pièces pour justifier leur action (mensonges et Spin Doctors) ;
– multiplication des frappes de drones et des exécutions sommaires dans le monde, afin de démanteler les infrastructures terroristes, y compris au prix d’importants dommages collatéraux sur les populations civiles. Ces opérations ne font qu’augmenter le ressentiment à l’égard de Washington – et de l’Occident – et fournissent sans cesse de nouvelles recrues aux groupes djihadistes. Au demeurant, dans le cadre de ces actions, les États-Unis ont éliminé en toute illégalité plusieurs de leurs propres ressortissants ayant rejoint Al-Qaida ;
– acharnement démesuré contre Bradley Manning, certes totalement coupable d’avoir divulgué des secrets portant atteinte à la sécurité nationale de son pays. Mais le Pentagone et et le gouvernement, le considérant comme « l’un des plus grands traîtres de tous les temps », s’acharnent sur lui d’une manière incompatible avec la démocratie(6) ;
– soutien aux Frères musulmans et aux salafistes dans tout le Moyen-Orient et notamment en Syrie, dans le cadre des pseudo révolutions arabes ;
– refus initial d’intervenir au Mali et de soutenir la France considérant que la sécurité des États-Unis n’était pas concernée par ce pays… avant de soutenir médiocrement l’action de Paris.
Mise sous surveillance de la population, écoutes accrues des alliés comme des concurrents étrangers, transgression du droit international, politique étrangère hasardeuse… force est de constater la dangereuse dérive des États-Unis. En raison de leurs comportements de plus en plus arrogants et unilatéraux, ils sont en train de devenir un véritable « État voyou », terme qu’ils ont inventé pour discréditer certains de leurs adversaires ou des régimes totalitaires.
Pourtant, cette idée a encore du mal à être acceptée par les observateurs, qui vivent toujours avec l’image des États-Unis « champions du monde libre et de la démocratie », comme ils furent face au totalitarisme soviétique. D’ailleurs Washington met en œuvre une très active campagne de communication pour que cette image perdure et pour justifier toutes ses transgressions au nom de la liberté et de la démocratie.
Et cela fonctionne ! Ainsi, Barack Obama, a été lauréat du Prix Nobel de la paix après avoir été à peine élu et il dispose d’une image beaucoup moins négative que celle de son prédécesseur, G.W. Bush, que les medias prenaient plaisir à caricaturer. Or, sous les deux mandats d’Obama, les États-Unis ont été encore plus étroitement autoritaires, interventionnistes et violateurs des libertés civiles que pendant la période 2000-2008. Non seulement l’actuel président a poursuivi la politique de son prédécesseur – c’est-à-dire la stratégie élaborée par les néoconservateurs – mais il l’a même accrue ! Guantanamo n’a pas été fermé, les frappes de drones ont considérablement augmenté et la surveillance électronique de la population n’a cessé de se développer.
C’est pourquoi il y a des raisons d’être inquiet : la première puissance politique, économique, militaire et culturelle mondiale, « phare » de l’Occident, est en train de déraper. Les États-Unis étaient censés incarner l’essence même des valeurs occidentales de liberté, de progrès, de démocratie et donner l’exemple. Mais plus rien de tout cela n’est vrai, depuis 2001. L’image d’Epinal que nous avons de l’Amérique et de plus en plus profondément en décalage avec une réalité bien moins reluisante et beaucoup plus inquiétante.
Peut-être est-ce la plus grande victoire posthume de Ben Laden : avoir poussé les États-Unis sur une voie qui est dangereuse pour le monde et pourrait leur être funeste. Quand la première démocratie mondiale n’en est plus une, ce sont la paix et la sécurité mondiale qui sont menacées. Mais, bien évidemment, une telle analyse nous fera accuser d’antiaméricanisme…
(1) A partir du moment où une affaire est considérée comme liée au terrorisme, la Constitution ne tient plus.
(2) Jeune caporal de l’US Army à l’origine des fuites de Wikileaks.
(3) Armed Forces Security Agency : ancêtre de la NSA.
(4) Affaire de écoutes de la cellule élyséenne.
(5) Depuis la fin des années 1980, Washington a développé un arsenal législatif répressif afin de lutter contre l’expansion économique de ses concurrents. Les autorités américaines ont adopté une législation leur permettant de sanctionner certains comportements des concurrents des États-Unis, jugés injustes et déraisonnables par eux, et de prendre des mesures unilatérales de rétorsion. Ce sont les fameux articles 301, super 301 des Trade Acts et les lois sur les embargos.
(6) Ses conditions de détention sont abjectes : confinement 23 heures sur 24 pendant cinq mois, puis enfermement dans une cage ; obligation de dormir nu hormis le port d’une robe dite « anti-suicide » (alors qu’il n’a jamais parlé de se suicider !) ; réveil trois fois par nuit. Le rapporteur spécial de l’ONU, Juan Ernesto Mendez, parle d’un « traitement cruel, inhumain et dégradant ». Les États-Unis passent pour une nation de droits et de lois mais, pour Bradley Manning, ce n’est manifestement pas le cas.
Éric Denécé, docteur en science politique, Directeur du CF2R (Fonctionnement du renseignement, détection des nouvelles menaces et des nouveaux risques).
Source: Cf2r
https://www.cf2r.org/fr/editorial-eric-denece-lst/la-dangereuse-derive-de-la-democratie-americaine.php