Thomas Scripps
Bien que gelée pour le moment, une guerre dévastatrice menée par le pays le plus puissant de la région, le Nigeria, pour chasser les putschistes du Niger et rétablir le président Mohamed Bazoum, est en cours de préparation. Lors d’un sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) qui s’est tenu jeudi à Abuja, la capitale nigériane, les dirigeants ont décidé d’activer une force militaire en attente et ont menacé que «toutes les options demeuraient sur la table».
Ils ont convenu d’une nouvelle série de sanctions contre le Niger, qui a été plongé dans le noir par des coupures d’électricité et a vu les prix des denrées alimentaires augmenter de 60 pour cent en raison d’un blocus et du gel des avoirs et du commerce.
Un conflit entraînerait toute la région. Le Sénégal, le Bénin et la Côte d’Ivoire se sont déjà engagés à envoyer des troupes pour aider le Nigeria. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée se sont déclarés en faveur des militaires putschistes du Niger.
Derrière la menace d’intervention de la CÉDÉAO se trouvent les puissances impérialistes, qui ont l’intention d’empêcher la Russie et la Chine de s’implanter davantage sur un continent dont l’importance stratégique croît rapidement. Le déclin à long terme de la position économique de la France dans ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest – qui a culminé ces trois dernières années avec l’effondrement spectaculaire de sa présence militaire au Mali, au Burkina Faso et peut-être maintenant au Niger – fait que la région du Sahel est soumise à une concurrence géopolitique intense.
On considérait Bazoum comme un allié important de l’Occident. Les États-Unis et les puissances européennes ont réagi au coup d’État perpétré contre lui en réduisant l’aide au Niger, censée être fournie pour des raisons «humanitaires», et dont le pays dépend pour 40 pour cent de son budget gouvernemental annuel. Ils sont déterminés à défendre leurs intérêts coûte que coûte.
S’exprimant mardi après des discussions «difficiles» avec les dirigeants du coup d’État, la vice-secrétaire d’État américaine par intérim Victoria Nuland – vétéran du coup d’État de 2014 en Ukraine soutenu par les États-Unis – a menacé: «Nous surveillerons la situation, mais nous comprenons nos responsabilités légales et je les ai expliquées très clairement aux responsables de ce coup d’État, et ce n’est pas notre souhait d’y aller, mais ils pourraient nous pousser à le faire».
La prudence à l’égard d’une intervention militaire proposée par la CÉDÉAO s’explique par le fait qu’une telle action n’a pas été correctement préparée et qu’elle déclencherait une opposition massive dans toute la région. Une guerre mal évaluée pourrait faire exploser la poudrière sociale au Nigeria, où les États-Unis et la Grande-Bretagne sont fortement investis politiquement et économiquement.
Les enjeux sont considérables. Les États-Unis possèdent actuellement 1.500 soldats sur les 6.500 que compte leur déploiement africain déclaré, stationnés au Niger sur deux bases, dont l’une constitue la plaque tournante régionale pour les missions de drones. La France maintient 1.100 soldats dans le pays, l’Italie, 300, et l’Allemagne, environ 100.
Le Niger, un important producteur d’uranium qui assure un quart de l’approvisionnement de l’Europe, devrait commencer à exporter du pétrole et joue un rôle central dans le contrôle des migrations de l’Afrique vers l’Europe. Il est devenu un État de première ligne dans la bataille pour le contrôle économique et militaire de l’Afrique de l’Ouest et de l’ensemble du continent.
L’Afrique abrite environ 30 pour cent des richesses minérales du monde, dont 90 pour cent du chrome et du platine, essentiels à la transition vers les énergies vertes. Un autre minerai est le cobalt, dont 70 pour cent de l’offre mondiale est produite en République démocratique du Congo. D’ici la fin du siècle, l’Afrique pourrait également représenter un cinquième de l’offre mondiale de lithium.
Le continent produit également 65 pour cent des diamants du monde et abrite 40 pour cent de ses réserves d’or, 12 pour cent de son pétrole et 8 pour cent de son gaz naturel, tandis que le Maroc abrite à lui seul 75 pour cent des roches phosphatées du monde, essentielles à la fabrication d’engrais.
En termes de marchés, les dépenses de consommation en Afrique sont en passe de passer de 1400 milliards de dollars en 2015 à 2500 milliards de dollars en 2030.
Les États-Unis et l’Europe sont soucieux de ne pas laisser le Niger être une nouvelle perte face aux revendications de la Chine et de la Russie sur ces richesses et ces opportunités.
Le groupe russe Wagner (dirigé par Yevgeny Prigozhin) opère au Mali, à l’ouest immédiat du Niger, en Libye, au nord-est de celui-ci, en République centrafricaine (RCA) et au Soudan. Il fournit des forces armées à leurs gouvernements dans les conflits qui les opposent à des groupes rebelles locaux. En RCA et au Soudan, Wagner exploite également des mines d’or et de diamants privées.
Le président russe Vladimir Poutine a inauguré un sommet Russie-Afrique en 2019, promettant d’aider à repousser «un ensemble de pays occidentaux [qui] recourent à la pression, à l’intimidation et au chantage à l’égard de gouvernements africains souverains». Le deuxième sommet, beaucoup moins suivi, s’est tenu dans un contexte de sanctions anti-russes et de guerre en Ukraine, le mois dernier, où les Russes ont fait un effort particulier pour courtiser le «dirigeant intérimaire» du Burkina Faso, le colonel Ibrahim Traoré.
La Russie a cherché à tirer parti de ses ressources relativement maigres pour s’assurer des alliés et des projets lucratifs occasionnels, mais la Chine pèse de tout son poids économique pour s’assurer le contrôle des marchés des ressources de l’Afrique. Elle détient des participations majoritaires dans de vastes pans de l’industrie minière du continent: y compris la majeure partie des mines d’uranium au Niger, ainsi que son industrie pétrolière. Ces participations font partie d’un stock total d’IDE (investissements directs étrangers) de 43,4 milliards de dollars en 2020, soit une multiplication par 100 en l’espace de 17 ans.
La Chine est le premier bailleur de fonds bilatéral de l’Afrique. Elle a fait 153 milliards de dollars de prêts sur les deux décennies précédant 2019 et elle est le deuxième partenaire commercial de l’Afrique après l’Union européenne, plus gros que n’importe quel autre pays.
La Russie et la Chine sont également d’importants fournisseurs d’armes à l’Afrique subsaharienne. Elles représentent respectivement 26 et 18 pour cent des ventes au cours des cinq dernières années, avant la France (8 pour cent) et les États-Unis (5 pour cent).
En 2019, le commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) a lancé un plan quinquennal pour «dissuader» ce qu’il a appelé «les actions malveillantes de la Chine et de la Russie». L’ancien chef de l’AFRICOM, le général Thomas Waldhauser du Corps des Marines, a déclaré au Congrès cette année-là que les deux pays recherchaient «l’accès et l’influence à nos dépens» et qu’au cours de la décennie, la Chine pourrait acquérir la capacité d’empêcher l’accès et les opérations militaires des États-Unis. Cette politique est restée inchangée depuis que les républicains de Trump ont été remplacés par les démocrates de Biden.
Colin P. Clarke, ancien analyste de la RAND et actuel directeur de la recherche au sein de la société de conseil en matière de renseignement et de sécurité mondiale, le Groupe Soufan, a expliqué sans détour à Newsweek les implications de la situation nigérienne.
«Cela pourrait prendre les dimensions d’une guerre régionale par procuration, les pays occidentaux appuyant la CÉDÉAO et la Russie soutenant le Niger – et le Burkina Faso et le Mali, s’ils interviennent – avec l’appui du groupe Wagner».
«Ce qui se passe au Sahel n’est pas un événement secondaire dans la compétition entre grandes puissances, c’est une compétition entre grandes puissances. Les événements ne se déroulent pas dans le vide. Les États-Unis, la France, la Chine et la Russie ont chacun leurs propres intérêts dans les pays du Sahel».
Les travailleurs et les pauvres des zones rurales du Niger et de l’Afrique de l’Ouest font face à la catastrophe annoncée par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) lors de sa Conférence des travailleurs contre la guerre impérialiste et le colonialisme, à Berlin en 1991, qui avait été organisée en réponse à la guerre du Golfe.
Le manifeste annonçant cette conférence expliquait «Cette partition en cours et de facto de l’Irak marque le début d’une nouvelle division du monde par les impérialistes. Les colonies d’hier seront à nouveau subjuguées. Les conquêtes et les annexions qui, selon les apologistes opportunistes de l’impérialisme, appartenaient à une époque révolue sont de nouveau à l’ordre du jour».
S’appuyant sur la théorie de la révolution permanente de Trotsky, la déclaration avait lancé l’avertissement que la lutte «contre l’oppression impérialiste ne peut être menée avec succès tant que la classe ouvrière demeurera sous la domination politique d’une aile quelconque de la bourgeoisie nationale». Elle est indissociable d’une lutte contre les classes dirigeantes nationales qui ont veillé à la poursuite de l’exploitation brutale des masses africaines, maintenues au pouvoir par des armées formées et financées par les impérialistes.
Le Niger doit surtout servir d’avertissement à la classe ouvrière du monde entier sur l’urgence de s’opposer aux visées guerrières prédatrices des puissances impérialistes. Comme l’ont souligné le CIQI et l’International Youth and Students for Social Equality (IYSSE) en appelant à la construction d’un mouvement mondial contre la guerre entre l’OTAN et la Russie:
La guerre en Ukraine n’est pas un épisode qui sera bientôt résolu et suivi d’un retour à la «normalité». C’est le début d’une violente éruption d’une crise mondiale qui ne peut être résolue que de deux façons. La solution capitaliste conduit à la guerre nucléaire, bien que le mot «solution» puisse difficilement être appliqué rationnellement à ce qui équivaudrait à un suicide planétaire. Ainsi, la seule réponse viable, du point de vue de l’avenir de l’humanité, est la révolution socialiste mondiale.
(Article traduit de anglais le 12 août 2023)