À partir du 3 mars s’applique le nouveau « règlement sur le bois de l’Union européenne » (RBUE). Il impose aux opérateurs de la filière bois européenne d’utiliser un système dit de « diligence raisonnée » pour faire la preuve que le bois importé est d’origine légale. Il vise aussi à contrôler l’exploitation des forêts des pays producteurs et à supprimer le commerce de bois illégal entre ces pays et l’UE. Le règlement veut garantir une offre de bois légale dans les pays producteurs signataires d’accords de partenariat volontaires (APV), ayant établi un système de vérification de la légalité, doublé d’un système d’autorisations à l’exportation (dites « autorisations Flegt », acronyme qui signifie en français « application des réglementations forestières, gouvernance et commerce »). Ces autorisations obligatoires à partir du second trimestre 2013 feront l’objet de contrôles aux frontières de l’UE.
En luttant contre les pratiques illégales, il s’agit de mettre fin à une cause importante de déforestation et à des lobbies puissants. Ce genre de criminalité génère un chiffre d’affaires estimé au niveau mondial à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an. Les activités incriminées englobent la récolte non autorisée d’essences protégées, notamment dans les aires protégées, le non-paiement des droits et taxes sur la récolte du bois, les dépassements des quotas accordés, et le non-respect du diamètre minimum des grumes. Parmi les ravages provoqués, dit-on au ministère de l’Agriculture français, figurent la destruction d’écosystèmes, la raréfaction d’essences précieuses, la mise en danger des populations de grands singes en Afrique et en Asie. Sans compter la pollution des cours d’eau et l’érosion qui entraîne des glissements de terrain sur les versants montagneux, comme aux Philippines. Sur le plan économique, l’exploitation illégale est aussi dommageable car elle constitue une concurrence déloyale pour le bois exploité légalement, entrave le développement du secteur formel dans les zones rurales et les progrès vers une gestion forestière durable.
Mais le règlement européen, tout en voulant servir ces nobles intentions, risque d’avoir des effets collatéraux non désirés, à commencer par une chute des exportations de bois vers l’Europe. « On est dans une période d’incertitude du fait que beaucoup de pays n’ont pas signé d’APV. Et ceux qui l’ont fait ne seront pas prêts à la date voulue. Car le système de traçabilité, difficile à mettre en place, n’est pas encore prêt », constate Cédric Vermeulen, chargé de cours au Laboratoire de foresterie des régions tropicales et subtropicales de Gembloux (université de Liège, Belgique). À ce jour, seuls le Cameroun, le Congo-Brazzaville et le Ghana ont signé cet APV. Mais l’application du système ne va pas de soi. En effet, le Cameroun a choisi de mettre en place un système de traçabilité du bois utilisant des codes-barres, système peu adapté au contexte des forêts communautaires dépourvues d’électricité, d’ordinateurs et d’imprimantes, relève Cédric Vermeulen.
Ceux qui ont des chances de satisfaire aux critères européens sont les titulaires de certificats OLB (origine et légalité des bois) développés par le bureau Veritas, ainsi que les exploitants de surfaces certifiées par le Forest Stewardship Council (FSC, ou Conseil de soutien des forêts), une structure qui réunit les organismes intéressés par la gestion forestière et atteste que le bois a été produit dans des conditions de durabilité. Mais ce n’est pas le cas des petits producteurs ou des exploitants de forêts communautaires. Seules en effet de grandes compagnies telles Pallisco au Cameroun, Rougier au Gabon ou Danzer au Congo-Brazzaville peuvent s’offrir le coût de la certification.
En fait, les superficies certifiées FSC ou OLB ne représentent que 6 % de l’ensemble du massif forestier d’Afrique centrale. Autrement dit, la plupart des exportations vers l’Europe seront bloquées. Un coup dur pour le Cameroun, où la filière bois représente 6 % du PIB, ou pour la Centrafrique où elle est le second pourvoyeur d’emploi après l’État. Il faut aussi prendre en compte le fait qu’environ 80 % des exportations camerounaises sont destinées à l’UE, tandis que le pourcentage est de 60 % pour l’Afrique centrale.
On pourrait penser que cette situation encouragera une professionnalisation accrue des entreprises qui veulent continuer à exporter. Mais la certification a un coût. Le risque est élevé que des opérateurs se tournent vers des marchés moins regardants sur les conditions de la production, comme la Chine. Et que, du coup, la réalité n’empire sur le terrain. Il est aussi à craindre que des concessions forestières dont la production ne peut plus être évacuée vers le marché européen ne soient converties à d’autres usages, avec ce que cela comporte en perte de biodiversité. De grands groupes d’agrobusiness, tel le groupe Olam de Liban Soleman, basé à Singapour, cherchent à développer des plantations au Gabon et à obtenir la conversion de concessions forestières en concessions agricoles.