La Cour constitutionnelle turque a décidé d’annuler la loi qui interdisait la célébration du mariage religieux avant le mariage civil. Cette loi qui visait, à l’origine, à protéger la femme, a été considérée comme contraire aux droits fondamentaux inscrits dans la Constitution.
Libérée de son carcan kémaliste, la Cour constitutionnelle turque poursuit ses audaces en matière de protection des droits et libertés. Un tribunal d’Erzurum (nord-est de la Turquie) l’avait saisie pour qu’elle se prononce sur la constitutionnalité de l’article 237 du code pénal qui punit d’une peine de prison allant de 2 à 6 mois le couple et l’imam qui s’aventurent à sceller l’union devant Dieu sans passer au préalable devant monsieur le maire.
L’interdiction qui date de 1936 vise à prévenir les mariages forcés et les abus dans les régions où l’archaïsme et le patriarcat dominent. En effet, il n’est pas rare de voir dans certains coins reculés un homme épouser une femme civilement et une autre, religieusement.
Un revirement de la Cour constitutionnelle
Par 12 voix contre 4, les juges ont estimé que cette disposition contrevenait à l’égalité devant la loi, à la liberté religieuse et au respect de la vie privée. Ils ont relevé que la législation ne prévoyait aucune peine pour l’union libre contrairement au mariage religieux et y ont vu une discrimination.
En 1999, la Cour constitutionnelle, présidée par le très laïque Ahmet Necdet Sezer (qui deviendra président de la République un an plus tard), avait estimé que la loi ne contrevenait pas au principe d’égalité. « Le code de la famille de 1926 vise à renforcer la condition de la femme. L’incrimination du mariage religieux avant le mariage civil [en 1936] vise à protéger l’ordre public », avait estimé « l’ancienne Cour », rappelant les dangers et les inconvénients sur les droits des femmes et des enfants qui ne bénéficient pas des règles de la succession, de la pension de réversion, de la pension alimentaire et d’autres aides destinées aux couples mariés.
Une interdiction qui avait été validée par la Cour européenne
En 2010, la Cour européenne des droits de l’Homme avait rejeté la requête d’une Turque liée par un mariage religieux. Dans l’affaire Serife contre Turquie, les juges européens avaient décidé de laisser à la Turquie une marge d’appréciation quant à l’octroi de droits sociaux issus d’un mariage religieux.
Serife Yigit avait contracté un mariage religieux avec Ömer Koç en 1976 et avait eu six enfants avec lui. Lorsque son «mari» décéda en 2002, elle voulut bénéficier de la pension de réversion et de la sécurité sociale de celui-ci. Les autorités s’y opposèrent arguant de la loi qui n’octroie ces privilèges qu’aux couples mariés civilement.
La grande chambre avait relevé qu’il y avait bien une discrimination entre les couples mariés et les couples concubins mais avait estimé qu’elle reposait sur une justification objective et raisonnable. Elle donnait donc raison au gouvernement qui avait invoqué, dans sa défense, le principe de laïcité et la protection de la femme. Le gouvernement avait également attiré l’attention sur le contexte turc : «Si le mariage religieux devait être considéré comme légal, il faudrait en reconnaître toutes les conséquences religieuses, par exemple le fait qu’un homme peut épouser quatre femmes. Le seul moyen d’éviter cela est de promouvoir le mariage civil et de ne pas attacher de droits au statut du mariage religieux» (§ 62).
La Cour avait présenté le mariage religieux comme «une tradition du mariage qui place la femme dans une situation nettement désavantageuse, voire dans une situation de dépendance et d’infériorité, par rapport à l’homme» (§ 81). Reste à savoir si le législateur ira au bout de la logique et admettra les mêmes droits aux couples mariés civilement et aux couples mariés religieusement.
Publié par Zaman France
https://www.zamanfrance.fr/article/linterdiction-mariage-religieux-est-abolie-en-turquie-16027.html