L’incendie qui a fait, le 24 novembre dernier, au moins 125 morts dans les ateliers de la société de confection Tazreen Fashion Ltd, à Dacca, (1630 employés) n’est ni le premier, ni le dernier, au Bangladesh et en Asie de manière générale.
Des centaines de Bangladais (probablement autour de 700) ont péri dans les incendies ou les effondrements d’usines et ateliers de confection depuis 2005, selon les ONG et les syndicats qui dénoncent depuis longtemps la complicité silencieuse et la « négligence criminelle » des marques occidentales qui savent que ces usines et ateliers sont, pour la plupart, « des pièges mortels », comme l’exprime l’ONG Clean Clothes Campaign (Campagne pour des vêtements propres) basée en Hollande. En l’occurrence, l’incendie s’est déclenché dans l’entrepôt situé au rez-de-chaussée de l’usine qui comptait huit étages et aucune sortie de secours. Tazreen avait obtenu, en 2009, un permis de construire pour trois étages seulement.
Il y a deux mois, un incendie dans une usine de confection à Karachi (Pakistan) avait fait au moins 310 morts. Pas de ventilation, pas de sortie de secours, les fenêtres étaient grillagées et toutes les portes condamnées sauf l’entrée. Mise en cause, la marque allemande de vêtements Kik basée en Autriche qui vend, entre autres, des « pyjamas bio et équitables » pour enfants, mais qui est aussi le n°1 du discount textile en Allemagne, avait dû versé un million d’euros aux familles, sur pression des syndicats, et deux des dirigeants de l’usine avaient été incarcérés. Pourtant, un audit d’un organisme européen avait certifié, peu avant, que les conditions de sécurité étaient aux normes.
Les exploités de Tazreen (filiale de Tube Group dont curieusement le site internet était inaccessible ces derniers jours) et des autres usines et ateliers de confection asiatiques travaillent dans des conditions inhumaines pour fabriquer les « vêtements tendance pour tous » de nos marques les plus populaires, en l’occurrence pour Tazreen, les Français Carrefour, Pimkie, Go Sport, Casino, Auchan et Cora France, mais aussi l’Américaine Walmart, Ikea (Etats-Unis/Europe), C&A (Allemagne)[1]. Walmart, le plus grand détaillant au monde en matière de confection, a précisé, après l’incendie, que cette compagnie ne traitait plus avec Tazreen Fashion, mais qu’un sous-traitant avait continué « en violation directe avec (notre) politique », à son insu. Personne n’y a cru. Travaillant jusqu’à 16 heures par jour, ces ouvriers perçoivent entre de 37 dollars et 70 dollars par mois. L’industrie du textile n’enrichit pas que les compagnies « voyouses » occidentales. Elle représente 80% des exportations du Bengladesh (principalement vers les Etats-Unis et l’Europe), plus de 10% du PNB, et a rapporté plus de 20 milliards de dollars en 2011.
À Dacca, après l’incendie, des dizaines de milliers d’ouvrières et ouvriers sont sortis dans la rue pour manifester leur colère et exiger des sanctions exemplaires. Une enquête pour homicide involontaire a été ouverte, ainsi que deux enquêtes gouvernementales pour déterminer les responsabilités des propriétaires. En mai dernier, les mêmes dizaines de milliers d’ouvriers-ères du textile s’étaient déjà révoltés. Ils demandaient des augmentations de salaire de 50% et de meilleures conditions de travail, notamment concernant les normes de sécurité. Des manifestations violentes avaient secoué la capitale, faisant une centaine de blessés. Des dizaines d’usines avaient été détériorées, des véhicules brûlés, des autoroutes bloqués. Visiblement, ils n’ont pas été entendus. Ni chez eux, ni ailleurs, où les consommateurs ferment les yeux, la bouche et les oreilles. Mais après tout, n’est-ce pas ça, la « compétitivité » tant prônée par nos dirigeants occidentaux capitalistes ?