Le vice-président américain, George Bush, est rentré à Washington profondément déçu. Il pensait que sa visite et ses entretiens avec sept dirigeants de l’Afrique noire – dont certains passent pour être proches, pour ne pas dire complices, de la politique africaine de Washington, tel Mobutu – allaient bouleverser l’échiquier africain, isoler l’Angola et ses alliés de la Ligne de front, donner aux positions pro-sud-africaines de Washington un ballon d’oxygène que les nombreuses visites et les entretiens du secrétaire d’État adjoint pour les Affaires africaines, Chester Crocker, n’ont jamais réussi à assurer depuis voici bientôt deux ans.
À l’exception du Zaïrois Mobutu Sese Seko, tous les dirigeants africains qu’il a rencontrés ont été unanimes sur un point essentiel, crucial, sinon décisif, que mettent en avant les policy-makers américains : aucun linkage (lien) n’est concevable entre le retrait des troupes cubaines de l’Angola et l’indépendance de la Namibie. Kenneth Kaunda, Robert Mugabe, le chef d’État nigérian, Shehu Shagari, le président Abdou Diouf ont été directs. […]
Pourtant, George Bush et Chester Crocker savent pertinemment que la question de l’indépendance de la Namibie est devenue aujourd’hui la clef de l’avenir de l’ensemble des relations entre l’Afrique et les États-Unis : « Nous ne nous méprenons pas, dit Chester Crocker dans les multiples rapports confidentiels dont il bombarde le président Reagan, si nous ratons l’affaire namibienne, l’ensemble de notre politique africaine telle que nous l’avions définie en 1981 risque d’être gravement compromis… »
Et pourtant, des nombreux entretiens que nous avons eus à Washington, s’est dégagée l’impression que le véritable maître d’œuvre de la politique africaine de l’administration républicaine de Reagan est Chester Crocker lui-même, et peut-être lui exclusivement. Fortement influencé par le lobby sud-africain, fidèle exécuteur des volontés des dirigeants racistes d’Afrique du Sud, il était convaincu dès le départ que « la défense du monde libre » était intimement liée à la nécessité de développer l’alliance avec Pretoria. Lorsque des sénateurs ou des représentants de la Chambre lui demandaient pourquoi il s’obstinait à soutenir ou à défendre cette alliance, devenue si intime avec l’accession de Reagan au pouvoir, il répondait imperturbablement : « Si l’indépendance de la Namibie n’est pas supervisée (sic), si la Swapo influencée et dominée par le communisme mondial, prend exclusivement le pouvoir, c’est ce bastion du monde libre qu’est l’Afrique du Sud qui s’effondre… »
[…] Plusieurs scénarios ont été mis sur pied pour tenter de trouver une issue à cette crise. Certains milieux officiels américains se rallient à l’idée de créer le long de la frontière angolo-namibienne, ou à l’intérieur du territoire angolais, une « zone neutre » où une force panafricaine, européenne ou onusienne pourrait être installée. L’évacuation des troupes cubaines d’Angola et sud-africaines de Namibie suivrait. Mais si la création d’une zone tampon ou d’un couloir neutre n’a jamais été repoussée par Luanda, ce projet conserve néanmoins le principe du linkage, totalement inadmissible, car il viole la souveraineté de l’Angola indépendante. D’autres projets ont été avancés, notamment par la Zambie, le Botswana, le Mozambique, le Nigeria, etc. Ils partent tous du principe fondamental que le départ des volontaires cubains de la RPA qui relève d’une prérogative exclusivement angolaise, pourrait être décidé souverainement lorsque la Namibie sera indépendante et lorsque tout danger d’agression sud-africaine contre l’Angola aura été éliminé, Pretoria en prenant l’engagement solennel garanti par la communauté internationale. […] « Croire que nous allons accepter une formule qui nous laisserait sans défense suffisante face aux agresseurs sud-africains est une chimère dont Washington devrait se débarrasser », disait récemment Paulo Jorge, le chef de la diplomatie angolaise à son homologue américain. […]