Les propos ambigus du chef de l’Etat turc sur une transition avec Bachar al-Assad en Syrie ont suscité une polémique en Turquie. Son Premier ministre a dû contredire Erdogan pour rappeler que la position d’Ankara restait inchangée. Une évidence pour les observateurs.
Avec ou sans lui ? Le débat au sujet du maintien de Bachar al-Assad lors d’une hypothétique «transition démocratique» en Syrie peut sembler baroque sinon futile dans le contexte actuel mais il a son importance sur l’échiquier international. Les grands de ce monde sont, pour la première fois, proches d’un accord sur la crise syrienne. Après la chancelière allemande Angela Merkel, le secrétaire d’Etat américain John Kerry, c’est le ministre des Affaires étrangères de la France, Laurent Fabius, qui a dû se rendre à l’évidence.
«Toute discussion est vouée à l’échec si l’on dit : ‘Quoi qu’il arrive, le futur de la Syrie, ce sera Bachar al Assad’. Mais si on exige, avant même que la négociation commence, qu’Assad présente ses excuses, on n’avancera pas non plus», a indiqué le chef de la diplomatie française. Autrement dit, le président syrien peut être «utile». Un infléchissement notable pour un pays qui ne jurait que par son départ.
La Turquie, premier pays à parler d’une transition avec Assad
L’homme fort de Damas, qui contrôle seulement 15 % du pays qu’il a hérité de son père, a le soutien inconditionnel de la Russie et de l’Iran. Vladimir Poutine, qui promettait de «buter les terroristes (tchétchènes) jusque dans les chiottes», soutient le régime au nom de la lutte contre Daesh. Le «tsar» préfère en effet régler le problème des djihadistes sur le sol syrien plutôt que de les voir débarquer dans le Caucase.
Ankara, qui reste concentrée sur la chute du dictateur syrien, a mille fois répété qu’elle n’accepterait aucune solution qui englobe Assad. Ironie de l’histoire, Tayyip Erdogan et son ministre des Affaires étrangères de l’époque, Ahmet Davutoglu (aujourd’hui, Premier ministre), avaient défendu l’idée de prendre langue avec Bachar al-Assad lors des premières révoltes en 2011.
Ce n’est qu’un an plus tard qu’ils s’étaient ralliés à la position des Etats-Unis et de l’Europe qui avaient déjà fait une croix sur le maître de Damas. Depuis, Erdogan, qui entretenait une réelle amitié avec lui (il l’appelait «mon frère»), éprouve une cordiale détestation pour Assad. En septembre 2012, il avait promis d’aller prier à la mosquée des Omeyyades avant d’ajouter trois mois plus tard, «le monde entier a reconnu le Conseil national, ce qui revient à dire ‘Assad, nous ne voulons pas de toi, dégage !».
Erdogan semble atténuer l’intransigeance de la Turquie
«Ce processus [de transition] pourrait se faire avec ou sans Assad. Mais personne ne voit d’avenir avec Assad en Syrie. Pour eux [les Syriens], il est impossible d’accepter un dictateur qui a entraîné la mort de 350 000 personnes», a affirmé le chef de l’Etat turc après les prières de l’Aïd el-Kébir à Istanbul. Cette déclaration, qui a créé une véritable surprise, est tombée un jour après son retour de Moscou, ce qui a fait dire à Cengiz Candar, journaliste à Radikal, qu’il «s’était fait tordre le poignet au bras de fer» par Poutine.
Une sortie qui a été contredite par son Premier ministre, professeur de relations internationales de son état et ancien chef de la diplomatie. «Aujourd’hui, la majorité des Syriens détestent Assad. Nous accepterons tout ce qui sera accepté par les Syriens eux-mêmes mais il n’est pas possible qu’ils acceptent une formule avec Assad», a déclaré Davutoglu avant d’ajouter : «nous avons la conviction qu’avec Assad aux affaires pendant la période de transition, cette transition n’en serait pas une. Nous pensons que cette situation se traduirait par un statu-quo permanent. Notre conviction en la matière n’a pas changé».
Un revirement qui n’en est pas un
Hakan Albayrak, journaliste très proche du pouvoir actuel et fervent détracteur d’Assad, a préféré contextualiser les propos d’Erdogan. «Sa déclaration est perçue comme sensationnelle mais au fond, c’est une observation simple et objective. Il n’a fait qu’une référence à l’approche très majoritaire qui domine en Occident. Un revirement ? Rien à voir. Sur la question syrienne, Erdogan est aujourd’hui comme hier l’homme d’Etat le plus radical au monde», a-t-il écrit dans Dirilis Postasi.
De son côté, Ahmet Ünal Ceviköz, ancien ambassadeur de la Turquie en Irak et au Royaume-Uni, estime que la Turquie ne saurait changer sa politique. Dans sa chronique publiée dans Radikal, l’ancien diplomate estime que «c’est la Turquie qui détermine ce que pense l’opposition en Syrie et pour cette opposition, une transition avec Assad est inacceptable». Ceviköz a également indiqué qu’un changement de politique signifierait tout bonnement un changement de gouvernement. En effet, la politique extérieure de l’AKP est fondée depuis plus de dix ans sur la solidarité avec les peuples musulmans et un revirement sur le dossier syrien serait tout bonnement un reniement de soi, selon l’expert.
Zaman France