La région est en proie à des violences religieuses meurtrières, qui conduisent l’ONU à évacuer son personnel international.
L’Etat Rakhine, dans l’ouest de la Birmanie, s’est réveillé ce lundi 11 juin sous état d’urgence, après des violences meurtrières entre bouddhistes et musulmans qui ont poussé le pouvoir à faire appel à l’armée pour restaurer la sécurité.
Les Nations unies ont commencé l’évacuation de leur personnel international de certaines zones touchées par les violences religieuses, sur la base du volontariat, a indiqué lundi un responsable de l’ONU dans le pays. Une quarantaine d’employés onusiens et leur famille, soit «la majeure partie du personnel international», sont en train de quitter Maungdaw, où des violences entre bouddhistes et musulmans ont fait au moins sept morts, a précisé Ashok Nigam, représentant des Nations unies.
Lundi, des garde-frontières au Bangladesh ont renvoyé huit embarcations transportant plus de 300 musulmans de la minorité des Rohingyas, la plupart des femmes et des enfants, qui tentaient de fuir les violences religieuses en Birmanie, a indiqué l’un d’entre eux. «Il y avait plus de 300 Rohingyas dans les bateaux venant de la ville birmane d’Akyab. Ils transportaient principalement des femmes et des enfants Rohingyas, beaucoup pleuraient et avaient l’air extrêmement angoissés», a déclaré Shafiqur Rahman, un membre de la force bangladaise des garde-frontières (BGB). «Les huit bateaux ont été renvoyés en territoire birman», a-t-il ajouté.
«Une haine et une revanche sans fin»
Aux alentours de Sittwe, capitale de l’Etat Rakhine qui borde le Bangladesh, un journaliste de l’AFP a vu des résidents incendier des bâtiments. Dans un village d’ethnie rakhine majoritairement bouddhiste, de nombreux habitants patrouillaient armés de longs couteaux et de bâtons. Et dans les rues du centre-ville, où les restes calcinés d’habitations témoignaient des violences des jours précédents, presque aucun homme ne se déplaçait sans arme blanche. Des camions militaires étaient déployés à l’aéroport et des forces de l’ordre étaient visibles autour des mosquées et des pagodes.
Les restes calcinés d’habitations témoignaient des violences des jours précédents qui, selon les médias officiels et en l’absence d’aucun autre bilan, ont fait sept morts et 17 blessés depuis vendredi. Quelque 500 maisons ont été détruites. Plusieurs sources ont fait état de bilans nettement plus lourds, qui demeuraient invérifiables.
Ces violences confessionnelles qui font suite au lynchage de dix musulmans, il y a une semaine, par une foule de bouddhistes en colère dans le sud de l’Etat Rakhine (autrefois appelé Arakan) qui voulait venger le viol d’une femme.
Devant cet enchaînement de revanches sanglantes, le gouvernement a décrété dimanche un couvre-feu entre 18 heures et 6 heures du matin, avant d’imposer l’état d’urgence qui donne à l’armée des pouvoirs étendus.
«Des actes d’anarchie se sont propagés largement (…) en Etat Rakhine», a regretté dans un discours à la Nation dimanche soir le président Thein Sein, arrivé au pouvoir en mars 2011 et crédité depuis de nombreuses réformes politiques. «Si les deux camps se tuent les uns les autres dans une haine et une revanche sans fin (…), cela pourrait se propager au delà de l’Etat Rakhine».
Londres, ancienne puissance coloniale, a pour sa part pressé les autorités d’ouvrir des pourparlers «afin de mettre fin aux violences et de protéger tous les membres de la population locale».
Tensions religieuses
L’Etat Rakhine tient son nom de sa population, une minorité ethnique bouddhiste. Mais il abrite aussi une importante communauté musulmane, d’origine indienne ou bangladeshi, ainsi que les Rohingyas, une minorité apatride considérée par l’ONU comme l’une des plus persécutées au monde.
Tous ces musulmans sont fréquemment assimilés, dans le discours dominant, dans un même groupe stigmatisé comme étranger et dangereux.
Dimanche, «les Bengalis ont brûlé des maisons et aussi tué des gens mais je ne sais pas combien», a ainsi affirmé une résidente, tout en admettant elle même ne pas en avoir été le témoin. «La situation est revenue à la normale après l’arrivée des soldats en ville pour notre sécurité», a-t-elle ajouté, témoignant de ce que l’état d’urgence semblait recueillir l’assentiment de la population.
Des Rohingyas «ont été tués par balle par les forces de sécurité, certains ont été tués au couteau par des Rakhines», a répliqué de son côté Abu Tahay, un responsable du Parti pour le développement démocratique national, qui représente les Rohingyas. L’AFP n’était pas immédiatement en mesure de vérifier l’exactitude d’aucun de ces propos.
Les Rohingyas ne font pas partie des minorités ethniques reconnues par le régime de Naypyidaw. Ils sont près de 800 000 en Birmanie, confinés dans le nord de l’Etat Rakhine, et plus de 200 000 au Bangladesh, dont plusieurs dizaines de milliers dans des camps.
Au-delà de ce dossier complexe, ces violences mettent en exergue les tensions religieuses sous-jacentes dans un pays où, soulignent les experts, être birman signifie généralement être bouddhiste.
Les musulmans représentent officiellement 4% de la population, à 89% bouddhiste. La tension a conduit à des séries d’émeutes antimusulmanes dans le pays ces 15 dernières années, notamment dans cet Etat qui accueille une importante communauté musulmane.
(AFP)