Comme partout, la politique et l’économie ont les bras liés ou, si l’on veut, menottés l’une à l’autre. Ce qu’on voit en Europe, on le voit aussi bien en Afrique et ailleurs. La situation économique menace la réélection de Jacob Zuma à la tête de l’ANC et de l’Afrique du Sud, comme elle avait déjà pesé dans la brusque mise à l’écart de Thabo Mbeki, son prédécesseur.
Après les massacres des mineurs grévistes des mines de platine, voici les assassinats de travailleurs agricoles. La zone touchée par les grèves de ces travailleurs est, pour le moment, située dans la région viticole du Cap. Helen Zille, leader de l’Alliance démocratique, gouverneure du Cap Oriental, ancienne activiste anti-apartheid, blanche, opposée à l’ANC, demande l’intervention des forces armées pour remettre de l’ordre. Sommes-nous revenus au temps de l’apartheid ?
En réalité, dans le souci de se montrer un bon élève de Bretton Woods, Thabo Mbeki n’a jamais réussi à mettre fin à l’apartheid économique. Il espérait qu’en apaisant les transnationales de la finance et des mines, il pourrait relancer l’économie. Ce fut un échec. Certes, à tous les échelons du pouvoir politique central et régional, les Noirs ont enfin eu une place. Mais le black empowerment a surtout créé une douzaine de milliardaires noirs, dont l’ancien dirigeant syndicaliste Ciryl Ramaphosa. Ironie de l’histoire, Ramaphosa, très populaire auprès des mineurs qu’il a défendus au temps de l’apartheid, est aujourd’hui impliqué dans le massacre de Marikana. La mine de platine appartient à la transnationale Lonmin, dont l’ex-leader des syndicats de mineurs est aujourd’hui un des membres du conseil d’administration.
Force est de constater que le black empowerment n’a pas redressé les abominables injustices héritées de l’ancien régime. L’emploi, la terre, l’habitat, tout est resté, ou presque, comme avant. Les centaines de milliers de jeunes qui débarquent chaque année sur le marché du travail n’ont que le chômage comme perspective. Et beaucoup d’entre eux finissent par sombrer dans le crime. Ces jeunes réclament la terre qui appartenait à leurs grands-parents spoliés par l’apartheid, mais jamais de la vie ils ou leurs parents n’ont touché à une houe. Ils occupent pourtant des terres, ce qui provoque la fuite des fermiers blancs. Certains s’installent au Mozambique voisin, la plupart en Australie ou au Canada. Tout en se déclarant africains puisque nés en Afrique du Sud, ils ne se reconnaissent en réalité qu’en tant que Blancs. Les occupations de terres ont fait chuter la production agricole.
Depuis toujours la majorité des travailleurs des fermes sont originaires du Mozambique, émigrants moins exigeants, obéissants et connaissant le travail. Dans leur pays, on entend à nouveau le discours belliciste du président de la Renamo, Afonso Dhlakama. Ses chances de parvenir à déclencher une guerre sont nulles. Les gens traumatisés par les brutalités commises par son parti durant le long conflit civil, la Renamo, ne se sentent pourtant pas à l’aise. Dhlakama exige désormais le partage des ressources minières entre le gouvernement et la Renamo. Une commission gouvernementale est chargée d’écouter le cahier des doléances présentées par la Renamo. Le temps, néanmoins, ne joue pas en faveur d’Afonso Dhlakama qui, à chaque élection, voit son électorat s’effriter (117 députés en 1994, 90 en 2004 et 49 en 2009). Le Mouvement démocratique du Mozambique (MDM), dissident de la Renamo, a arraché 8 sièges au parti de Dhlakama. Les prévisions pour les législatives de 2014 ne sont guère rassurantes pour le leader de l’ancienne rébellion.
Mais la question de la redistribution des revenus des ressources minières devient de plus en plus politique, à telle enseigne que le gouvernement a décidé de revoir les exemptions fiscales accordées aux compagnies engagées dans l’extraction. Elle exige aussi des pourcentages plus élevés pour l’État dans le capital de ces entreprises, à travers des clauses d’or qui garantissent la propriété à coût zéro. Qui plus est, dans les provinces de Tete, Cabo Delgado et Nampula, les gens demandent que les activités minières profitent davantage aux régions et aux communautés qu’y vivent. Une partie de l’enjeu des élections pour les mairies en 2013 et les législatives et présidentielle de 2014, se jouera aussi sur ces questions. Il se profile donc une succession délicate, l’actuel président, Armando Guebuza, ne pouvant pas se représenter, car il aura alors parachevé les deux mandats prévus par la Constitution.
Pour le reste de l’Afrique australe, notons le projet de création d’une voie ferrée entre le Mozambique et le Botswana qui souhaite écouler son charbon vers Maputo. Quant au différend entre la Tanzanie et le Malawi, c’est l’Union africaine qui tente la médiation afin de déterminer les modalités du partage et des ressources pétrolières que le lac Niassa devrait receler.
Chers amis, lecteurs d’Afrique Asie, bonne année à vous !