L’amateurisme de la diplomatie française vient encore d’échouer piteusement en prétendant se mêler des affaires du Proche-Orient. Quelle mouche a piqué François Hollande en imaginant se réintroduire dans la solution du conflit syrien et en dépêchant Jean-Marc Ayrault à Moscou et à Washington ? L’échec est flagrant, augmenté de la claque qu’inflige Poutine à la France en annulant un voyage prévu de longue date. L’inauguration du centre culturel et spirituel russe à Paris revêtait une grande signification, qui ne pouvait que gêner la russophobie habituelle des milieux gouvernementaux et médiatiques français.
La guerre froide s’est nourrie de l’hostilité des pays occidentaux, en rang d’oignons derrière les Etats-Unis, à l’encontre du communisme et de ses horreurs, inséparables de l’ère soviétique. Depuis que la Russie a redécouvert ses racines anciennes, ce qui est très largement dû à Vladimir Poutine, les Etats-Unis ont hésité un moment, mais ont entrepris non de faciliter la démarche des anciens satellites soviétiques, mais de les attirer dans leurs filets pour isoler la Russie nouvelle, dont l’ère Eltsine avait décervelé la politique et la diplomatie. Après avoir promis, sous Bush père, de respecter la neutralité de ces anciens satellites, Washington n’eut plus qu’un objectif : les faire entrer dans l’Organisation militaire atlantique, laquelle aurait dû disparaître en même temps que le Pacte de Varsovie.
Ce fut l’opération géorgienne, puis l’opération ukrainienne. Dans le conflit géorgien, Nicolas Sarkozy put jouer un rôle relativement apaisant. A Kiev, les ministres des Affaires étrangères français et allemand se prêtèrent à un véritable coup d’Etat en provoquant la fuite d’un président démocratiquement élu pour en mettre un autre en place, guère plus honnête, manipulé par l’Union européenne au service de Washington. La Crimée, qui est russe depuis Catherine II, fut décrétée « annexée » par Moscou, et les pays occidentaux, Etats-Unis et Union européenne réunis, décrétèrent une guerre économique à la Russie au nom d’une morale internationale dont ils ont le secret dans la mise en oeuvre – sauf quand il faut l’appliquer à l’occupation de la Palestine ou de l’île de Chypre.
Comment François Hollande pouvait-il imaginer que Poutine allait bien recevoir Jean-Marc Ayrault après l’affaire des Mistrals, où la France n’a pas respecté sa parole pour faire plaisir, paraît-il, aux Polonais, qui eux-mêmes n’ont pas respecté la leur en annulant une importante commande d’hélicoptères qui devaient être notre « récompense »… ? On comprend que Poutine puisse rire sous cape.
Le président russe fait en Syrie ce que nous avons fait au Mali : il répond à la demande au secours d’un gouvernement allié, parfaitement reconnu par ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale et siégeant comme tel aux Nations Unies. La différence est que le gouvernement syrien fait face à une rébellion ouvertement soutenue par les pays occidentaux eux-mêmes, et notamment par la France au temps où Laurent Fabius voulait faire mieux que les Américains. On reproche à ceux-ci de n’être pas intervenus lorsque Damas a franchi ce qu’ils appellent la « ligne rouge ». Fort heureusement n’ont-ils pas voulu créer un chaos pareil à celui qu’ils avaient précédemment créé à Bagdad en 2003. Mais c’est peut-être aussi parce qu’ils savaient que les rebelles avaient eux-mêmes franchi cette « ligne rouge » depuis longtemps, ce qui fut à l’époque dénoncé par Carla Ponte, vite réduite au silence. Il conviendrait aussi de rappeler que le premier cessez-le-feu de septembre fut rompu par les Américains lorsqu’ils bombardèrent l’armée syrienne, y tuant cent soldats. Bavure ? C’est à voir.
La démarche de François Hollande en vue d’imposer un cessez-le-feu illimité qui eut permis aux rebelles de reconstituer leurs forces, et alors qu’on sait que ces rebelles se servent des populations locales comme boucliers humains (on voit qu’elles n’ont pas pu s’échapper pendant la brève trêve d’octobre 2016), était de toute façon vouée à l’échec, et Poutine n’a peut-être pas tout à fait tort d’y voir une provocation (encore que c’est prêter à la diplomatie française beaucoup de subtilité).
François Hollande ne voulait de toute évidence pas inaugurer la nouvelle cathédrale orthodoxe de Paris : mettre les pieds dans un lieu de culte donne apparemment des boutons à cet ancien élève des Frères des écoles chrétiennes. D’autant que ce lieu de culte orthodoxe attestait trop visiblement du retour de la Russie à son passé chrétien, après soixante-dix ans d’un militantisme athée qui sans doute convenait mieux aux sans-culottes du socialisme français déclinant.
Ce quinquennat s’achève, au-dedans comme au dehors, dans une confusion qui disqualifie la politique de la France et son prestige dans le monde. Comme le dit Hubert Védrine, « nous ne comptons plus assez pour impressionner ». Jamais, en tout cas, l’amateurisme en diplomatie n’aura été aussi délétère. Il se double en France d’une russophobie, voire d’une poutinophobie que rien ne justifie, notamment dans la presse. J’ai même entendu dans une récente émission radiophonique[1] … que c’était Vladimir Poutine qui ranimait la guerre froide. Sans doute est-ce lui qui a poussé les anciens satellites soviétiques à entrer dans l’OTAN, voire à installer les brigades de cette Organisation à la frontière polonaise et dans les pays baltes… Propagande gouvernementale française, propagande médiatique française à tout va : il est permis de se demander quand les Français pourront à nouveau penser par eux-mêmes.
[1] France Culture, Esprit public, 16 octobre 2016