Dans le documentaire « La Maison des Saoud » de Jihan el-Tahri, nous pouvions suivre l’histoire de l’Arabie Saoudite et son évolution à travers ses cinq rois et les thématiques majeures qui fondent la politique intérieure et internationale du pays : l’Islam, le pétrole, les relations spéciales avec les États-Unis et la question palestinienne. En bref, ce qui est politiquement correct à dire. Le documentaire « L’autre visage de l’Arabie Saoudite » dépeint une tout autre réalité.
Cette autre réalité, c’est celle de la théocratie criminogène, pure et dure dirigée d’une main de fer par la monarchie absolue des Saoud, gérontocrates moyenâgeux et vassaux des États-Unis appelant ses savants religieux à lancer fatwa sur fatwa contre quiconque pour servir leurs intérêts, et sous le couvert de l’« Islam wahhabite » rigoriste, sectaire et intolérant à l’égard des chrétiens et des juifs, contrairement à ce qu’il est écrit dans le Coran. Aucune autre religion que leur « Islam wahhabite » n’est tolérée en Arabie Saoudite, cet « Islam wahhabite » qu’il convient de rappeler qui n’est en aucun cas celui de la majorité et qui est condamné par de nombreux musulmans. L’Arabie Saoudite, c’est aussi et surtout, en empruntant les mots d’International News, le « pays de la charia, de la torture systématique des opposants, de la corruption généralisée, des assassinats ciblés, de l’esclavage des travailleurs immigrés, de la persécution des chrétiens… », terre d’exportation de djihadistes au Pakistan contre l’URSS envahissant l’Afghanistan et « base du terrorisme international d’Al-Qaïda ».
Lorsque leurs intérêts connaissent un danger ou subissent une menace, les « infidèles et croisés », les « chrétiens et les juifs » ne dérangent plus les Saoud et leurs sages wahhabites appelant parfois au meurtre, comme lorsque l’Irak a envahi le Koweït, permettant au premier allié, les États-Unis, d’utiliser la Terre Sainte de l’Islam pour aller combattre d’autres arabes, d’autres musulmans. Idem en ce qui concerne le programme nucléaire de l’autre théocratie du Moyen-Orient, l’Iran. Idem contre les révolutions arabes au Bahreïn, au Yémen, en Libye avec le Qatar dans un rôle plus grand et aujourd’hui en Syrie. Aujourd’hui, beaucoup de personnes pensent que la survie de la Maison des Saoud à la tête de l’Arabie ne repose plus que sur une alchimie géopolitique fragilisée.
Mais malgré d’importantes recettes grâce à la manne pétrolière qui n’a favorisé qu’une élite de l’Arabie Saoudite, les premières victimes sont les Saoudiens. « En Arabie Saoudite, on se suicide pour fuir la pauvreté ». Trad al-Asmari est un blogueur et un militant saoudien des droits de l’Homme. Il a tourné un court-métrage sur la pauvreté en Arabie Saoudite :
« Dans notre société, on dit souvent que si la personne qui s’est suicidée avait été réellement croyante, elle ne serait pas passée à l’acte ; mais je n’adhère pas à cette explication. Pour moi, il est urgent de parler de ce problème car les responsables politiques n’en parlent pas. En Arabie Saoudite, il n’y a pas de statistiques fiables concernant le nombre de chômeurs ou de personnes vivant sous le seuil de pauvreté… Chez nous, c’est le ministère des Affaires sociales qui s’occupe de la pauvreté. Malheureusement, les aides ne dépassent pas les 700 ou 800 riyals par personne [environ 150 euros] et celles-ci ne sont délivrées qu’aux familles qui n’ont aucune ressource. Or les cas de suicides touchent le plus souvent les petits fonctionnaires, dont les salaires ne dépassent pas les 1 000 ou 1 200 riyals [180 ou 200 euros]. C’est le salaire que touchent par exemple les agents de police qui sont plus de 100 000. C’est ridicule dans un pays où la visite médicale coûte près de 500 riyals ! De plus, les foyers saoudiens comptent en moyenne sept ou huit membres, qui vivent tous avec un seul salaire. Ajoutez à cela le coût du loyer, car 65 % des Saoudiens, selon les chiffres officiels, ne sont pas propriétaires de leur habitation. La notion de salaire minimum n’existe pas non plus dans mon pays, à cause du nombre important de travailleurs étrangers qui y vivent – près de 9 millions. »
Les violentes inondations de 2011 touchant La Mecque durant le pèlerinage et, particulièrement, Jeddah, capitale économique du Royaume où des milliers d’habitants durent être évacués, à cause en partie d’un système d’égouts déficient générant un immense lac, fait d’excréments et à proximité de la ville la menaçant à tout instant de l’inonder, et d’autres infrastructures défectueuses tels que des ponts et des routes qui se sont effondrés, ont également mis le doigt sur les responsabilités politiques dans la faillite du programme d’assainissement et les travaux de drainage de la ville. Un projet qui est resté à l’état de projet pendant plusieurs années, malgré les promesses. De l’argent et de la main-d’œuvre, l’Arabie Saoudite n’en manque certainement pas mais le coupable, c’est la corruption. Après le drame et la mobilisation des habitants de Jeddah, notamment sur Facebook, les autorités ont interdit toute manifestation de rue. Le bilan des inondations de 2011 faisait état de 120 morts, des milliers de blessés, plus de 350 personnes déclarées portées disparues, plus de 8 000 maisons ont été endommagées et 7 000 voitures détruites dans les intempéries. Plus d’une septantaine de responsables et d’entrepreneurs ont été arrêtés dans le cadre de la commission d’enquête formée sur ordre du roi Abdallah ben Abdel Aziz et présidée par le prince Khaled al-Fayçal, le gouverneur de La Mecque. 800 millions d’euros, c’est le coût des travaux. Une bouchée de pain comparée aux quelques 2 000 milliards de dollars que la Maison des Saoud a reçu des revenus du pétrole entre 1973 et 2002, selon le rapport virulent de feu Laurent Murawiec, néoconservateur français.
La contestation croissante par le peuple saoudien de la politique pro-américaine des vassaux Saoud, de la présence américaine sur le territoire et des guerres et opérations de contre-terrorisme à l’encontre des pays musulmans (Afghanistan, Irak, Pakistan, Somalie, Indonésie, etc.) sont des sources de conflit interne inquiétant Washington. Mais, que légèrement à vrai dire. En visite à Abou Dhabi fin février 2011, le secrétaire américain à l’Énergie Steven Chu avait déclaré, « je pense que nous allons avoir des relations continuelles avec l’Arabie Saoudite », et a souligné que les relations étroites entre les États-Unis et sa principale « station-service » moyen-orientale, qui remontent aux années 1940, allaient se perpétuer. Leurs relations sont interdépendantes.
Selon la version officielle des attentats du 11 septembre 2001, quinze des dix neufs pirates de l’air étaient de nationalité saoudienne. Cette donnée aurait soi-disant remis en question les relations américano-saoudiennes à Washington à l’époque où les néoconservateurs occupaient la Maison Blanche. Il est dit que depuis cette prétendue « révélation », les États-Unis chercheraient la diversification en réduisant leurs approvisionnements de pétrole saoudien et favorisant l’Afrique et l’Asie. Dans les faits, la réalité est à nouveau tout autre. Les États-Unis n’ont rompu strictement aucun lien avec le Royaume qui demeure un allié indispensable économiquement et stratégiquement. Il en va de même pour l’Arabie Saoudite qui profite de l’énorme manne pétrolière et de la sécurité militaire depuis le Pacte de Quincy.
« Le 20 juillet 2010, l’économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol, a raconté au Wall Street Journal que la Chine avait dépassé les États-Unis en devenant le numéro un des consommateurs d’énergie dans le monde. » (Michael T. Klare). Pour 2009, la consommation d’énergie de la Chine était de 2,25 milliards de tonnes d’équivalent pétrole, contre 2,17 milliards pour les États-Unis. Dans les deux prochaines années, la Chine devrait rester la première destination pour les exportations d’or noir saoudien. Actuellement, 24 % des importations pétrolières des États-Unis proviennent de l’Afrique et 20 % de la Péninsule Arabique dont 13 % de l’Arabie Saoudite.
Second exportateur de pétrole dans le monde après la Russie, le Royaume dispose d’environ 80 champs pétrolifères et gaziers rassemblés dans la zone à majorité chiite. Le nombre de puits d’exploration forés a dépassé le millier de puits. Les réserves de pétrole prouvées de l’Arabie Saoudite varient selon les sources de 259 à 266,7 milliards de barils, soit à peu près un quart des réserves mondiales prouvées. Le Royaume produit environ 3 milliards de barils par an, et environ 9 millions bpj. Plus de la moitié de ses réserves sont concentrés dans seulement quatre champs, et plus de la moitié de sa production provient d’un seul champ, Ghawar. En 2005, la compagnie nationale Saudi Aramco (Arabian American Oil Company) a affirmé que les réserves saoudiennes permettent de maintenir sans difficulté une production journalière de 10,5 à 11 millions bpj et que ce rythme peut être augmenté à 15 millions bpj pendant une période de 50 ans. L’AIE a prédit que la production de pétrole saoudienne doublera au cours des deux prochaines décennies, prévoyant une extraction de 7 milliards de barils par an en 2020.
Très conversé, le gigantesque gisement de Ghawar surnommé le « roi des rois », près du golfe Persique, est considéré comme étant le plus grand gisement pétrolier au monde. Ce super-géant fournit près de la moitié de la production saoudienne, jusqu’à 5 millions bpj avec des pics à 60 et 65 %. Ghawar a déjà produit 60 milliards de barils et en produit encore environ 2 milliards par an. Beaucoup d’experts spéculent sur ses réserves estimées. Dans les années 1970, les estimations portaient à 170 milliards de barils et 60 milliards ont déjà été pompés. Personne n’est en mesure de prédire avec exactitude les réserves récupérables restantes de ce gisement unique au monde. L’hypothèse pessimiste avance la fourchette de 34 milliards de barils, et celle optimiste à 43 milliards. Une certitude, Aramco, propriétaire du gisement de Ghawar, injecte de plus en plus d’eau et creuse de plus en plus de puits pour pomper les dernières gouttes.
Une autre source de conflit, cette fois externe, réside dans la croissance de la présence chinoise au Moyen-Orient. 40 % des importations de pétrole de la Chine proviennent du Moyen-Orient. Tandis que les échanges avec les États-Unis se sont légèrement réduits ces dernières années, la coopération bilatérale entre l’Arabie Saoudite et la Chine n’a cessé de croître. L’Arabie Saoudite est le principal exportateur de pétrole vers la Chine avec un volume de 1,04 million de barils par jour (bpj) devant l’Iran, le sultanat d’Oman, l’Angola, la Russie et une vingtaine d’autres pays.
Dans le contexte particulier de future coopération militaire et de transfert de technologies de pays du Moyen-Orient avec l’Iran, la normalisation, à nouveau en berne des relations irano-égyptiennes, laisse craindre l’hypothèse d’un prétexte justifiant la poursuite de la militarisation avancée de la Péninsule arabique et au-delà. L’Arabie Saoudite, en perte de crédibilité dans plusieurs pays arabes, ne peut se permettre de jouer la carte de l’immobilisme face à l’« ennemi chiite » qui semble bel et bien déterminé à combler la perte d’influence des impérialistes états-uniens à l’agonie par l’entremise de son vassal saoudien et allié israélien. C’est un facteur géostratégique qui détermine entre autres l’absence totale d’actions au Bahreïn et au Yémen de la part du « monde libre », afin de garder Manama et Sana’a dans le giron du Royaume.
« “Spengler” estime que l’Arabie, qui soutenait Ben Laden en échange d’une relative inactivité terroriste contre elle, a déterminé que ce soutien devenait, dans la nouvelle situation au Moyen-Orient, plus dommageable qu’avantageux. “Spengler” s’en explique. Tout cela n’a rien à voir, ni avec les USA, ni avec l’œuvre de justice que poursuit cette grande puissance depuis 9/11. Tout cela a à voir avec les remous formidables du monde arabo-musulman, avec l’Iran, dont l’Arabie a une peur bleue, avec le Pakistan, dont l’Arabie veut s’attacher les services dans son travail urgent de renforcement. L’Arabie veut un soutien militaire direct du Pakistan, en engageant des soldats pakistanais dans sa Garde Nationale, voire en envisageant de demander un accès au nucléaire pakistanais ».
Aussi contre-productif que les sanctions onusiennes contre l’Iran, l’usage ou ce qu’il convient de nommer l’exploitation étatique du terrorisme « islamiste » dans une période de soulèvement populaire dans les pays à majorité musulmane. Nous avons pu lire quantité d’avis sur la prétendue volonté du cheikh Oussama Ben Laden de pousser ou d’inciter le monde musulman à la réunification, au rigorisme et à la radicalisation de son « antagonisme » vis-à-vis du monde occidental, donnant ainsi du crédit à la méprisable théorie huntingtonienne du choc des civilisations. Le monde arabo-musulman lui a dit non, et ne s’est pas engagé sur cette pente dangereuse n’en déplaise au néoconservatisme occidental et à toute la galaxie de mouvements d’extrême-droite d’Occident au Moyen-Orient. Le fier monde arabo-musulman a opté pour le combat pacifiste, honorable et respectable. Nul être humain en ce bas monde ne peut prétendre le contraire sans chercher à généraliser et par-dessous tout nourrir l’amalgame injurieux : « musulman = intégriste = terroriste ».
L’ère de l’après-Oussama venant de débuter, dans le cadre de la soudaine recrudescence des activités terroristes imputées à de mystérieux groupuscules « salafistes », il est très intéressant et tout autant utile de se pencher sur la question classique et inévitable : « à qui profite le crime ? » Des attentats qui sont forcément liés à l’imaginaire réseau tentaculaire d’Al-Qaïda selon les perceptions occidentales et la bonne vieille rhétorique médiatique, ces mêmes voix cherchant à convaincre les masses abruties de l’existence d’une mythique puissance communautaire internationale.
Des activités comme l’attentat de Marrakech au Maroc, « Cette ville [qui] est depuis toujours une obsession pour les djihadistes salafistes. Pour eux, c’est une ville symbole de débauche. La littérature islamiste en parle comme de la nouvelle Sodome et Gomorrhe, la ville qu’il faut détruire. Ils dénoncent une « invasion » de « mécréants » occidentaux. » ou les différentes violences confessionnelles à l’encontre des coptes d’Égypte, l’attaque de l’église des Deux Saints à Alexandrie le jour de la Saint-Sylvestre 2011, l’incendie de l’église du village de Sool et les récents incendies des deux églises à Imbaba, un quartier du Caire, durant le weekend du 7 et 8 mai 2011. Selon le Blog Copte, « Les manifestants protestaient contre les salafistes et non les musulmans en disant : “Les salafistes se comportent comme un groupe de voyous (baltagueyas) qui détiennent une arme dans une main et le Coran dans l’autre”, dit Mina Hanna, l’un des manifestants. Certains manifestants pensent que l’Arabie Saoudite soutient les salafistes en Égypte. “Nous n’avons jamais été comme ça, tout cela est prévu par les Saoudiens”, déclarait Ashraf Tarek, un des manifestants. »
« Tout individu notoirement ennemi de l’organisation sociale ou politique de son pays, et, d’avantage encore, tout groupe d’individus contraint de se déclarer dans cette catégorie est connu de plusieurs services de renseignements. De tels groupes sont constamment sous surveillance. Leurs communications internes et externes sont connues. Ils sont rapidement infiltrés par un ou plusieurs agents, parfois au plus haut niveau de décision, et dans ce cas aisément manipulables. Cette sorte de surveillance implique que n’importe quel attentat terroriste ait été pour le moins permis par les services chargés de la surveillance du groupe qui le revendique, parfois encore facilité ou aidé techniquement lorsque son exécution exige des moyens hors d’atteinte des terroristes, ou même franchement décidé et organisé par ces services eux-mêmes. Une telle complaisance est ici tout à fait logique, eu égard aux effets politiques et aux réactions prévisibles de ces attentats criminels. »
Quand bien même certaines actions relèvent de l’œuvre de fanatiques religieux extrêmement doués pour éviter de tomber dans les mailles du filet des agences de renseignement et n’étant pas financés par un quelconque État, elles ne sont en aucun cas la représentation de l’opinion du monde arabo-musulman. Pour illustrer ce refus à la violence et l’indignation à l’égard de l’usage du terrorisme, le vendredi 13 mai 2011, des milliers de manifestants investissaient à nouveau la célèbre place Tahrir pour proclamer « l’unité nationale » en scandant à l’unisson « Musulmans, chrétiens, une seule main, une seule nation ! »
« Rappelons-nous que nous pouvons accomplir ces choses non pas seulement pour des raisons de richesse ou de puissance, mais à cause de ce que nous sommes : une seule nation bénie de Dieu, indivisible et vouée à la liberté et à la justice pour tous », déclarait Barack H. Obama lors de l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden. De même que sa « mort » ne sera aucunement un contrecoup majeur perturbant les attaques de drone en Af/Pak et au Yémen – dans le cadre strict de la guerre contre le terrorisme islamiste – ainsi que les opérations d’assassinat, de capture et de chasse à l’homme des escadrons de la mort du Pentagone et de la CIA, continuant ainsi de violer en toute impunité autant la souveraineté territoriale que les « droits de l’Homme ». Au nom des sacro-saints intérêts galvaudant la question de sécurité nationale, toute hégémonie qui se respecte se réservera toujours le droit de piétiner le droit international. Cela n’a pas commencé avec Ben Laden, cela ne s’arrêtera pas après Al-Qaïda, ni même avec la fin de la Maison des Saoud.
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Source : https://mecanoblog.wordpress.com/2012/05/25/lautre-visage-de-larabie-saoudite-video/#more-8645