Si Bachar el-Assad est devenu le bourreau de son peuple, l’armée toujours plus nombreuse des barbus qui le combattent menace d’être un fléau pire encore.
C’est la première fois que François Hollande se risque aussi ouvertement et précisément sur ce terrain. Jeudi dernier, dans l’euphorie de la reconnaissance du rôle déterminant joué par la France dans la libération du Mali des terroristes qui menaçaient de s’emparer du pays, le président français a évoqué la crise syrienne. Et il a déclaré que la France pourrait livrer des armes « dans un cadre contrôlé et élargi » à la rébellion. Mais pas n’importe laquelle, a-t-il pris soin de préciser. « À l’Armée syrienne libre, qui représente la coalition nationale et est aujourd’hui entre le marteau des frappes du régime et l’enclume de l’islamisme fondamentaliste. » Bien vu, mais malheureusement un peu tard.
L’ambition d’un califat
Car, en deux ans de guerre civile, ce sont les barbus qui sont devenus le fer de lance de l’insurrection, et pas les modérés de l’Armée syrienne libre, dont le chef, le général Selim Idriss, doit voir le président français la semaine prochaine. Arrivant depuis des mois, par groupes entiers, d’une Turquie aux frontières totalement poreuses, des combattants étrangers venus de Libye, de Tunisie ou rescapés du Mali ont rejoint, particulièrement dans le nord de la Syrie, les Irakiens de l’Isis (Islamic State of Iraq and al-Sham).
C’est une organisation sunnite, ouvertement affiliée à al-Qaida, prenant ses directives de son chef al-Zaouahiri et ne cachant pas son ambition d’établir un « califat » réunissant l’Irak et la Syrie. Alors qu’elle est ennemie tout autant de l’Occident que du régime Assad, ses hommes font régner la terreur un peu partout en Syrie, jusqu’aux rivages de la Méditerranée, où Lattaquié est devenue l’une de leurs places fortes. Appliquant la charia dans toute sa rigueur, ce sont eux qui ont posé pour les photos publiées par Paris Match où l’on voit des rebelles décapiter froidement des soldats syriens courbés et alignés devant eux. Ce sont eux aussi que l’on soupçonne de détenir plusieurs otages européens. Eux encore dont les kamikazes commettent des attentats contre les chiites de Bagdad de même que contre les Alaouites de Damas. Eux enfin qui, en juillet, ont tué Kamal Hamami, l’un des commandants de l’Armée syrienne libre. Il y a quelques jours, ils se sont d’ailleurs emparés de la ville d’Azaz, près de la frontière turque, détenue depuis mai 2012 par les combattants de l’ASL, tuant plusieurs hommes et faisant une bonne centaine de prisonniers.
Mains impures
Faut-il laisser dès lors les combattants modérés sans défense face à ces fanatiques ? Certainement pas, et François Hollande a raison de laisser entendre qu’après leur avoir livré du matériel non létal il faut que ceux qui sont les plus impliqués dans l’affaire syrienne – France, États-Unis, Royaume-Uni – leur donnent les moyens de se défendre. Contre Assad et contre les djihadistes de l’Isis. Mais ce ne sera pas aussi facile que cela pouvait l’être au début du conflit, d’armer ceux des rebelles que l’on veut aider sans risquer de voir le matériel tomber entre des mains impures.
Les Américains le savent, qui en Afghanistan avaient fourni à la rébellion islamiste la plus fanatisée des missiles sol-air pour abattre les avions et les hélicoptères soviétiques et ont été victimes de leurs propres armes quelques années plus tard quand ils ont fait la guerre aux talibans. La France n’a pas envie de tomber dans le même piège. Est-ce donc une sorte de garantie de modération des djihadistes à l’égard de l’ALS que François Hollande a tenté d’obtenir la semaine dernière ? Il a reçu en effet des émissaires du Qatar et d’Arabie saoudite qui arment et soutiennent les islamistes les plus fanatisés, notamment ceux de l’Isis. Sans trop se faire d’illusions, on l’espère. La haine des monarchies sunnites contre les chiites d’Irak ou d’Iran et les Alaouites de Syrie qui leur sont liés est, depuis des siècles, inextinguible. Elle se moque pas mal de notre souci de voir démocratie et droits de l’homme s’appliquer partout.
Le Point.fr – Publié le 23/09/2013