Cela fait une semaine que la Russie prend part aux frappes en Syrie, ciblant les opposants au régime de Bachar al-Assad. Une «erreur» selon Ankara qui n’attend que le départ d’Assad. Mais finalement, analyse la chroniqueuse Lale Kemal spécialisée dans la défense, l’arrivée des Russes pourrait se révéler positif pour la Turquie.
Les implications à long terme de l’engagement militaire russe en Syrie au nom du régime du président syrien Bachar al-Assad pour le Moyen-Orient et les pays de l’Est de la Méditerranée feront l’objet de discussions et d’hypothèses en grand nombre. Actuellement, des avions russes basés dans l’ouest de la Syrie ont déjà commencé à lancer des frappes contre des cibles que Moscou a identifiées comme étant de Daesh, mais que les opposants à Assad condamnent car elles cibleraient de façon disproportionnée les insurgés soutenus par l’étranger.
L’action militaire russe en Syrie a déjà compliqué, entre autres, la campagne anti-Daesh des forces de coalition occidentales et arabes emmenées par les Etats-Unis dans le nord de la Syrie. Le président turc Erdogan, l’un des plus fervents opposants d’Assad, s’est joint aux critiques de l’action militaire russe en Syrie et a déclaré le 4 octobre que les frappes aériennes de Moscou contre les forces de l’opposition au régime syrien étaient «inacceptables».
«La Russie fait une grave erreur»
Les forces qui luttent contre le régime syrien, y compris l’Armée syrienne libre (ASL), dont la force s’est déjà étiolée, font partie des groupes, modérés ou radicaux – tels qu’Al-Nosra – que le gouvernement turc soutient depuis longtemps puisqu’il a pour objectif ultime de renverser Assad. Maintenant que la Russie est pleinement impliquée dans le conflit syrien aux côtés d’Assad, la zone d’exclusion aérienne en Syrie que souhaite la Turquie est devenue utopique, comme l’est devenu l’objectif de renverser Assad.
Erdogan s’est exprimé à la presse avant sa visite en France le 4 octobre et a évoqué les frappes aériennes russes : «La Russie fait une grave erreur. Cela pourrait être une première étape vers l’isolement de la Russie dans la région». Une analyse qui reflète une erreur de vision de politique étrangère de la part d’Erdogan et de son parti l’AKP, qui a, au contraire, isolé la Turquie de la politique mondiale en général et du Moyen-Orient en particulier.
La Turquie n’a plus le pouvoir d’influencer les transformations dans le sud
Ünal Çeviköz, ambassadeur turc à la retraite, a rappelé dans un entretien à Zaman le 5 octobre qu’il y avait eu des changements dans le sud de la Turquie, en Irak et en Syrie qui ne servent pas les intérêts d’Ankara. Il ajoute que la Turquie ne dispose plus d’aucun pouvoir pour influencer ces changements en sa faveur.
Cela s’explique principalement parce que la Turquie a, ces dernières années, abandonné sa politique de traitement égalitaire des acteurs d’un conflit. «La Turquie n’aura peut-être pas de place autour de la table des négociations lorsque l’avenir de la Syrie sera décidé», a informé Çeviköz.
De plus, les relations entre la Turquie et son allié proche, les Etats-Unis, pourraient s’envenimer quant à la détermination d’un ennemi commun en Syrie. Les Américains ont récemment annoncé qu’ils ne considéraient pas la principale milice armée kurde en Syrie, les Unités de protection du peuple (YPG), comme une organisation terroriste. En réponse, la Turquie a déclaré que le Parti de l’Union démocratique (YPD) en Syrie, principale branche du YPG, ainsi que le YPG, le PKK, étroitement affilié au YPG, étaient toutes des organisations terroristes, défiant ainsi le point de vue américain.
L’arrivée russe, une bonne nouvelle pour la Turquie
Paradoxalement, quand l’avenir de la Syrie sera décidé, ce sont les Kurdes syriens qui seront à la table des négociations et non la Turquie. De plus, le Dr Chris Kilford, ancien attaché de défense auprès de l’ambassade canadienne à Ankara, a eu cette observation pertinente sur l’impact potentiel de la démonstration de la force russe en Syrie et en Turquie : «La mauvaise nouvelle pour la Turquie, c’est qu’Assad est de retour, qu’une région autonome syro-kurde prendra forme et que l’opposition syrienne et les combattants étrangers, qui n’ont nulle part où aller, se rassembleront dans le sud de la Turquie, n’offrant aucun répit au gouvernement turc.
La bonne nouvelle, c’est que la Syrie pourra commencer à se reconstruire et que les réfugiés qui ont fui les combats pourront rentrer chez eux – enfin et surtout grâce à Moscou». Paradoxalement, l’arrivée des Russes en Syrie pourrait se révéler être une bonne chose sur le long terme, peut-être pas pour le gouvernement turc, mais en tout cas pour la Turquie.
Les Etats-Unis ont besoin de la Turquie
Dans ce sens, l’analyse du magazine américain Foreign Policy du 2 octobre dernier disant que «les activités russes en Syrie servent moins à sauver Assad qu’à rétablir la place de Moscou dans un moment-clé pour les pays de l’Est de la méditérannée» donnait à croire que l’importance de la Turquie pour l’OTAN dans la partie orientale de la méditérannée pourrait croître sur le long terme.
Si cette analyse s’avérait être vraie, les Etats-Unis auront plus que jamais besoin de la Turquie dans la région pour trouver un équilibre dans ses relations avec la Russie. Et si l’importance de la Turquie dans l’OTAN croît, elle sera le fruit de facteurs externes et se fera au détriment de stratégies de politique étrangère mal conçues par l’AKP et le président Erdogan.
Source : Zaman France
https://www.zamanfrance.fr/users/lale-kemal