Mis en déroute par l’armée syrienne et le Hezbollah lors des batailles du Qalamoun, assiégés dans les hauteurs de Ersal, à la frontière syro-libanaise, les milices takfiris de Daech et d’al-Nosra, plutôt que de passer l’hiver dans une région inhospitalière, ont-elles décidé de porter la guerre, avec leurs alliés libanais locaux, contre l’armée libanaise à Tripoli, une ville majoritairement sunnite où elles espèrent trouver des appuis populaires ? Beaucoup le redoutent.
L’armée libanaise a lancé samedi matin 25 octobre un assaut contre des positions d’islamistes armés dans le centre-ville historique de Tripoli, dans le nord du Liban, théâtre la veille d’affrontements. Après une nuit relativement calme, les combats ont redoublé d’intensité samedi dans plusieurs quartiers de la ville où une dizaine d’obus sont tombés.
Des combats ont lieu régulièrement dans la capitale du Liban-Nord entre combattants alaouites du quartier de Jabal Mohsen et leurs rivaux sunnites de Bab el-Tebbané. Mais vendredi, pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, les affrontements ont éclaté dans les souks du centre-ville, un lieu touristique qui figure comme site potentiel dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Ils se sont ensuite étendus à d’autres quartiers.
Afin de déloger les islamistes armés qui ont pris position dans les souks, l’armée a lancé une attaque samedi, selon le correspondant de l’AFP. Des tirs d’artillerie lourde résonnaient, selon le reporter, qui a précisé que les soldats essayaient d’évacuer des familles prises au piège dans le quartier. Selon lui, de nombreux magasins ont été réduits en cendres.
Mawlaoui blessé?
Les accrochages ont déjà fait huit blessés dans les rangs de l’armée, dont un officier, selon un communiqué de l’institution militaire. Un responsable de la sécurité a de son côté fait état d’un mort parmi les éléments armés. Un civil a été également tué et cinq autres ont été blessés, dont le photographe du quotidien libanais al-Anwar, Fathi el-Masri. Le photographe a été touché à la main quand un obus est tombé près de lui, samedi, dans les souks de la ville.
Le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, a appelé les hôpitaux de Tripoli à recevoir les blessés et à les traiter aux frais du ministère.
L’Agence nationale d’information (Ani, officielle) a rapporté que le groupe qui combat la troupe à Tripoli est lié à Daech (acronyme arabe du groupe État islamique). Le groupe a été encerclé par les soldats dans les souks de la ville et a subi d’énormes pertes, a ajouté l’agence. Les islamistes ont appelé d’autres groupes liés au Front al-Nosra (branche syrienne d’el-Qaëda en Syrie, ndlr) à l’aide, mais ces derniers n’ont pas répondu positivement à l’appel, a rapporté l’Ani qui a indiqué que la troupe est déterminée à poursuivre la bataille jusqu’à l’éradication de cette organisation terroriste.
Le groupe d’Oussama Mansour et de Chadi Mawlaoui, devenus tristement célèbres pour avoir défié à plusieurs reprises l’armée et occupé pendant des semaines une mosquée de la ville, pourrait être également impliqué. Des médias locaux ont d’ailleurs rapporté que Chadi Mawlaoui aurait été blessé dans les affrontements dans une embuscade qui lui a été tendue par la troupe.
Plus au Nord, des éléments armés ont tiré samedi sur un véhicule militaire dans la région de Mouhammara, au Akkar, blessant deux soldats, rapporte l’Ani.
Soutien total à la troupe
Ce nouveau round inédit de violences aurait commencé lors d’une opération de perquisition effectuée par la troupe au domicile des parents d’Ahmad Mikati, alias Abou el-Hoda, arrêté jeudi. Ayant récemment prêté allégeance à Daech, le jihadiste présumé, connu également sous le nom d’Abou Bakr, recrutait des Libanais pour rejoindre les jihadistes en Syrie.
Contrairement à ce qui s’était passé à Ersal, où l’armée libanaise, après avoir subi des pertes et enregistré l’enlèvement de plusieurs soldats, dont certains ont été décapités, a choisi de ne pas engager la guerre, de peur que les terroristes n’exécutent les otages, préférant des négociations indirectes, cette fois-ci, elle semble déterminée à en découdre. Elle a ainsi assiégé, samedi, les groupes armés, affiliés à Daech, à Tripoli faisant de lourdes pertes parmi leurs rangs, selon agence libanaise officielle ANI.
Les accrochages se sont intensifiés aux alentours de l’ancien marché de Tripoli. La déflagration de chute de 12 roquettes, accompagné de lourds tirs ont été entendus dans les alentours des soucks Al-Arid, Nahasine, Khan al-Askar, Tarbaya et la rues des Rahibat.
Ces accrochages pourraient durer plusieurs jours à cause de la nature de l’architecture des lieux où ils se déroulent.
Le bilan des accrochages s’est alourdi à neuf militaires, dont un lieutenant, et quatre civils ainsi qu’un photographe du quotidien Al-Anwar. Un bilan qui pourait s’alourdir d’autant que la Croix-Rouge est incapable de se rendre sur les lieux des affrontements.
Selon plusieurs rapports, le groupe terroriste a demandé à la branche militaire d’al-Qaïda en Syrie (et au Liban) le front Al-Nosra de lui venir en aide, mais ce dernier a refusé.
L’armée a poursuivi hier perquisitions et arrestations dans plusieurs régions libanaises, dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme, repoussant par ailleurs des éléments jihadistes qui tentaient une incursion vers le Liban à Ersal.
Elle a arrêté une personne de la famille Dhennaoui et une autre de la famille Salha, dans le quartier de Mankoubine, à Tripoli. Dans la région de Akkar, au nord, frontalière de la Syrie, une patrouille des forces de sécurité a été la cible de tirs.
À Rass Dekouané, une unité a effectué à l’aube des perquisitions conjointement avec la police municipale et les services de renseignements militaires. L’opération s’est soldée par l’arrestation de 11 personnes de nationalités syrienne et égyptienne qui se trouvaient illégalement au Liban.
Quatre autres personnes qui rôdaient dans les parages d’un poste militaire dans le jurd de Ersal ont été arrêtées. Alors qu’en soirée, l’armée a mis en échec une tentative d’incursion des islamistes à Wadi Hmayed et dans le Hosn, faisant partie du jurd de Ersal. Des armes moyennes et lourdes ont été utilisées au cours des accrochages.
Des avions de reconnaissance de l’armée libanaise survolent, en ce moment, la ville de Tripoli ainsi que ses anciens souks, a-t-on appris par notre correspondant.
Par ailleurs, pour ce qui est de l’opération de Denniyeh, le Commandement de l’armée a annoncé,vendredi dans un communiqué, qu’en résultat aux prélèvements ADN effectués sur l’un des cadavres des éléments armés tués lors d’une perquisition de la troupe à Assoune-Donniyeh, il s’est avéré que le corps est celui du soldat déserteur Abdel Kader Akoumi.
Dans ce contexte tendu, la rencontre islamo-chrétienne prévue samedi à Tripoli a été reportée en raison de la situation sécuritaire. A l’issue d’une rencontre dans son domicile avec des responsables tripolitains, le mufti de Tripoli et du Liban-Nord, Malek el-Chaar, a assuré du soutien aux forces armées et aux plans entrepris pour rétablir le calme. « Nous faisons pleinement confiance à l’armée et à sa sagesse. Tripoli est sa ville et ses habitants sa famille », a déclaré le mufti Chaar.
L’ancien Premier ministre Nagib Mikati a de son côté assuré que Tripoli ne parraine aucune partie terroriste et soutient la troupe pour rétablir la sécurité dans la ville.
Originaire comme M. Mikati de Tripoli, le ministre de la Justice Achraf Rifi a, quant à lui, assuré : « Nous sommes aux côtés de l’État légitime et nous ne couvrons aucune action armée en dehors de la légalité ». « Nous sommes responsables de notre ville et nous n’allons pas être entraînés vers le chaos », a-t-il ajouté.