Les manœuvres ne visaient pas seulement à s’entraîner à une stratégie guerrière multinationale. Elles contribuaient aussi à former les militaires des émirats, qui disposent certes d’un matériel de guerre ultra-moderne, mais de compétences pratiques très restreintes.
La Bundeswehr renforce ses opérations militaires aux côtés des dictatures de la Péninsule arabique. La Luftwaffe (armée de l’air allemande) a terminé l’année par deux importantes sessions d’entraînement dans les Émirats arabes unis qui consistaient toutes deux en opérations de force exécutées en commun. Outre les soldats émiratis, des militaires arabes saoudiens, qataris et originaires d’États membres de l’OTAN y participaient. L’une des sessions s’intitulait explicitement « scénario de crise fictif dans la région du Golfe », selon lequel l’Allemagne devait « se porter rapidement à l’aide d’un État ami. » À l’heure actuelle, le seul scénario de crise imaginable concrètement serait une guerre contre l’Iran, où l’OTAN combattrait aux côtés des dictatures du Golfe.
Les manœuvres ne visaient pas seulement à s’entraîner à une stratégie guerrière multinationale. Elles contribuaient aussi à former les militaires des émirats, qui disposent certes d’un matériel de guerre ultra-moderne, mais de compétences pratiques très restreintes. Accessoirement la Luftwaffe offrait à ses hôtes émiratis une démonstration de l’Eurofighter, que Berlin compte vendre à ce pays, dans la continuité des exportations d’armes en direction des dictatures de la Péninsule arabique, en prévision d’une guerre contre l’Iran leur conférant l’hégémonie régionale, et qui se chiffrent à des milliards d’euros. Cette coopération militaire avait débuté sous le gouvernement rouge-vert de Schröder et Fischer.
Des opérations communes
Selon les propres dires de la Luftwaffe, celle-ci a exécuté en décembre la manœuvre « Common Sky 2013 » aux Émirats arabes unis (EAU). Y participaient tout juste 40 soldats allemands et autant d’émiratis ; les Allemands étaient essentiellement des membres du commando « Direction opérationnelle de l’aviation de combat » (KdoOpFüLuSK) de Kalkar. Parmi ses points forts, on trouve « la mise en place et en œuvre d’un (…) QG » au sein duquel des militaires originaires de plusieurs États doivent se charger de la « conduite d’opérations menées par des forces armées aériennes multinationales [1]. » C’est exactement le but des entraînements effectués entre le 9 et le 20 décembre dans le cadre de « Common Sky 2012 » avec des soldats de l’armée de l’air émiratie. Il est vrai que, selon la Bundeswehr, ces derniers seraient dans bien des cas jeunes et « souvent encore inexpérimentés. » Mais en revanche ils seraient très « ouverts à de nouvelles perspectives [2]. » Effectivement on entend dire depuis longtemps que les forces armées des dictatures du Golfe, dont l’armée émiratie, disposent certes d’un armement ultra-moderne mais de compétences humaines fort réduites. Accroître ces dernières a toujours été l’un des objectifs des manœuvres d’entraînement militaire germano-émiraties.
Guerre dans le golfe Arabo-persique
Le scénario sur lequel est officiellement basé « Common Sky 2012 » montre quelle stratégie visent ces manœuvres. Il prévoit en effet qu’un « État ami a été agressé » dans la « région du Golfe » ; l’Allemagne – désignée comme « Whiteland » – se porte rapidement « à son aide » [3]. « L’exercice se serait concentré » sur « la préparation et la conduite d’opérations aériennes » dirigées contre l’agresseur – un ennemi commun de l’Allemagne et des Émirats. La République fédérale étant une alliée des dictatures arabes du Golfe, le scénario ne peut se concrétiser que par une guerre contre l’Iran, qui depuis des années n’est pas exclue en Occident [4]. Il y a donc également des années qu’il est procédé à des entraînements germano-émiratis : « Dès 2009 », selon la Bundeswehr, « la Luftwaffe a exécuté des manœuvres du même type en commun avec les E.A.U. [5]. »
Le pacte militaire germano-émirati
La République fédérale a intensifié la coopération militaire avec les Émirats à une époque où les tensions avec l’Iran se sont fortement accrues, après la guerre Iran-Irak. En avril 2004 les gouvernements allemand et émirati ont annoncé un « partenariat stratégique » qui le 24 avril 2005 s’est concrétisé sur le plan militaire et politique par un « accord de coopération dans le domaine militaire ». Depuis, selon l’ambassade allemande à Abou Dhabi, le « soutien à la formation fourni par la Bundeswehr, l’échange de délégations spécialisées ainsi que l’exécution de manœuvres communes en Allemagne et dans les EAU » constituent les « piliers » de la coopération militaire entre les deux États. En 2005 – année où les Émirats ont adhéré à l’Istanbul Cooperation Initiative de l’OTAN – la Luftwaffe a, selon l’ambassade, renforcé le partenariat stratégique au moyen d’une lettre d’intention [6]. C’est celle-ci aussi qui fonde la participation de soldats allemands aux entraînements effectués au « Air Warfare Center » des forces armées de l’air émiraties, une installation ultra-moderne, au sujet de laquelle la Luftwaffe ne tarit pas d’éloges, surtout parce que dans les Émirats les vols à basse altitude et les opérations risquées ne connaissent pratiquement aucune limitation, mais sont effectués dans les conditions réelles d’intervention dans les déserts de la région du Golfe.
Attaques aériennes
Selon la Luftwaffe, en décembre elle a conclu avec succès non seulement « Common Sky 2012 », mais aussi un second programme d’entraînement dans les Émirats. Il s’agissait de l’« Advanced Tactical Leadership Course » qui s’est déroulé à l’Air Warfare Center entre le 18 novembre et le 13 décembre [7]. Si « Common Sky 2012 » concernait principalement le commandement militaire, l’« Advanced Tactical Leadership Course » était centré essentiellement sur des opérations militaires aériennes concrètes. Selon la Luftwaffe, elles auraient été « planifiées par les participants au stage de formation et ensuite mises en pratique. » L’Allemagne avait envoyé environ 200 soldats de l’escadrille de chasseurs bombardiers 31, « Boelcke », qui a ainsi pu tester pour la première fois l’Eurofighter dans des conditions désertiques. Participaient en outre à la manœuvre des militaires saoudiens, qataris, américains et britanniques ; l’objectif de l’exercice était d’apprendre à des forces armées diverses disposant d’armements divers à guerroyer ensemble. L’escadrille 31 aurait déjà participé à un exercice de ce type – régulièrement effectué – au cours de l’année 2008. Ce qui confirme que l’OTAN prépare systématiquement des guerres en commun avec les dictatures arabes du Golfe.
De très bons clients
La démonstration de l’Eurofighter, offerte aux hôtes émiratis à l’occasion de l’« Advanced Tactical Leadership Course », revêt une importance particulière : Berlin s’efforce depuis pas mal de temps de vendre aux Émirats un assez grand nombre de ces avions de combat, ce qui procurerait de nouveaux profits au consortium des fabricants, dont l’Allemagne est membre. Selon la presse économique, « de nouvelles commandes d’Eurofighter seraient également porteuses d’un certain espoir pour la période suivant l’actuel planning de production, qui s’achève en 2016-2017 [8]. Le ministre de la Défense, Thomas de Maizière, a souhaité lors d’une visite à Abou Dhabi, à la mi-juin de l’année dernière, vendre environ 60 appareils à l’armée de l’air émiratie. Il va de soi que l’Eurofighter serait alors employé dans une guerre pour laquelle les forces aériennes allemandes et émiraties, ainsi que celles d’autres dictatures de la Péninsule et de quelques États membres de l’OTAN s’entraînent régulièrement. On peut en dire autant de tous les autres armements vendus aux dictatures du Golfe par l’Allemagne depuis l’époque de Fischer et Schröder. Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, alliés de l’Occident et adversaires de l’Iran, et qui font notoirement partie des États les plus répressifs au monde, comptent aussi depuis cette époque parmi les meilleurs clients des fabricants d’armes allemands (german-foreign-policy.com en a déjà parlé). [9]
Notes
[2] Common Sky 2012; www.luftwaffe.de 13.12.2012
[3] Positive Bilanz nach elf Tagen am arabischen Golf (Onze jours dans le Golfe arabo-persique: un bilan positif); www.luftwaffe.de 20.12.2012
[4] Cf. Hegemonialkampf am Golf, Kampf der Titanen (Combat pour l’hégémonie dans le Golfe, un combat de Titans) et Die gemeinsame Front gegen Iran (Front commun contre l’Iran)
[5] Common Sky 2012; www.luftwaffe.de 13.12.2012. Voir aussi Deutsch-arabische Manöver (Manœuvres germano-arabes)
[6] Sicherheits- und militärpolitische Zusammenarbeit (Coopération en matière de sécurité et de guerre);www.abu-dhabi.diplo.de
[7] EF-Premiere in der Wüste Teil II (Première pour l’Eurofighter dans le désert, Deuxième partie);www.luftwaffe.de 10.12.2012
[8] Eurofighter hofft auf weitere Aufträge vom Golf (On espère que les pays du Golfe vont commander de nouveaux Eurofighter); www.capital.de 21.12.2012
[9] Voir aussi Stabile Verhältnisse, Hegemonialkampf am Golf (II), Der Zweck der Rüstungsexporte und Vertrauenswürdige Partner
Article original : Mit Diktatoren in den Krieg
Traduction : Michèle Mialane pour Tlaxcala
21 janvier 2013