La remise en liberté de l’ancien ministre Michel Samaha a ouvert une boîte de Pandore libanaise qui fait ressortir tous les démons de leur cachette.
Brusquement, on se serait cru revenu des années en arrière, lorsque la division interne était à son apogée. Sit-in, fermetures de routes, discours enflammés, tout le paquet est mis pour faire revivre aux Libanais les moments extrêmes qui avaient marqué certaines commémorations du 14 Mars. La question qui se pose pourtant est la suivante : pourquoi tout ce tapage émotionnel et médiatique autour d’une affaire judiciaire qui suit encore son cours ? La position la plus rationnelle a été celle de la ministre des Déplacés Alice Chaptini (elle-même ancienne présidente de la Cour de cassation militaire) qui a expliqué que l’arrêt de la Cour de cassation ne signifie nullement un acquittement de l’ancien ministre. Il s’agit simplement d’une décision discrétionnaire de la part des juges, basée sur le fait que l’ancien ministre a purgé la peine à laquelle il avait été condamné par le tribunal militaire permanent (quatre ans et demi) et que sa présence hors de prison ne menace pas le cours du procès en cassation. Mais ce dernier se poursuit et c’est à cette cour que revient le mot de la fin, qui peut être soit une condamnation à une peine plus lourde, soit une confirmation du jugement précédent. De toute façon, la justice n’est pas une vengeance et il faut appliquer les lois.
Selon une source judiciaire, le tribunal militaire avait considéré Michel Samaha comme étant coupable d’avoir transporté des explosifs de Syrie vers le Liban. Il est évident qu’on ne transporte pas des explosifs pour les enterrer dans un lieu sûr. Malgré cela, le crime est considéré comme incomplet puisque les explosifs ont été réquisitionnés avant d’être utilisés, alors que le témoin-clé de cette affaire, Milad Kfoury, est toujours hors du Liban et n’a donc pas pu être entendu par les juges. La Cour de cassation a toutefois décidé, ce qui n’est pas courant, de refaire le procès en interrogeant une nouvelle fois Samaha, jeudi prochain. Ce qui signifie que la procédure est encore en cours. Par conséquent, la réaction violente de la part du 14 Mars est injustifiée, sauf si elle a en réalité d’autres objectifs. Une source proche du 8 Mars rappelle à cet égard que Joumana Hmayed avait été arrêtée à un barrage de l’armée autour d’Ersal, transportant dans la voiture qu’elle conduisait des explosifs du Qalamoun vers le Liban. Malgré cela, elle a fait partie de l’opération d’échange des prisonniers avec le Front al-Nosra sans avoir été jugée ni condamnée alors qu’il s’agit pratiquement du même crime que celui de l’ancien ministre, qui a déjà purgé une peine de quatre ans et demi de prison. La source proche du 8 Mars précise ainsi qu’il y a eu souvent des jugements ou des arrangements avec la justice en faveur de partisans du 14 Mars et le camp adverse n’a jamais réagi de cette façon, appelant à la fermeture des routes ou à la mobilisation des jeunes dans la rue. C’est pourquoi, selon la source précitée, l’attitude du 14 Mars à l’égard de ce qu’on appelle l’affaire Samaha peut avoir d’autres objectifs. D’une part, il pourrait y avoir une volonté de libérer les détenus islamiques de Roumieh pour compenser la remise en liberté de Samaha. D’autre part, il pourrait aussi s’agir d’une volonté indirecte de faire pression sur la Cour de cassation militaire pour la pousser à décider d’alourdir la peine contre l’ancien ministre. Mais le plus intéressant, selon la source précitée, c’est que le 14 Mars a besoin de cette agitation pour ressouder ses rangs divisés depuis quelques mois. C’est en effet la première fois depuis la célébration du 14 Mars 2015 que l’on voit dans la rue les drapeaux des Forces libanaises, du courant du Futur et du PSP côte à côte. Des figures qu’on n’avait plus vues depuis des années ont soudain fait leur réapparition au milieu des manifestants, retrouvant les slogans du début du mouvement du 14 Mars. La source proche du 8 Mars estime que ce mouvement a besoin de cette affaire pour retrouver un semblant de cohésion après le coup qui lui a été porté à travers l’option Frangié lancée par le chef du courant du Futur Saad Hariri. La participation des partisans des Forces libanaises aux manifestations de protestation contre la relaxe de l’ancien ministre est en elle-même un message clair que ce parti se considère encore au cœur du mouvement du 14 Mars. Même si selon certaines figures des FL, cette participation aux manifestations contre la libération de Samaha ne signifie pas un changement de ce parti à l’égard de la candidature de Frangié, ni une modification de la détermination du chef des FL à appuyer la candidature de Michel Aoun si celle de Frangié est officialisée, les milieux du 8 Mars pensent plutôt que l’affaire Samaha est venue à point nommé pour rassembler le 14 Mars et consacrer le gel du dossier présidentiel. Le dossier Samaha, qui est appelé à s’imposer encore pendant quelques jours, peut servir de prétexte pour mettre de côté les divergences et revenir aux alliances traditionnelles. Le courant du Futur dont la base est tiraillée entre plusieurs courants (on a ainsi vu pendant les dernières manifestations des portraits du ministre de la Justice Achraf Rifi avec la mention : le véritable représentant des sunnites) a besoin de remettre de l’ordre dans ses rangs, alors que les Forces libanaises préfèrent ne pas couper totalement les ponts avec ce courant en revenant aux slogans de base du 14 Mars. Mais elles souhaitent aussi redevenir des partenaires à part entière dans les décisions importantes. L’affaire Samaha serait donc ainsi un moyen de retrouver la boussole…
OLJ