Le torchon brûle depuis longtemps entre le premier ministre irakien Nouri al-Maliki et Massoud Barzani, président de la Région autonome du Kurdistan qui revendique Kirkouk, une série de territoires où les Kurdes seraient majoritaires, ainsi que la liberté d’exploiter les ressources pétrolières du Kurdistan.
La tension s’est accrue quand Barzani a accueilli le vice-président sunnite Tariq al-Hachemi, accusé de diriger des « brigades de la mort », et a refusé, en avril 2012, de livrer ce dernier à la justice irakienne (1). Elle est montée d’un cran quand Hussein al-Sharistani, vice-premier ministre irakien pour l’Énergie, a menacé de bloquer les 17 % du budget fédéral alloué au Kurdistan si le gouvernement régional kurde (GRK) continuait de signer des contrats de prospection avec les compagnies pétrolières étrangères. En juillet 2012, le ministre s’est même engagé à « punir » celles qui interviendraient sans l’approbation du gouvernement central. La crise s’est soldée un mois plus tard par un accord de façade permettant à Maliki de ne pas perdre la face. Mehmet Sepil, directeur exécutif de la compagnie turque Gemel Energy, a résumé la situation en une phrase : « Bagdad a perdu la bataille du pétrole et du gaz naturel dans le nord de l’Irak… La question est de savoir quand il l’admettra. » En attendant, le GRK exporte toujours « illégalement » du brut vers les pays voisins, et les majors – ExxonMobil, Chevron, rejointes par Total et Gazprom – poursuivent leurs explorations comme si de rien n’était. La construction d’un pipeline kurde vers la Turquie est même à l’étude.
Les Forces Dijla
La réponse de Nouri al-Maliki ne s’est pas fait attendre. Durant l’été, il a constitué un corps militaire à sa dévotion : les Forces Dijla (Tigre), regroupant les groupes d’intervention des ministères de l’Intérieur et de la Défense (2), qu’il dirige en fait indirectement, avec les unités de police des provinces de Kirkouk, Diyala et Salaheddine. À la tête de la nouvelle structure, il a nommé le lieutenant-général Abdulamir Zaidi, un Turkmène aussitôt accusé – sans preuve – par Mahmoud Sangawi, haut responsable militaire de l’Union populaire kurde (UPK), d’avoir participé à la campagne de répression Anfal, sous Saddam Hussein.
Massoud Barzani a dénoncé la décision prise par Maliki comme portant atteinte à la Constitution, notamment à son article 140 qui prévoit un référendum pour décider de l’avenir de la ville et des champs pétrolifères qui l’entourent. L’organisation de ce scrutin s’est révélée impossible en raison des transferts de populations organisés depuis 2003 par le GRK pour supplanter les Turkmènes et les Arabes dans les territoires disputés. Jalal Talabani, président de la République, a alors déposé un projet de loi qui abroge les décrets du Conseil de commandement de la révolution (CCR) fixant les frontières administratives des provinces après 1968, et a proposé de rétablir celles qui existaient avant. Pour l’opposition, son adoption mettrait le feu aux poudres.
Sans attendre le vote de la loi au Parlement, Massoud Barzani a créé la Force Hamrin – du nom d’une chaîne montagneuse située en bordure du Kurdistan – regroupant le ministère des Peshmergas, les services secrets des deux principaux partis au pouvoir (Parti démocratique du Kurdistan [PDK] et UPK), et la police de Kirkouk. Le 16 novembre dernier, un accrochage entre les Forces Dijla et la milice de l’UPK a fait un mort et treize blessés à Tuz Khurmatou, ville à majorité turkmène. Le 11 décembre Barzani, en tenue militaire, a inspecté les troupes stationnées à Kirkouk, et s’est déclaré « prêt à se battre pour préserver l’identité kurde » de la ville. Aujourd’hui, le risque de déclenchement d’une nouvelle guerre arabo-kurde est tel que, selon l’agence iranienne Press TV, les États-Unis auraient envoyé discrètement du Koweït 3 000 GI’s réoccuper les bases de Balad (province de Salaheddin), et d’Al-Assad (province d’Al-Anbar).
Fatwa anti-guerre
À la demande, notamment, d’Ali Hussein, député kurde faili – c’est-à-dire chiite –, des membres de la Hawza de Nadjaf – la plus haute autorité religieuse chiite duodécimaine en Irak – ont déclaré que le déclenchement d’une guerre arabo-kurde est haram, interdite par l’islam. Ceux qui ne tiendraient pas compte de cet avis et qui tomberaient au combat ne seraient pas considérés comme des martyrs. L’ayatollah Hussein Ismail al-Sadr, neveu du grand ayatollah Muhammad Baqir al-Sadr, exécuté en avril 1980 sous Saddam Hussein, a rappelé que son oncle avait édicté une fatwa allant dans ce sens.
Le grand ayatollah Ali Sistani, principal marja de la Hawza de Nadjaf, a recommandé « la patience » au gouvernement, et d’éviter à tout prix un « bain de sang ». Seulement voilà, Nouri al-Maliki a un autre agenda. Sa seule chance d’être réélu en 2014 passe, selon ses conseillers, par une guerre qui ferait de lui le défenseur de l’unité du pays.
(1) Voir « La poudrière de Kirkouk menace d’exploser », in Afrique Asie, juillet-août 2012.
(2) Nouri al-Maliki est premier ministre, chef du parti Al-Dawa, mais aussi – ce que l’on sait moins –, commandant en chef des forces armées, ministre de la Défense, ministre de l’Intérieur, chef des services de renseignement, président du Conseil national de sécurité et enfin chef des Forces Dijl.