Affirmer la paix après un conflit ne peut se faire, du moins théoriquement, sans assurer que la justice pour les crimes de guerre sera rendue. Le premier objectif est de ne pas laisser se répandre l’impunité et son cortège de rancœurs, rancunes et soif de vengeance, et d’individualiser les responsabilités.
La Sierra Leone représente un cas à part dans ce processus puisque, à la demande de Freetown, un Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a été mis en place avec le soutien des Nations unies. Il était composé à parité de juges sierra-léonais et internationaux, en première instance comme en appel. Sa juridiction relevait du droit national et du droit humanitaire international. Dans le même temps, le gouvernement et la société civile se sont entendus pour instaurer une Commission vérité et réconciliation (CVR), sur le modèle de celle d’Afrique du Sud. Dotée d’enquêteurs, elle a été dirigée par un comité de sages disposant du seul pouvoir de délivrer des injonctions. Elle a clos ses activités en 2004. Il existe également une Commission anticorruption, dont l’activité n’est pas limitée dans le temps.
Cette justice transitionnelle sierra-léonaise a été confrontée immédiatement à un problème : qui juger ? Les accords de paix de Lomé, signés en 1999, garantissaient l’immunité totale à Foday Sankoh, chef de la principale rébellion (Revolutionary United Front, Ruf) et à ses hommes, invités à partager le pouvoir. Par ailleurs, le TSSL était autorisé à juger uniquement des crimes commis à partir du 30 novembre 1996, date du premier accord dit « d’Abidjan », mais qui n’avait pas mis fin au conflit. La période la plus sombre de la guerre civile était donc livrée à l’impunité. Toutefois, les « crimes internationaux » n’étaient pas couverts par l’immunité contractuelle, ce qui a permis au TSSL de s’en prendre à Charles Taylor, le président libérien qui avait planifié, financé et armé la guerre chez son voisin.
En revanche, devant l’exemple des problèmes financiers et humains soulevés par les 120 000 Rwandais entassés dans les prisons de leur pays en attente de jugement, il a été décidé de circonscrire la mission du TSSL aux seuls chefs de guerre, ce qui venait en contradiction avec l’accord de Lomé. Mais le temps avait passé… Le 30 juin 2003, treize personnes étaient arrêtées et mises en accusation, dont Foday Sankoh, qui mourra en prison un mois plus tard.
Le problème éthique qui pouvait surgir était l’éventuelle collaboration des deux institutions, la CVR pouvant fournir des éléments utilisables dans les procès qui l’aurait conduite à perdre sa crédibilité et sa légitimité. Dans les faits, il n’en a rien été : paradoxalement protégés par les tensions existant entre eux, les deux organismes ont cohabité sans coopérer, sans même que l’un utilise les informations récoltées par l’autre, celles-ci demeurant confidentielles.
Le TSSL a joué un rôle essentiel en matière de répression des crimes, ainsi que vis-à-vis du devoir de mémoire, et a donc indirectement rejoint l’activité de la CVR dans la réconciliation. Cependant, les limites de cet exercice difficile ont rapidement été atteintes. La preuve : lorsque Charles Taylor a été appréhendé au Nigeria, en 2006, les autorités sierra-léonaises ont immédiatement décidé que son procès serait délocalisé en Europe, pour éviter les manifestations de ses partisans, toujours nombreux.