À la mi-janvier 2013, vingt-trois ans après que les armes se sont tues, l’une des rares émissions télévisées au Liban à avoir osé crever publiquement l’abcès de la « guerre civile » et/ou la « guerre des autres », dans ce petit pays tampon composé d’une multitude de partis, confessions, religions et théâtre de conflits régionaux. Le nom de cette émission ? « Avocat du diable », de Ziyad Noujeim, sur la chaîne OTV. Dans un décor qui rappelle des souvenirs de tranchées et de fortifications de sacs de sable dans les quartiers très peuplés, Noujeim a convié un panel d’anciens responsables de massacres en tout genre ainsi que des acteurs politiques et militaires de la guerre entre 1975 et 1990.
L’émission est, dans une certaine mesure, une « thérapie pédagogique » dans le cadre de la « mémoire contre l’impunité ». D’une part, elle tend à exorciser les démons de la conscience des citoyens et à refermer les plaies des familles de quelque 200 000 morts et blessés et 17 000 disparus durant la guerre. D’autre part, il s’agit d’essayer de prévenir une nouvelle descente aux enfers. Car on assiste, dans la région, à des convulsions et des conflits armés ou à des guerres civiles latentes sur fond de révoltes et de manœuvres liées à des intérêts géopolitiques et géostratégiques. Ce qui fait craindre la répétition des assassinats à grande échelle qui minerait la stabilité très fragile du Liban.
Plusieurs voix commencent à proclamer haut et fort la nécessité d’ériger un nouveau garde-fou, en brandissant la remise en question de la loi d’amnistie du 26 août 1991 et la poursuite judiciaire des « seigneurs de la guerre » si les mécanismes de la justice transitionnelle au Liban restent inopérants. Car il n’existe pas pour l’instant de « commission vérité », à l’instar de l’Afrique du Sud, l’Argentine ou le Maroc…, ni d’enquêtes sérieuses pour déterminer la responsabilité des actes ayant causé des centaines de milliers de victimes.
La classe politique dominante depuis 1990 a privilégié la « paix civile » et l’oubli des crimes commis aux dépens de la justice, malgré les revendications permanentes de mettre en place un processus institutionnel d’exhumation des fosses communes, la dénonciation publique des coupables et le retour des prisonniers disparus hors du Liban.
En revanche, l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri en 2005 et la création d’un Tribunal spécial pour le Liban ont changé relativement la donne et remis en cause le dogme de « la paix civile », mais d’une manière sélective. En effet, le Tribunal spécial a été mis en place exclusivement pour le cas de Hariri et non pour l’ensemble des crimes de guerre au Liban.
« Avocat du diable » a réussi à franchir un pas de géant pour endiguer la tentation de certains à répéter les erreurs du passé, sur fond de guerres civiles à caractère confessionnel et sectaire dans le Proche-Orient. Il s’agit de remettre sur la table la repentance et le pardon, en attendant que les auteurs des crimes de guerre répondent devant la justice.
Il faudrait à cette stratégie de communication citoyenne contre l’oubli plusieurs « printemps arabes » pour « dégager » les seigneurs de la guerre au Liban, afin que la paix civile soit fondée sur une véritable justice. Comme l’a dit si bien un des participants à cette émission, la « mémoire du chameau l’emportera sur le poisson réputé amnésique ».