La victoire à la présidentielle est la sienne. Tout en incarnant la continuité de la gestion du président John Atta Mills, décédé soudainement en juillet 2012, John Dramani Mahama, 53 ans, candidat du National Democratic Congress (NDC), a mené sa propre campagne tambour battant et révélé son charisme particulier, sans démagogie ni emphase, mais avec des convictions fortes et une énergie qui séduit les jeunes. Cet ancien vice-président chargé des Affaires sociales, qui semblait ne pas avoir toute sa place dans l’establishment précédent, a vêtu les habits présidentiels en quelques mois et même conquis une part plus grande de l’électorat de la région ashanti, fief du parti du challenger Nana Akufo-Addo, du New Patriotic Party (NPP), où il a remporté 25 % des voix. Mahama est arrivé en tête dans huit des dix provinces que compte le pays. Il regrette l’agressivité du candidat malheureux contre la vénérable Commission électorale ghanéenne. Ce sera à la justice de trancher. Pour l’heure, le président élu, qui sera investi le 7 janvier comme le veut la tradition de la IVe République, se concentre sur les nombreux défis à venir. Ils seront surtout économiques et sociaux.
La démocratie ghanéenne fait figure de modèle sur le continent africain. La contestation des résultats de la présidentielle par le principal parti de l’opposition a-t-elle terni la crédibilité de la Commission électorale ?
C’était en tout cas ce que l’on recherchait. Pourtant, la Commission électorale a supervisé trois alternances démocratiques en vingt ans, depuis l’avènement de la IVe République en 1992, lors du premier mandat constitutionnel de Jerry Rawlings. La génération qui a atteint l’âge de voter actuellement n’a connu que la démocratie et n’acceptera pas que l’on change les règles du jeu.
L’attaque frontale contre l’intégrité de cette institution est très fâcheuse de la part d’un parti qui se veut un héraut de la démocratie. Notre Constitution est très claire : elle prévoit des mécanismes permettant de contester les résultats en adressant un recours à la Cour suprême. Mais des réclamations non étayées de la part de ce parti ont, entre-temps, provoqué des mouvements de rue et beaucoup de tension injustifiée.
Je crois pouvoir affirmer que notre Commission électorale est une des meilleures en Afrique et peut-être au-delà. La preuve : beaucoup de délégations étrangères viennent consulter ses experts afin de prendre connaissance des garanties qui assurent la transparence de l’élection à chaque étape du processus. Dans les plus de 27 000 bureaux de vote du pays, les urnes ont été ouvertes devant tout le monde et les bulletins comptés dans le bureau de vote lui-même en présence du public. Tout le monde assiste au décompte et est informé des résultats. Les représentants des partis sont présents à toutes les étapes. Les résultats sont physiquement apportés au bureau de la Commission électorale de la circonscription. On ne peut changer en cours de route les données inscrites sur les feuilles signées par tous les participants et les agents de la Commission électorale. La probabilité que quelqu’un puisse interférer dans ce processus et transformer significativement les résultats est de zéro.
Le vote populaire a en partie suivi les clivages ethniques et régionaux, et l’opposition traditionnelle reste très vive entre des deux courants historiques, le nkrumahisme, que l’on retrouve dans le NDC, et le courant conservateur, dit Danquah-Busia, dont le candidat du NPP est l’héritier. Ces critères font-ils toujours partie des fondamentaux de la politique du Ghana ?
Je crois que cela n’est plus aussi vrai pour les jeunes générations, qui ne se sentent pas liées par les divisions historiques, ni même par l’appartenance ethnique. Ces critères n’ont pas disparu, mais ils sont surtout valables pour les vieilles générations. Le vote de la jeunesse est davantage déterminé par la conviction que telle ou telle formation politique défend le mieux ses intérêts. Dans cette élection, c’est l’éducation et les emplois qui ont été au cœur des préoccupations des jeunes. Les élections sont de plus en plus déterminées par des choix politiques et on ne peut que s’en réjouir.
Je pense, cependant, qu’il faudrait revoir notre Constitution au sujet de représentativité des partis sur l’ensemble du territoire. Le nôtre (NDC) a remporté cette fois-ci 7 régions sur 10 (8 sur 10 à la présidentielle), ce qui, pour des raisons démographiques, ne se reflète pas dans le résultat final. Si on prend la démographie comme unique critère, il peut arriver en effet qu’un parti remporte l’élection en ayant gagné dans seulement deux régions. Il faut dès lors introduire des critères géographiques régionaux dans le calcul des voix. Dans beaucoup de pays, tel le Nigeria par exemple, il faut gagner, outre le vote populaire, un minimum de voix dans un minimum de régions ou d’États pour remporter le scrutin.
Qu’est-ce qui différencie le programme de votre parti de celui du principal challenger, le NPP, et de son candidat, Nana Akufo-Addo ?
Le NPP croit en la suprématie du marché, lequel déterminerait le processus de développement économique et le progrès de la nation. Nous croyons que le marché peut contribuer à booster le secteur privé, la création d’entreprises et de richesses, mais l’État doit obligatoirement jouer un rôle dans la redistribution des fruits de la croissance. Son intervention est indispensable. On ne peut pas croire qu’en créant une classe super-aisée, la richesse dégoulinerait sur les plus pauvres, ou diminuerait la mortalité maternelle ou infantile. L’État doit intervenir pour que les bienfaits de la croissance atteignent les couches les plus vulnérables de la population. Cette conception plus interventionniste du rôle de l’État dans le social et l’économie est intrinsèque aux partis de tradition social-démocrate, tel le nôtre. Lorsqu’il a été au pouvoir, le NPP avait lui-même fait un pas vers le centre en adoptant des programmes sociaux. C’est la réalité qui l’impose.
Le candidat du NPP a fait campagne pour la gratuité du lycée. On vous a présenté comme étant opposé à ce projet éminemment social…
Il est faux de dire que je suis contre. J’ai été accusé de refuser aux lycéens le droit à la gratuité alors que j’ai moi-même pu étudier dans un régime d’éducation gratuite. Je ne suis nullement contre ce principe. L’éducation gratuite est une disposition constitutionnelle, mais on ne peut y arriver que graduellement. Il ne faut pas seulement que notre budget puisse soutenir un tel effort, il faut aussi que la gratuité n’entrave pas les investissements pour la création d’infrastructures, la formation de professeurs, etc. Or, actuellement, le lycée public est plus coté que celui privé. Contrairement au primaire, gratuit et obligatoire, qui est considéré par la plupart des gens comme moins performant que le privé – une question que nous devons affronter avec urgence –, le lycée public est très demandé car il est le meilleur…
La campagne du NPP portant sur l’abolition des frais de scolarité dans le secondaire avait un but purement démagogique. Peu importe si cela risquait de mettre en péril la qualité de l’enseignement. Des pays africains qui avaient adopté hâtivement l’enseignement gratuit au lycée ont finalement été contraints de rétablir les droits d’inscription. C’est le cas du Botswana.
Avant d’introduire la gratuité, il est indispensable de consulter toutes les parties, le corps enseignant, les experts, etc., pour mettre au point une feuille de route claire et chiffrée.
Pensez-vous pouvoir atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement en 2015 ?
Nous les avons déjà atteints en ce qui concerne les objectifs de scolarité : 90 % des enfants sont scolarisés dans le primaire. La distribution d’un repas quotidien gratuit – un million d’élèves en bénéficie – contribue à leur assiduité et à la coopération active des parents. Quant au genre, nous avons déjà atteint l’égalité au niveau national, même si la fréquentation des filles est inégale selon les régions. Pour la mortalité maternelle, nous devons en revanche faire encore des efforts. Nous avons créé un système d’ambulances, construit des hôpitaux de district avec un service prénatal, etc. Mais cela reste insuffisant, ainsi que nos efforts d’assainissement urbain et du système sanitaire en général. Dans ces secteurs, il est difficile d’avoir un impact immédiat sur les statistiques. Mais, d’ici à 2015, nous redoublerons d’efforts.
Votre pays a atteint le revenu intermédiaire de 1 600 dollars par habitant. Comment généraliser le développement économique et assurer la création d’emplois ?
Nous espérons maintenir une croissance moyenne de 8 % par an, tout en œuvrant pour réduire le déficit budgétaire et encore davantage l’inflation. Le pétrole et le gaz pourront devenir les catalyseurs de la diversification de l’économie grâce au développement de la pétrochimie et de la production d’électricité [la construction d’une centrale thermique au gaz ghanéen est approuvée, ndlr], la question énergétique conditionnant l’essor de l’industrie de transformation des matières premières et de l’industrie manufacturière.
Comment comptez-vous lutter contre la corruption qui n’a épargné aucune des deux grandes formations politiques ces dernières années ?
Nous devons diriger par l’exemple, garantir l’intégrité des gouvernants. Appliquer à la lettre la riche législation sur la corruption, restructurer le Serious Fraud Office (Bureau des fraudes sérieuses), renforcer la Commission des droits de l’homme et de la justice administrative (CHRAJ) en leur attribuant plus de moyens financiers et de personnel qualifié. Il faut rendre plus efficace la lutte permanente contre la corruption.
Quel est votre avis sur la crise dans le Sahel et les multiples rébellions au nord du Mali ? Que devraient faire la Cedeao et la communauté internationale ?
Depuis le coup d’État, le Mali est plongé dans une instabilité permanente. Les institutions ne fonctionnent pas, le gouvernement est tiraillé, les militaires refusent de regagner les casernes et font toujours la pluie et le beau temps. La priorité est actuellement la stabilisation du gouvernement malien.
Une intervention de la Cedeao (communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) dans les conditions actuelles serait très dangereuse. Il faut que le pouvoir malien assume une direction claire, se dote d’un leadership incontesté. Alors seulement on pourra aider l’armée à se consolider et à exécuter le mandat qu’on lui attribuera : celui, sans doute, de réintégrer les régions du Nord, de réunifier le pays.
Il faudra à l’avenir que le pouvoir malien soit plus inclusif. Le sentiment d’une partie des Touaregs d’être exclus des institutions nationales a sans doute pesé dans cette énième et plus grave révolte contre Bamako, facilitée par la conjoncture régionale. C’est en étant conscient de ces dangers qu’au Ghana on travaille à la préservation de la cohésion nationale, pour l’inclusion de toutes les forces politiques et sociales dans les institutions démocratiques et à travers la décentralisation.
Comment qualifier les relations avec la Côte d’Ivoire ?
Nous avons de bonnes relations politiques. Le Ghana veut en préserver le caractère totalement pacifique. Nous sommes très liés par l’économie ou la culture. Les échanges commerciaux à travers nos frontières sont importants et la circulation des populations des deux pays est une vieille tradition.
Comme j’ai eu l’occasion de l’affirmer auparavant, nous ne permettrons à personne d’utiliser le Ghana pour déstabiliser la Côte d’Ivoire. Après les événements qui ont secoué ce pays, beaucoup d’Ivoiriens ont cherché refuge chez nous. Le Ghana est un État de droit qui a une longue histoire d’accueil de réfugiés, que ce soit du Liberia, de Sierra Leone ou du Togo. Nous devons à présent exercer la plus grande vigilance afin de nous assurer que personne ne profite de l’abri que nous lui offrons pour des actions menaçant la sécurité de notre voisin.