Le grand reporter français Jacques-Marie Bourget, demeure un modèle du journaliste engagé dans la voie de la défense des opprimés et causes justes. Son témoignage et ses couvertures médiatiques des massacres de Sabra et Chatila, du siège de l’autorité palestinienne à Ramallah, en dépit des pressions et menaces, sont un parcours à imiter pour chaque plume ou voix libre de ce monde. Une attitude qui a failli lui coûter la vie en octobre 2000, suite à une tentative d’assassinat menée par l’armée sioniste la « plus démocratique » et » la plus humaine. Dans cette interview accordée à Algérie54, le « miraculé » de Ramallah livre sa conviction au sujet des écrivains Kamel Daoud et Boualem Sansal, deux auteurs néocolonisés, au centre d’une nouvelle tension politique entre l’Algérie et la France.
Interview réalisée par Mehdi Messaoudi
Mehdi Messaoudi : Le récent lauréat du Prix Goncourt Kamel Daoud est accusé par une victime du terrorisme de lui avoir « volé » son histoire après un viol du secret médical par le biais de son épouse qui était son psychiatre. Quelle lecture faites- vous de cette histoire qui survient trois années après la condamnation définitive du chroniqueur du magazine Le Point, par le tribunal d’Oran, suite à la plainte de son ancien conjoint qui l’avait accusé de « Coups et blessures volontaires avec usage d’arme blanche? »
Jacques-Marie Bourget: L’impunité dont jouit Kamel Daoud, devant le tribunal médiatique français, est incroyable. Pas un média de la galaxie de propagande n’a imprimé un mot sur cette condamnation pour « violence ». Pas un mouvement féministe n’a accepté de lever un œil sur le comportement déviant de cet « essayiste » ! Daoud est une vache sacrée. Un exemple, le blog que j’ai publié à ce sujet sur le site Médiapart, grand donneur de leçons de démocratie, a été censuré et mis à la poubelle. Nous assistons à une forme de négationnisme : il faut sauver le soldat Daoud. Si utile pour cracher sur les arabes, les Palestiniens, l’islam. Crachats lancés sur ordre de ses maîtres, les colons inépuisables.
Plusieurs voix en France ont suggéré la nécessité d’un dépôt de plainte à Paris (lieu du délit) pour intenter un procès à Kamel Daoud, à sa femme et à l’éditeur Gallimard. Que pensez-vous de cette proposition, vous le préfacier du livre d’Ahmed Bensaada « Kamel Daoud-Cologne-Contre-enquête» édité en 2016?
Même si mon beau père, Tahar Merakchi est mort pour la libération de l’Algérie, fusillé après tortures, je suis un « français de souche », donc un complice involontaire de la colonisation. Je ne peux ni prodiguer des conseils ni critiquer l’Algérie. C est une leçon apprise de mon ami intime, Jacques Vergès. Mais je peux faire des observations. On apprend par exemple qu’une « plainte a été déposée à Oran début août », au nom de cette malheureuse Saâda Arbane. Mais que « pour ne pas nuire au Prix Goncourt » – pourtant bannière capitaliste et politique de la culture -, la plainte a été tenue secrète ! Ici nous rêvons éveillés, la victime, qui se déclare victime du couple Daoud, ne veut pas entraver son sacre « littéraire » ! Incompréhensible. Alors qu’un vrai exercice de la justice exigeait un dépôt de plainte à Paris, là où vivent les époux Daoud et l’éditeur Gallimard… On ne comprend rien. Rien de rien.
La rumeur affirme qu’un acteur de la défense algérienne de Saâda Arbane, serait prêt à déposer une plainte en France « par le biais de «50 avocats » ? Pourquoi pas par cent, ou mille ? Nous restons toujours dans le flou et les ténèbres. Vu de loin, on a le sentiment que l’affaire Saâda a été ralentie par ceux qui devaient faire jaillir la lumière.
Ainsi, c’est un Daoud toujours hors d’atteinte, toujours donneur de leçons, qu’on laisse tranquillement croquer ses droits d’auteur (considérables) en France.
Certes mon ami Vergès, en son temps, n’avait pas peur du bruit et de la fureur, du tapage médiatique, mais cette « agit-prop » ne suffisait pas à son action, en parallèle il faisait du droit, attaquait tous azimuts en justice.
Dans la foulée du scandale du Prix Goncourt, une nouvelle tension vient de voir le jour, à la suite de l’incarcération de Boualem Sansal en Algérie après ses déclarations scandaleuses sur la souveraineté territoriale de l’Algérie. Que diriez-vous sur cette affaire qui pourrait sceller la rupture définitive entre Alger et Paris?
On oublie trop vite que Daoud est un ami intime d’Emmanuel Macron qui, en visite officielle en Algérie, n’a pas hésité à effacer un épisode de son emploi du temps officiel pour se rendre à Oran et diner avec son intime, son conseiller, son visiteur du soir : Daoud. Daoud est une arme politique comme l’est Sansal en moins discret. Les deux sont des arabes utiles, des maghrébins capables de cracher sur leurs frères à la demande de leurs maîtres qui continuent de vivre dans l’esprit d’un colonialisme attardé. Ce Sansal est pourtant si lié à l’extrême droite, plus encore que Daoud, qu’il devient difficile à défendre. Sachons qu’en France, un écrivain nommé Hervé Ryssen, qualifions-le de néo-nazi, a été incarcéré sept mois pour le contenu de ses livres, aux idées certes nauséabondes. Qui a protesté ? Personne.
Pour Macron l’arrestation de Sansal est un effet d’aubaine, elle lui permet de dire : « voyez comme ces Algériens sont infréquentables »
Vous êtes connus pour être un « miraculé » du terrorisme sioniste, pourquoi la doxa en France n’a pas été autant mobilisée pour vous en octobre 2000?
Victime d’un balle sioniste, c’est-à-dire d’un « tir démocratique », je ne pouvais qu’être suspect ; puisque désigné comme cible par un peuple qui a toujours la raison avec lui. A la limite protester était un acte antisémite.
Interview réalisée par Mehdi Messaoudi
ALGERIE54