En Afrique du Sud, l’affaire Gupta éclate de tous les côtés. Les dernières révélations par de hautes personnalités de l’État concernant l’influence de la famille de milliardaires indiens sur Jacob Zuma et ses liens avec la famille du président dans le but de « séquestrer l’État », ont provoqué une levée de boucliers de la part de personnalités jusqu’ici soutiens indéfectibles de l’ANC et du président.
La lettre envoyée au secrétaire général de l’ANC, le 22 mars, par un groupe de vétérans, généraux et hauts gradés, de l’armée de libération de l’ANC, Umkhonto we Sizwe (UK) qui ont eu des responsabilités dans les différents gouvernements, intitulée « Il est temps d’agir », a fait l’effet d’une bombe. Dans ce long texte très argumenté, les signataires demandent clairement le départ de Jacob Zuma de la présidence sud-africaine et de l’ANC, en appelant à un congrès exceptionnel de l’organisation dans les plus brefs délais.
En tête des signataires, le général Siphiwe Nyanda qui fut général en chef des Forces de Défense de 1998 à 2005 et ministre de la communication du gouvernement Zuma de 2009 à 2010, puis conseiller parlementaire du président depuis 2010. Ont également signé le texte, Moe Shaik, ancien chef des Services secrets, Gilson Jnenje, responsable de la sécurité de l’État sous Jacob Zuma. Les deux avaient quitté leur poste après un conflit sur l’influence de la famille Gupta. Mavuso Msimang est un ancien haut commandant d’UK et a occupé plusieurs postes officiels, à la tête du tourisme notamment. Snuki Zikalala a dirigé la télévision sud-africaine SABC à l’époque où elle servait les intérêts de Jacob Zuma dans la lutte pour le pouvoir qui s’est terminée par le limogeage du président Thabo Mbeki, au profit de l’actuel président. Jabu Moleketi est un ancien ministre des Finances. Trois ambassadeurs figurent, également, dans la liste des signataires.
Le texte largement, publié dans la presse, est sans concession. Rappelant qu’ils ont toujours « répondu à l’appel de l’ANC » sans hésiter à donner « leur quota de sang », les signataires rappellent les différents faux pas de Jacob Zuma – affaire du limogeage du ministre des Finances, enquête abusive par les services spéciaux sur l’actuel ministre Pravin Gordhan et « autres camarades ». « Comment justifions-nous la destruction de notre économie et de notre devise par des actes aussi despotiques ? » demandent-ils. Suite aux révélations sur les agissements des Gupta et Zuma, ils estiment que « l’ANC ne dirige plus » et que «d’importantes décisions de l’État sont soumises à une influence extérieure et à un unilatéralisme sans égard pour le bien-être du pays ou du peuple ». Ce qui a « plongé le pays dans un futur incertain et périlleux ».
Les signataires soulignent que depuis des années, ils ont été « témoins, entre autres, de la montée de factions et de clans, d’une perte de qualité chez les cadres de l’ANC, de la montée des antagonismes au sein de l’Alliance (ANC, Parti communiste, Cosatu), de la scission d’organisations au sein de la centrale syndicale COSATU, de l’explosion de la Ligue de la jeunesse, de la censure de la critique nécessaire au sein de l’ANC, de la déstabilisation d’institutions d’État majeures, de gaspillage des ressources financières de l’État, de la perte de valeur du Parlement, de l’érosion de la confiance dans les différents secteurs de l’armée, de la « juniorization » de l’État et de l’ANC et, plus inquiétant, de la séquestration de l’État pour des intérêts particuliers de quelques uns ».
« Nous ne pouvons plus rester silencieux face à cette évolution des plus antidémocratiques et dangereuses », écrivent les signataires qui estiment que l’ANC doit agir pour retrouver sa dignité, qu’il faut « libérer l’ANC et l’État de l’influence des Gupta et de leurs bénéficiaires ». Ils demandent à la direction de l’ANC l’ouverture d’une enquête par une commission indépendante, de réfléchir au « bienfondé de maintenir le camarade Jacob Zuma à la tête de l’ANC et de l’État », estimant qu’ « un départ digne devrait être négocié pour le bien de l’ANC et du pays ».
Depuis les révélations sur les pratiques de la famille Gupta, d’autres voix se sont élevées parmi les soutiens du président. Après l’avoir épargné dans une première déclaration, le Parti communiste, par la voie de secrétaire général adjoint, Solly Mapaila, a appelé Jacob Zuma à « mettre un terme à sa relation avec les Gupta », reconnaissant là ses liens avec les milliardaires indiens qu’il a qualifié d’ « empoisonnés ». Les fondations très respectées Oliver et Adelaïde Tambo, Nelson Mandela et Ahmed Kathrada ont également écrit à la direction de l’ANC pour exprimer « leur grande inquiétude » quant à la « séquestration de l’État » par la famille Gupta, et ont demandé à rencontrer les dirigeants.
Sous la pression, l’ANC a décidé de mettre en place une commission d’enquête composée de six dirigeants de l’organisation, dont le président, le vice-président, le secrétaire général, le trésorier, et du National Working Commitee (NWC, secrétariat élargi de la direction de l’ANC composé de vingt membres et d’un représentant de chaque branche de l’ANC, Vétérans, Femmes et Jeunesse) et invité ses membres qui auraient été approchés par la famille Gupta à se faire connaître. Le niveau élevé des membres de la commission d’enquête est significatif, selon la presse sud-africaine, du « sérieux avec lequel l’ANC traite la question ». Mais, jusqu’ici, les commissions d’enquête mises en place par la présidence, le gouvernement ou l’ANC, sur des affaires concernant le président ou le gouvernement – affaire Nkandla, sur l’utilisation d’argent public pour la propriété privée du président, massacre des mineurs de Marikana, entre autres – ont toujours conclu en faveur de Jacob Zuma. Cependant, comme l’écrit un journaliste sud-africain, cette fois, « le génie est sorti de la lampe et tous les Gupta et Zuma ne pourront le faire rentrer ».