Michael Hulley, l’avocat de Jacob Zuma, a confirmé officiellement, le 26 mars, la mise en examen de l’ex-président sud-africain qui devra se présenter devant la Haute cour de justice de Durban le 6 avril.
Il y a dix jours, Shaun Abrahams, le juge de la NPA, (National Prosecuting Authority, institution constitutionnelle habilitée à engager des poursuites pénales au nom de l’État), avait annoncé sa décision de rétablir les charges de corruption contre Jacob Zuma : seize chefs d’inculpation pour fraude, racket, corruption et blanchiment d’argent, concernant 783 paiements douteux dont l’ex-président aurait bénéficié dans le cadre d’un contrat d’achat d’armement évalué à $4,8 milliards, finalisé en 1999. La totalité des pots-de-vin atteint la somme de 300 millions de dollars.
Depuis 1999, l’affaire du « Strategic Arms Procurement Package » a fait couler beaucoup d’encre et a connu des rebondissements qui, jusqu’ici, avaient permis à Jacob Zuma d’échapper à la justice. En janvier 2001, un rapport du procureur général de la province du Western-Cape recommandait une enquête « plus approfondie » sur ce contrat très contesté, et demandait la mise en place d’une unité spéciale d’enquête. Une enquête ouverte en 2000 avait conclu qu’il n’y avait aucune raison de croire que le gouvernement avait agi « illégalement et de façon incorrecte ». Cependant, en octobre 2009, des documents fournis par Richard Young dont la compagnie, CCIISystems, avait perdu l’appel d’offre concernant des corvettes, montraient que ce rapport avait été « dirigé », que des faits avérés avaient été supprimés et que ses conclusions avaient été modifiées.
En 2003, des enquêteurs britanniques et allemands exprimaient leurs soupçons sur le paiement d’un milliard de rands pour faciliter le deal. Sont cités au premier rang Jacob Zuma, Joe Modise (alors ministre de la Défense), Shabir Shaik (conseiller financier de Jacob Zuma qui a, également, fait partie du conseil d’administration des filiales de Thales en Afrique du Sud. Il sera condamné à 15 ans de prison) et son frère Chippy Saik, Fana Hlongwane (conseillère de Joe Modise), Tony Yangeni (président du groupe ANC au Parlement). En mars 2003, Tony Yengeni était inculpé et condamné à quatre ans de prison pour avoir accepté un pot-de-vin pendant la négociation. Dans la même période, Patricia de Lille, l’une des figures du parti d’opposition Democratic Alliance, affirmait devant le Parlement, qu’elle possédait des preuves de trois versements de 500 000 rands chacun par Thyssen-Krupp, le 29 janvier 1999, à l’ANC, au Fonds Nelson Mandela pour l’Enfance et à la Community Development Foundation, une organisation mozambicaine associée à l’épouse de Nelson Mandela, Graça Machel. Des sommes qui sont, en réalité, arrivées sur des comptes privés.
En Suède, une enquête du programme d’investigation de Channel4 révélait que la compagnie Saab avait versé 30 millions de rands au syndicat sud-africain de la métallurgie (NUMSA) officiellement pour la création d’une École Industrielle du syndicat, en réalité pour graisser la patte à des responsables sud-africains. Enfin, à la même époque, Andrew Feinstein, député ANC et ancien président de SCOPA, comité de surveillance des comptes publics, poste dont il fut, alors, « démissionné », témoignait dans « After the Party », ouvrage dans lequel il faisait, également, un certain nombre de révélations et de recommandations.
Les charges ont été abandonnées en 2009 sur la base d’un vice de forme justifié par l’existence contestée par la suite, d’enregistrements téléphoniques entre le chef des Scorpions (unités d’investigation), Leonard McCarthy, et le juge de la NPA, Bulelani Ngcuka, d’alors, dont les avocats de Jacob Zuma ont prétendu qu’elles montraient une interférence politique. La décision du juge Mokotedi – nommé par Jacob Zuma – d’abandonner les charges était survenue à la veille de son premier mandat présidentiel. Pendant ces dix années, l’ANC au plus haut niveau, avait soutenu le président de façon indéfectible et accusé régulièrement ses détracteurs d’être manipulés par des « forces de l’étranger ».
Sous la pression, en 2011, Jacob Zuma décidait d’une commission d’enquête, la Commission Seriti, s’appuyant sur la recommandation de la Haute cour de Johannesburg du Western Cape de mettre en place une « commission d’enquête indépendante ». En 2016, le président Zuma présentait ses conclusions « indépendantes » : « Le gouvernement estime que tout élément révélant des irrégularités doit être présenté aux institutions chargées de faire respecter la loi. Il n’y a aucun élément de ce type ici et la Commission ne fait aucune recommandation. » Aux deux question posées à la Commission concernant la corruption, la réponse est « non ». Certaines personnes ont-elles influencé la conclusion des contrats ? Non. Un contrat conclu dans le cadre de la négociation a-t-il fait l’objet de fraude ou de corruption ? Non. Cette mascarade avait provoqué la colère de l’opposition, la Democratic Alliance particulièrement qui avait fait de cette affaire un cheval de bataille.
Cependant, comme on a pu le voir dans ces derniers mois, l’exigence de la démission de Jacob Zuma a montré que le peuple sud-africain en général, l’opposition, une grande partie de l’ANC et de la société civile en particulier, n’ont jamais été convaincus. Ils ont continué de réclamer que justice soit faite dans le cadre de la lutte contre la corruption d’État. Le nouveau président Cyril Ramaphosa s’y était engagé. Aujourd’hui, Jacob Zuma ne bénéficie plus d’aucun soutien et son procès aura lieu. « Nous ne protégeons, ni ne défendons personne », a déclaré le secrétaire général de l’ANC, Ace Magashule, tout en précisant, cependant que « des allégations ne sont que des allégations ». Si des membres de l’ANC, en tant qu’individus, ont le droit d’exprimer leur solidarité ou leur sympathie avec toute personne concernée, « cela ne pourra pas se faire à travers les structures du mouvement, y compris les Ligues (des femmes et de la jeunesse de l’ANC) et Umkhonto we Sizwe, l’association des Vétérans », a-t-il insisté.
Qui dit « corrompu », dit « corrupteur ». Aux côtés de Jacob Zuma, l’industriel français Thales (alors Thomson-CSF) est, également poursuivi, sa filiale sud-africaine, Thint, étant accusée de corruption et fraude pour avoir versé des pots-de-vin à l’ex-président et autres complices. C’est sans doute la déposition, en février dernier, de l’avocat Ajay Sooklal, un ancien intermédiaire de la France dans les négociations du contrat, qui a pesé dans la décision du juge d’inculper la compagnie française. Selon Ajay Sooklal qui témoignait devant le Tribunal du Peuple sur les Crimes économiques, deux présidents français, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ont fait pression sur les dirigeants sud-africains de l’époque pour étouffer l’affaire. Selon son témoignage, Thales aurait versé annuellement 500000 rands à Jacob Zuma, alors vice-président, pour garantir que la compagnie ne sera pas inquiétée.
Cependant, Thales n’est pas le seul marchand d’armement impliqué dans ce scandale. La Grande-Bretagne (BAE Sysstems), la Suède (Gripen + SAAB), l’Allemagne (Thysssen-Krupp, Blohm+Voss, Howaldtswerke-Deutsche Werft, Ferrostaal) et l’Italie (Agusta) figurent, dans le contrat. En juin 2011, SAAB, sous la pression, reconnaissait avoir versé 24 millions de rands à Fana Hlongwane sur un compte off-shore, mais affirmait que le virement avait été fait à l’insu de la compagnie. SAAB a été condamné à payer une amende. L’enquête allemande a disculpé ThussenKrupp. Les enquêtes aux États-Unis et en Grande-Bretagne ont également concluent à des amendes sans responsabilité individuelle. Le juge Shaun Abrahams a encore fort à faire.