Les djihadistes qui se sont constitués en mouvement pour combattre le régime de Bachar al-Assad, rangés derrière la bannière du front Jabhat al-Nusra ont levé le voile une dernière fois sur leurs intentions en prêtant allégeance à Al-Qaïda. Mais pour Barah Mikaïl, directeur de recherche pour le think tank Fride, la présence de ces terroristes n’est pas une nouvelle. Depuis le début du soulèvement syrien, l’action de ces djihadistes est observée. Faut-il alors réellement songer à envoyer des armes à l’opposition syrienne?
Dans les rangs de l’opposition syrienne, un groupuscule terroriste portant le nom de Jabhat al-Nusra combat le régime de Bachar al-Assad au nom du djihad. Les membres de cette unité viennent de prêter allégeance à l’organisation Al-Qaïda, témoignant ainsi de l’objectif ultime de leur combat. A l’heure où les pays occidentaux affirment leur volonté de vouloir envoyer des armes à l’opposition syrienne, cet évènement sonne comme un rappel pour la communauté internationale. Pour Barah Mikaïl, directeur de recherche pour le think-tank Fride, la présence de djihadistes au sein de l’opposition au régime de Bachar al-Assad est connu depuis très longtemps. La communauté internationale a-t-elle volontairement cherché à ne pas regarder la réalité ?
JOL Press : Qui sont les membres du mouvement djihadiste Jabhat al-Nusra ?
Barah Mikaïl : Les informations dont l’on dispose sur Jabhat al-Nusra sont contradictoires et surtout incomplètes. D’aucuns parlent de quelques milliers de membres pour ce mouvement, d’autres de plus de dix mille. De même, cependant que certains affirment que cette formation serait majoritairement composée de Syriens, d’autres arguent du contraire. Mais les images et vidéos que l’on peut consulter ont plutôt tendance à mettre en évidence une présence non-syrienne forte au niveau de ce mouvement. Ce fait est logique, le djihadisme ne reconnaissant pas les frontières nationales contemporaines, ses rangs sont ouverts à tout combattant volontaire partageant ses objectifs. Quant à l’action de ce mouvement en Syrie, elle a réellement commencé avec le « Printemps arabe », dans un contexte dans lequel il a été prouvé que certains de ses membres ont eu un passé dans l’organisation al-Qaïda en Mésopotamie.
JOL Press : Qu’est ce qu’une allégeance à Al-Qaïda changera pour eux et dans leur fonctionnement ?
Barah Mikaïl : Pour l’heure, c’est surtout le symbole qui frappe : l’allégeance officialisée de Jabhat al-Nusra à al-Qaïda fait penser à celle opérée en Irak par Abu-Musab al-Zarqawi à la fin de l’année 2004. Il y a pour Jabhat al-Nusra la quête d’un label de légitimation, l’aspiration à l’appartenance à une formation forte de par le symbole. Pour ce qui est du fonctionnement, je doute que Jabhat al-Nusra soit en mesure de recevoir des ordres directs de la part d’al-Qaïda à travers une machine de commandement fluide et hiérarchisée. Donc, dans les faits, Janhat al-Nusra devrait plutôt continuer à opérer de la manière qui a été la sienne jusqu’ici, et éventuellement réagir au diapason des communiqués sporadiques issus par al-Qaïda. Mais d’un point de vue tactique et stratégique militaire, al-Qaïda n’aura aucune emprise sur Jabhat al-Nusra pour l’heure.
JOL Press : Cet évènement peut-il changer le comportement de la communauté internationale envers l’opposition syrienne ?
Barah Mikaïl : Dans les grandes lignes, et en apparence, je ne crois pas que ladite communauté internationale changera fondamentalement d’attitude vis-à-vis des opposants syriens. Mais il va de soi que l’allégeance de Jabhat al-Nusra à al-Qaïda n’est pas pour autant une bonne nouvelle pour la Coalition nationale syrienne, celle-ci ayant soutenu mordicus jusqu’ici, et contre toute évidence, que Jabhat al-Nusra était une organisation légitime soutenue par une majorité de la population syrienne. Donc oui, il va de soi que le cas Jabhat al-Nusra ne va pas encourager les soutiens de l’opposition syrienne à leur fournir l’ensemble des armes auxquelles ils prétendent. La méfiance va même être plus de rigueur. Mais il n’y aura pas pour autant de désolidarisation. Dans le fond, le régime de Bachar al-Assad va sûrement gagner un peu plus de longévité, le temps que ses opposants parviennent à mettre de l’ordre dans leur stratégie.
JOL Press : Estimez-vous que la présence de djihadistes au sein de l’opposition a été ignorée depuis le début du conflit ?
Barah Mikaïl : Cette présence était connue depuis le début pour qui ne se refusait pas à la voir. Certains dans l’opposition affirment que les six premiers mois du soulèvement syrien étaient pacifiques. Or non seulement il n’en est rien, mais de plus, au début de l’été 2011 déjà, on pouvait voir des vidéos de djihadistes divers, dont certains d’entre eux russophones d’ailleurs, positionnés à la frontière turco-syrienne et appelant à une chute du régime syrien. Tout cela pour dire qu’il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, et que pris dans la globalité, on voit combien politiques et médias se sont fait pendant longtemps complices d’une situation dans laquelle on estimait que la barbarie du régime syrien justifiait d’occulter beaucoup des réalités prévalant en Syrie. Le phénomène n’est d’ailleurs pas près de retomber, quand on voit la hargne avec laquelle beaucoup d’opposants vont jusqu’à essayer de défendre encore les djihadistes dans leurs positions. Mais cela est plutôt révélateur de la faiblesse de l’opposition syrienne et de son manque de maturité.
JOL Press : Fournir des armes à l’opposition, en sachant que les djihadistes sont sur le même terrain et même en imaginant des armes périssables, est-ce vraiment sérieux et envisageable ?
Barah Mikaïl : C’est non seulement envisageable mais d’ores et déjà une réalité. Le régime syrien a ses soutiens et fournisseurs, mais les djihadistes aussi. La question parallèle, c’est de savoir si, à un échelon supérieur, occidental en l’occurrence, il pourrait en aller de même. Pour l’instant, tout indique que, même si la France et le Royaume-Uni ont été tentés par des formules d’alliances objectives, ils n’ont pas pour autant franchi le pas en faveur des djihadistes. Mais quand bien même ils le feraient, ce serait forcément de manière discrète et indirecte. Ce sont les Etats-Unis qui, pour l’heure, orientent les faits en la matière et s’opposent à une composition avec les djihadistes ; ils ont forcément retenu les leçons de l’Irak. Mais pour autant, il faudra bien que les soutiens à l’opposition syrienne, et cette opposition elle-même, affichent une attitude cohérente et unie vis-à-vis de cette question djihadiste en Syrie. Elle mine en effet pour beaucoup les potentielles évolutions syriennes.
JOL Press : Quelles pourraient être les répercussions de cette nouvelle sur le conflit syrien ? Bachar al-Assad pourrait-il profiter de cet événement pour relancer sa rhétorique des « ennemis de la Syrie » ?
Barah Mikaïl : Il va de soi que cette nouvelle est pain bénit pour Bachar al-Assad, et elle lui permet d’insister sur la thèse selon laquelle le chaos pouvant suivre sa chute serait plus important que ce qui prévaut pour l’heure. Dit autrement, les conditions pour un maintien de Bachar al-Assad en place demeurent d’actualité, malgré le fait que les violences qui ont touché la capitale syrienne ces derniers temps semblent faire s’approcher l’hypothèse d’une décisive « bataille de Damas ». Cela étant dit, ce qui reste certain, c’est qu’une grande partie de la longévité d’Assad le doit encore à l’absence d’une alternative politique forte à son régime. La théorie du « better the devil you know » semble encore lui bénéficier à plus d’un égard.
Source:
JOL press
13 avril 2013
Photo crédit: Photo : FreedomHouse/Flickr / cc