Kippa blanche, air pénétré, lèvres marmonnant : Andry Rajoelina, président de la Transition malgache, n’a pas oublié le sourire pour la photo devant le mur des Lamentations à Jérusalem, le 3 janvier 2013. Ravi de faire comme Barack Obama « à la date du 24 juillet 2008 », précisait le communiqué officiel. C’était la première fois qu’un chef de l’État malgache se rendait en Israël depuis la visite du premier président de la République, Philibert Tsiranana, en août 1961.
Officiellement, Rajoelina était en pèlerinage en famille sur les lieux saints. « Accessoirement », il espérait rencontrer Pérès et Netanyahu pour soutenir sa potentielle candidature à une présidentielle qui tardait à venir. Certains ont affirmé qu’il voulait aussi négocier l’achat d’équipements militaires, et notamment de drones, d’hélicoptères et de matériel satellitaire pour lutter contre l’insécurité dans le Sud. Finalement, Rajoelina a réussi à rencontrer le président Pérès, qui lui a promis un « accompagnement sur tous les plans ».
Le président de la Transition a gagné un soutien de poids alors qu’il n’était pas en odeur de sainteté au sein de la communauté internationale. Elle s’acharnait, depuis son coup d’État en mars 2009, à vouloir organiser des élections sur la Grande Île. Le pays est dans une crise institutionnelle interminable (le premier tour de la présidentielle a encore été reporté au 23 août) et même la France, qui appuyait Rajoelina en sous-main, donnait des signes de faiblesses. Celui-ci a senti le vent tourner : alors qu’il avait tenté, en vain, d’obtenir le soutien de l’Algérie et de la Libye, puis de la Turquie, au début de son pouvoir, il a répondu, cette fois-ci, aux avances de celui qui lui faisait des œillades depuis un moment.
Deux hommes ont scrupuleusement préparé le voyage de Rajoelina en Israël : Daniel Saada, ambassadeur israélien itinérant basé à Tel-Aviv, notamment accrédité auprès de Madagascar, et Benjamin Memmi, directeur général de la compagnie pétrolière malgache Jovenna. Le premier est un « habitué » de l’Afrique, et l’un des artisans de la reprise des relations diplomatiques entre son pays et les États africains depuis la rupture décidée par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) après la guerre d’Octobre, en 1973. Un activisme efficace : aujourd’hui une quarantaine d’entre eux (sur cinquante-quatre) ont des liens diplomatiques avec l’État hébreu.
Madagascar, lui, n’a plus accueilli d’ambassadeur résident depuis cette rupture sous Ratsiraka. Un divorce qui fait suite à la période faste post-indépendance où – comme partout en Afrique –, la coopération avec Israël battait son plein. La visite de Golda Meir sur l’île Rouge, en janvier 1963, fut suivie de l’ouverture d’une ambassade israélienne à Antananarivo et de la signature de projets de coopération, notamment dans la formation des officiers de police, l’agriculture, l’exploration de pétrole off-shore, ou encore la construction du grand hôtel Hilton (aujourd’hui Carlton).
En octobre 2010, alors que les principaux bailleurs avaient gelé leurs financements, Daniel Saada s’est rendu dans la capitale malgache pour proposer des projets de développement à plusieurs ministres. Satisfaction de part et d’autre. « Ce ne sont pas les considérations politiques qui doivent freiner la coopération », s’est réjoui Saada. Vraiment ? Outre un futur allié stratégique dans l’océan Indien, qui possède d’énormes richesses de cobalt et de nickel, des terres abondantes, du pétrole avéré, Tel-Aviv a surtout trouvé un soutien – même s’il n’est pas franc – aux Nations unies : le 29 novembre 2012, plutôt que de se prononcer sur le sort de la Palestine comme État observateur non membre permanent de l’Onu, Madagascar a choisi la politique de la chaise vide…
Daniel Saada avait aussi obtenu la venue d’un nouvel ambassadeur résident, Yoram Elron. Celui-ci attend, depuis six mois, de présenter ses lettres de créance. Le résultat de la situation préélectorale ? Rajoelina, qui avait promis-juré de ne pas se présenter, est finalement candidat (voir Afrique Asie de juin 2013). C’est aussi une « girouette » maligne : son geste d’ouverture vers Israël a surtout été un signe en direction des États-Unis, discrètement attentifs à la situation malgache. Un comble pour la France, qui avait joué la carte Rajoelina contre Ravolamanana, son prédécesseur, trop pro-américain. Qui sera gagnant dans ce billard à trois bandes ?